Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps – illustration : matériel américain livré à l’Ukraine
Les dirigeants occidentaux ont toujours le don de ne pas croire aux paroles ou aux écrits des dictateurs. Hier, ils ont ignoré le Mein Kampf d’Hitler ; aujourd’hui ils se sont bouché les oreilles face au discours de Poutine. Contrairement à l’impression qu’il donne face aux médias, Vladimir Poutine est un homme peu sûr de lui, complexé physiquement et c’est pourquoi il est dangereux. Pour montrer sa puissance auprès de ses invités, il use d’une méthode peu diplomatique, voire à la limite de l’incorrection, le retard volontaire. Ainsi en 2014, il avait fait attendre Angela Merkel plus de quatre heures. Ces méthodes de voyou sont le signe d’absence de règles.
En 2018 à Paris, il était le dernier, de manière ostensible, à rejoindre ses homologues pour la commémoration de l’armistice. Il a par ailleurs le complexe de sa taille, 1,67m, ce qui avait presque entrainé un incident diplomatique lorsqu’un journaliste de l’AFP l’avait fait apparaître plus petit que les personnes qui l’entouraient. Alors, il porte des chaussures à talons pour paraître plus grand, des chaussures compensées dissimulées. Il veut donner l’impression d’être un sportif en arborant son torse nu, un plongeur, un pilote de jet, un cavalier alors qu’à 69 ans, il souffre de problèmes de dos. Très myope, il refuse de porter des lunettes au point de confondre ses interlocuteurs. Bon acteur, il joue dans la vie comme en politique.
Il est difficile de dire qu’il ait pris les Occidentaux par surprise car en juillet 2021 il avait exposé en détail sa politique : «Tout d’abord, je voudrais souligner que le mur qui s’est dressé ces dernières années entre la Russie et l’Ukraine est à mes yeux notre grand malheur et notre grande tragédie commune. Ce sont, avant tout, les conséquences de nos propres erreurs commises à différentes périodes. Mais elles sont aussi le résultat d’efforts délibérés de ces forces qui ont toujours cherché à saper notre unité. La formule qu’ils appliquent est connue depuis des temps immémoriaux : diviser pour régner. Pour mieux comprendre le présent et se projeter dans l’avenir, il faut se tourner vers l’histoire. Je me concentrerai sur les moments clés et cruciaux qu’il est important que nous nous souvenions, tant en Russie qu’en Ukraine. Les Russes, les Ukrainiens et les Biélorusses sont tous des descendants de l’ancienne Rus, qui était le plus grand État d’Europe. Les tribus slaves et autres à travers le vaste territoire – de Ladoga, Novgorod et Pskov à Kiev et Tchernigov – étaient liées par une langue (que nous appelons maintenant le vieux russe), des liens économiques, le règne des princes de la dynastie Rurik, et – après le baptême de Rus – la foi orthodoxe».
On ne peut pas être plus clair, pour lui l’Ukraine n’existe pas. Il résume le conflit en Ukraine en une lutte entre l’autocratie orientale et la démocratie occidentale. Oublié l’accord de Minsk signé en 2015 qui appelait au retrait des troupes étrangères et des mercenaires dans l’est de l’Ukraine. Il a été signé par Poutine pour la Russie, François Hollande pour la France, Angela Merkel pour l’Allemagne et Petro Porochenko pour l’Ukraine, mais n’a jamais été promulgué. C’était un accord mort-né. L’opinion de Poutine selon laquelle les Russes et les Ukrainiens forment un seul peuple et que l’Ukraine n’est pas un pays séparé est attribuable à ses origines au KGB.
Il est un fait que la Russie de Poutine a perdu l’Ukraine mais refuse de l’admettre. Le président Volodymyr Zelensky a fait preuve de beaucoup d’inexpérience face à un Russe prêt à tout. Il aurait dû être patient en organisant avant tout sa défense pour être capable de riposter face à un dictateur imprévisible. De nombreux pays étaient prêts à l’aider en le réarmant et en réorganisation son armée faible ou du moins insuffisance pour s’opposer au grand ours russe. L’aviation ukrainienne fait illusion, les tanks manquent dans le pays et la défense antiaérienne est inexistante. Il avait évalué cette faiblesse. D’ailleurs la seule menace permanente d’invasion a poussé les Ukrainiens à soutenir, trop tôt, la candidature du pays à l’Otan.
