Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps
Illustration : Zelenski et Herzog, deux présidents ensemble…
Dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine, Israël est dans une position délicate car il tient à garder de bonnes relations avec les deux parties. Le ministre israélien des Affaires étrangères, Yaïr Lapid, a condamné l’invasion russe en Ukraine comme «une violation grave de l’ordre international», mais il a rappelé les «relations profondes et durables» d’Israël aussi bien avec Kiev qu’avec Moscou. Pourtant, Israël est resté largement muet sur les actions de Moscou pour ne pas envenimer la situation. En 2019, Israël et l’Ukraine ont signé un accord commercial majeur et en décembre 2021, le ministre ukrainien de la Défense, Oleksiy Reznikov, s’était rendu en Israël.
Ce conflit armé pourrait entraîner des répercussions sur la politique intérieure d’Israël qui abrite près de 500.000 immigrants ukrainiens et plus de 400.000 originaires de Russie. Par ailleurs, les sanctions américaines contre la Russie pourraient nuire aux intérêts de sécurité d’Israël en Syrie où Tsahal agit presque librement contre les bases iraniennes et contre les transports d’armement du Hezbollah, avec l’aval tacite russe. Tsahal a toujours coordonné ses opérations avec Moscou mais cela risque de changer si Israël se range du côté des Américains pour condamner l’invasion russe.
La Russie a anticipé les inquiétudes d’Israël en affirmant son soutien aux besoins de sécurité d’Israël. Malgré le mécontentement de Moscou face aux déclarations israéliennes concernant son invasion de l’Ukraine, l’ambassadeur russe a rassuré le gouvernement israélien qu’il poursuivra sa coordination militaire avec Israël au sujet de la Syrie. On rappelle qu’à la suite de l’intervention russe de 2015 dans la guerre civile syrienne, Israël avait mis en place une action de coordination entre plusieurs chaînes de commandement militaires, pour réduire les risques de dégâts occasionnés par les actions respectives de chacune de ces chaînes de commandement, et susceptibles de causer des accidents. Il s’agit d’empêcher un affrontement entre Israël et la Russie, par inadvertance, lors des frappes israéliennes contre les déploiements iraniens et les transferts d’armes dans l’État arabe voisin.
L’ambassadeur d’Ukraine en Israël, Yevgeny Korneitchouk, a déclaré que, s’il comprenait que les liens sécuritaires délicats d’Israël avec Moscou empêchaient l’offre d’aide militaire à Kiev après l’invasion de la Russie, il s’attendait à plus de soutien sur le front diplomatique. Il aimerait plus précisément que les dirigeants israéliens utilisent leur poids diplomatique à Moscou pour favoriser une résolution pacifique du conflit : «Nos responsables militaires discutent quotidiennement des questions pratiques. Ce mécanisme s’est avéré utile et continuera de fonctionner».
Cependant la Russie a mis un bémol dans sa déclaration en précisant que, tout en exprimant son soutien aux besoins de sécurité d’Israël, elle réitérait son opposition aux violations de la souveraineté syrienne. Elle a aussi profité pour dénoncer «l’occupation des hauteurs du Golan» en évoquant «la position immuable de la Russie, selon laquelle nous ne reconnaissons pas la souveraineté israélienne sur les hauteurs du Golan qui sont une partie inaliénable de la Syrie». À quoi Tsahal a répondu : «Nos forces agiront en cas de besoin pour contrer les menaces, défendre le peuple d’Israël et notre souveraineté».
Pour sa part, Israël ne partage pas de frontières physiques terrestres ou maritimes avec la Russie ou l’Ukraine. Pourtant, il découvre que sa capacité à contrer militairement l’Iran et son allié libanais le Hezbollah en Syrie pourrait dépendre de son approche de la crise ukrainienne. Au début du mois de février, la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères Maria Zakharova avait condamné les frappes israéliennes contre des cibles en Syrie, les qualifiant de «violation grossière de la souveraineté de la Syrie». Elle a averti qu’elles «pourraient déclencher une forte escalade des tensions. De telles actions posent des risques sérieux pour les vols internationaux de passagers».
Le ministre israélien de la défense Benny Gantz a insisté : «Nous continuerons à empêcher l’implantation iranienne qui ronge la Syrie de l’intérieur. C’est un intérêt suprême pour le peuple et le régime syriens : stabiliser, retirer les forces iraniennes de leur territoire et permettre la réhabilitation du pays». Dans le même temps, le ministre des affaires étrangères Yaïr Lapid reconnaissait : «Nous avons une sorte de frontière avec la Russie étant donné la présence militaire russe en Syrie pour soutenir le président Bachar El-Assad».
Par conséquent, pris dans une impasse, Israël s’est empressé d’éviter de provoquer davantage la colère de la Russie. Il a annoncé qu’il interdisait aux États baltes de transférer vers l’Ukraine des armes comportant des composants israéliens. Mais, contrairement à la Turquie qui pense avoir une plus grande marge de manœuvre dans ses relations avec la Russie, la Chine et les États-Unis, Israël estime que ses options, comme dans le cas de la Chine, sont plus limitées lorsqu’il s’agit de la Russie. Il ne peut se permettre de mettre en péril ses relations avec Washington.
C’est ce qu’a expliqué la ministre israélienne des transports Merav Michaeli quelques heures avant que la crise ukrainienne n’atteigne son paroxysme : «Il ne fait aucun doute que la relation spéciale qu’Israël entretient avec les États-Unis, que ce gouvernement s’efforce de réhabiliter et de reconstruire, est à un autre niveau que celle qu’Israël entretient avec la Russie». Cependant, pour garder une certaine neutralité, Israël n’a pas signé la résolution soutenue par les États-Unis condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie et a tenté d’adopter un ton modéré sur la crise russo-ukrainienne.