Par Albert NACCACHE
La guerre s’est invitée à nouveau en Europe et suscite une intense émotion. Par la folie meurtrière et paranoïaque d’un homme, le peuple ukrainien est envahi. Poutine a décidé de plonger l’Europe dans la guerre. «Dans son roman d’anticipation [1], le général britannique Richard Shirreff, ex-commandant adjoint suprême des forces alliées de l’Otan en Europe (2011-2014), imaginait déjà l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, mais aussi l’attaque des pays Baltes. Cinq ans plus tard, ce haut gradé à la retraite se montre extrêmement inquiet et appelle à muscler drastiquement la riposte sur le flanc est de l’Otan. Selon lui, il faudrait y envoyer trois à quatre divisions». Soit près de 100 000 hommes.
L’heure est très grave. Le simple fait que Poutine lance cette invasion en Ukraine a montré son degré d’hubris et son manque de rationalité. Or, la guerre ne s’est pas déroulée aussi vite qu’il l’avait prévu, car les Ukrainiens résistent. Poutine a sous-estimé son ennemi, sous-estimé le leadership de l’Ukraine et sous-estimé la réponse de l’Occident. Le danger, maintenant, c’est qu’il se déchaîne et ordonne à ses troupes d’utiliser la puissance de feu aveuglément. Nous voyons déjà l’artillerie et les missiles pleuvoir sur les villes. Les conséquences d’une attaque massive seraient terribles en matière de pertes civiles et militaires. Il suffit de regarder ce qui s’est passé à Alep, en Syrie, pour voir les dégâts de l’usage massif de la puissance de feu.[2]
L’arme nucléaire sera-t-elle bientôt employée pour la première fois depuis 1945 ? On peine à le croire, mais cette question glaçante, qui semblait il y a peu encore relever de la paranoïa, paraît aujourd’hui d’actualité. Vladimir Poutine vient en effet de mettre les forces nucléaires russes en état d’alerte et cette menace doit être prise au sérieux.
Un exemple pour la Chine
«Ce qui se joue aujourd’hui en Ukraine est une répétition de ce qui va se jouer un jour avec la Chine. La Russie considère l’Ukraine comme une de ses provinces. La Chine considère Taïwan comme une de ses provinces. Et la Chine va envahir Taïwan comme la Russie envahit l’Ukraine. Mais si la Russie est un nain économique, la Chine est un géant dont nous dépendons pour tout ou presque. En tentant de la couper du monde comme nous le faisons avec la Russie, c’est nous qui nous couperions du monde». [3]
Mais les Européens ont surmonté leurs divisions
Poutine a réussi à cimenter le camp occidental, initialement divisé. Les traits communs des Européens ne sont pas seulement d’apparence. Il y a une culture et un mode de vie, et une composante politique qu’on nomme démocratie. Contre toute attente, les Européens ont surmonté des divisions fondées sur de profondes divergences d’intérêts. L’Allemagne, en particulier, a passé outre sa dépendance au gaz russe. Plus surprenant encore, Berlin a mis entre parenthèses une doctrine pacifiste jamais écornée depuis 1945.
Intensification des combats
La première attaque contre Kiev – parallèlement aux autres offensives lancées dans le reste du pays -, a échoué. On a donc assisté à une pause opérationnelle et un renforcement complet des forces. La 36ème armée est déjà engagée à l’ouest, et la 41ème armée, qui constitue la longue colonne blindée aux abords de Kiev, attaque à l’Est. La relance de l’offensive a pour objectif d’encercler méthodiquement la ville, puis de s’en emparer. Des troupes aéroportées russes ont pénétré dans Kharhiv, la deuxième ville du pays.
L’ONU estime à un million de personnes le nombre de personnes déplacées à l’intérieur de l’Ukraine du fait de l’invasion russe, en plus des centaines de milliers ayant fui le pays. La résistance ukrainienne s’organise
Poutine se heurte à une population ukrainienne au courage inouï, prête à tout pour défendre son territoire, sa démocratie, sa culture et son histoire. Cette population montre une impressionnante sérénité face à la menace et ne se laissera pas faire.
Novice en politique jusqu’à son élection en 2019, le jeune président ukrainien s’est forgé une stature d’homme d’Etat capable de tenir tête à Vladimir Poutine. Le comédien est devenu président et chef de guerre.