Certes il était difficile de croire à une guerre engagée par la Russie après sa défaite d’Afghanistan, pensant que Poutine ne cherchait qu’à forcer les États-Unis et l’Europe à négocier un nouveau pacte de sécurité. Le seul moyen de parvenir à ses fins était donc de négocier au son du canon. Il savait que la menace nucléaire l’immunisait contre une intervention musclée des Américains. D’ailleurs dans son discours la menace a été claire. Les Européens étant inexistants, il s’agissait d’un théâtre d’ombres. Alors tandis que Poutine montre ses lanceurs de missiles, Biden met en évidence les transferts d’armes au gouvernement de Kiev en publiant des photos d’avions remplis d’armes et d’équipements militaires et même des missiles Stinger. Poutine a interprété ces actes comme une provocation qui imposait une réaction ferme. Le «petit juif» Zelensky méritait une leçon même si la Russie risque gros en intervenant dans des zones peuplées qui rendent l’armée vulnérable.
L’Occident n’est pas à l’abri de critiques car il a ignoré les avertissements de Poutine concernant les préoccupations de la Russie, exprimées dès la conférence de Munich du 10 février 2007. Son discours a été interprété comme le manifeste le plus dur de tous les temps depuis l’ère de la guerre froide : l’expansion de l’OTAN, les problèmes de désarmement, l’érosion de l’OSCE en tant qu’institution, le problème nucléaire iranien et la sécurité énergétique de l’Europe. Mais personne n’a prêté une oreille attentive : «L’élargissement de l’OTAN n’a aucun rapport avec la modernisation de l’Alliance elle-même, ni avec la garantie de la sécurité en Europe. Au contraire, il représente une grave provocation qui réduit le niveau de confiance mutuelle».
Poutine veut que l’Ukraine renonce à sa candidature à l’Otan. L’Union soviétique avait reculé en 1962 face à la menace de guerre de Kennedy qui ne supportait pas les missiles russes installés à Cuba. Poutine souhait aujourd’hui la même reculade consistant à éloigner les missiles de la frontière russe. Les Ukrainiens, dont le nouveau gouvernement a été organisé par des radicaux autoproclamés, bénéficiant d’un soutien diplomatique et politique important de l’Occident, ont été optimistes. Mais personne ne souhaitait mourir pour l’Ukraine. Le changement radical de gouvernement a entraîné la rupture totale des relations entre Moscou et Kiev, la perte de la Crimée et les hostilités dans le Donbass. Poutine avait averti qu’une véritable démocratie ne mûrit jamais dans de telles conditions.
Aujourd’hui Poutine se lance dans une guerre coûteuse pour une économie chancelante. Il s’était préparé en augmentant la part du matériel militaire moderne dans ses forces armées jusqu’à 71% (en 2010, le taux n’était que de 15%), mais, comme l’a dit Poutine lui-même, Moscou est incapable de rivaliser avec les dépenses militaires de Washington et ne voit aucune raison de le faire.
Mais Washington a depuis longtemps décidé de ne plus envoyer ses boys se faire tuer pour des étrangers. Alors la seule arme qui reste est à double tranchant. Les sanctions et le boycott auraient beaucoup plus d’impact sur l’Occident dont l’économie est totalement imbriquée dans celle de la Russie. D’ailleurs la Bourse vient de marquer de grands signes de faiblesse. Il n’est pas sûr que Poutine recule même si son économie s’effondre. Il trouvera toujours des nervis prêts à se substituer à l’Occident. La Chine, l’Iran et de nombreux pays africains sont prêts à modifier leurs alliances pour punir ceux qui les ont ignorés pendant longtemps.
Cette guerre d’Ukraine est importante d’enseignements pour Israël. Il sait qu’il sera toujours seul à s’opposer à ses ennemis. Il doit donc toujours être fort, ne comptant que sur Tsahal bien armé et ses soldats pour sa défense. Il doit donc disposer des meilleurs systèmes de défense et d’une technologie à toute épreuve de façon à organiser sa propre dissuasion. La leçon de Poutine est édifiante. Les petits pays de l’ancienne Urss sont voués à disparaitre pour être absorbés dans le grand empire russe reconstitué.
L’Occident est dompté, l’Europe de la défense n’existe pas. En succombant à la menace nucléaire, il montre sa faiblesse qui avait été déjà soulevée par le général de Gaulle dans un discours ; «A un certain point de menace de la part d’un impérialisme ambitieux, tout recul a pour effet de surexciter l’agresseur». Les alliances sont vouées à être économiques et non plus militaires tant que l’arme nucléaire brandie par les dictateurs neutralisera toute velléité de s’interposer pour défendre les faibles.