L’édito «Les premières victoires de Volodymyr Zelensky, héros européen» par Valérie Toranian. Aux États-Unis qui lui proposaient de l’exfiltrer pour le mettre en sureté, Volodymyr Zelensky a répondu qu’il avait besoin de munitions, pas de taxi. Tel l’enfant grec du poème de Victor Hugo contemplant les ruines noircies de son île de Chio, Zelensky veut «de la poudre et des balles». Quelques heures ont suffi, après le début de l’agression russe, pour transformer l’ancien comique élu à la présidence en 2019, en chef de guerre, forçant le respect et l’admiration. Le héros est celui qui relève le gant quand toutes les chances sont contre lui, écrivait Eschyle. Zelensky est un héros de tragédie. Dans quelques heures ou quelques semaines, le président ukrainien sera peut-être mort. Capturé et liquidé par les forces spéciales russes ou par les mercenaires du groupe Wagner qui ont pénétré sur le territoire ukrainien comme le révèle aujourd’hui le quotidien anglais The Times : leur cible numéro un est Zelensky, leur cible numéro 2, sa famille » [4]
Les volontaires de la défense territoriale sont des civils de 18 à 60 ans qui occupent leur samedi à s’entraîner à des exercices militaires. L’objectif est de créer des unités capables de mener une guérilla d’usure en milieu urbain et des sabotages. Il existe 25 brigades comptant 150 bataillons pour un total de 130.000 personnes, dont 10% de femmes.
Yuval Noah Harari : pourquoi Poutine a déjà perdu cette guerre en Ukraine
Pour l’historien, auteur de Sapiens, les Ukrainiens ont montré qu’ils étaient une vraie nation. «Si nous laissons la tyrannie l’emporter, nous en subirons tous les conséquences. Moins d’une semaine après le début de la guerre, il semble de plus en plus probable que Poutine prend le chemin d’une défaite historique. Il remportera peut-être toutes ses batailles, mais il n’en perdra pas moins la guerre. Son rêve de reconstruire l’Empire russe a toujours reposé sur le mensonge selon lequel l’Ukraine ne serait pas une vraie nation, que les Ukrainiens ne seraient pas un vrai peuple, et que les habitants de Kiev, de Kharkiv et de Lviv aspirent à vivre sous l’autorité de Moscou. C’est un mensonge éhonté – l’Ukraine est une nation qui a plus de mille ans d’histoire et Kiev était déjà une grande métropole quand Moscou n’était pas même un village. Mais le despote russe a tellement rabâché ce mensonge qu’il a visiblement fini par y croire lui-même…Chaque char russe détruit et chaque soldat russe tué raffermit la volonté des Ukrainiens de résister. Et chaque Ukrainien tué attise en eux la haine de l’envahisseur. La haine est la pire des émotions. Mais, pour les nations opprimées, c’est un trésor caché. Nichée au fond des cœurs, elle peut nourrir la résistance sur des générations» [5]
Des dizaines de Français s’apprêtent à rejoindre l’Ukraine afin de combattre les forces armées russes, à l’appel du président ukrainien. S’il draine d’anciens militaires, ce conflit attire aussi des hommes jeunes sans expérience des armes, ni lien personnel avec l’Ukraine comme Théo Soubie, 31 ans, a choisi de partir combattre l’armée russe en Ukraine deux jours seulement après le début de l’invasion, Il n’a pas d’attaches dans ce pays : ni famille ni ami. «Je me dis que si j’avais été à leur place, j’aurais aimé qu’on vienne à mon aide».
Poutine a déjà perdu la bataille de l’opinion qui condamne la Russie à l’isolement. Sa défaite idéologique se mesure à l’ampleur des mobilisations populaires un peu partout en Europe, à l’élan de solidarité pour les réfugiés, et aussi à l’intérieur de la Russie avec le magnifique élan de dignité de quelques milliers de voix héroïques qui bravent la répression.
Volodymyr Zelensky a publié un appel en hébreu aux Juifs du monde sur l’application de messagerie Telegram, après le bombardement du site commémoratif de Babi Yar : «Babi Yar est un lieu spécial à Kiev, un lieu spécial en Europe. Un lieu de prière, un lieu à la mémoire des milliers et des centaines de milliers de personnes qui ont été assassinées par les nazis. Un lieu où se trouvent les anciens cimetières de Kiev. Pourquoi un tel endroit devient-il la cible d’un tir de missile ? Vous tuez une deuxième fois les victimes de la Shoah. J’en appelle maintenant aux Juifs du monde entier : ne voyez-vous pas ce qui se passe ici ? C’est pour cela qu’il est important que les millions de Juifs à travers le monde entier ne restent pas silencieux face à de tels spectacles. Parce que le nazisme est né dans le silence. Dénoncez le meurtre de civils. Dénoncez le meurtre des Ukrainiens !»
De nombreuses associations comme United Hatzalah répondent déjà à cet appel. Les secouristes dans les villes d’Ouman, d’Odessa et de Kiev fournissent une aide médicale : bouteille d’oxygène, défibrillateur, médicaments. Deux ambulances ont été commandées.
[1] War with Russia, publié en 2017
[2] L’Express 1er mars 2022
[3] Marc Fiorentino
[4] Revue des deux mondes 28 Fév. 2022
[5] L’Express le 01/03/2022