Par Maurice-Ruben HAYOUN Jforum
Le spectacle de plus en plus désolant de la réalité politique dans l’Etat hébreu suscite les plus fortes inquiétudes. Mais que se passe-t-il donc ? Pourquoi un homme politique surdoué, à la longévité exceptionnelle, cristallise-t-il sur sa personne une telle détestation, pour ne pas dire une telle haine ?
C’est un récent débat diffusé par la chaîne I24News à l’occasion de la première comparution de l’actuel Premier Ministre israélien qui m’incite à prendre la plume. J’ai trouvé insupportable l’attitude de certains opposants qui débordent de haine lorsqu’il s’agit d’évaluer l’action de Benjamin Netanyahou au service de son pays..
Je ne reviendrai pas sur les grands moments de la carrière et de l’action politique de ce fils de philosophe, le défunt professeur Benzion Netanyahou. Le Premier Ministre avait un frère, mort lors du merveilleux coup de main de l’armée pour libérer les otages d’Entebbe. Mis en orbite par les dirigeants du grand parti de la droite israélienne, Netanyahou a su conquérir la première place, au Likoud, et à la conserver.
Depuis, sa vie se confond avec la politique israélienne. Mais depuis ses premiers pas en politique, les positions de la droite et de la gauche se sont durcies, même si la droitisation de l’électorat israélien est indéniable.
Je ne reviendrai pas non plus sur cette incroyable cascade d’élections dont les résultats n’ont pas vraiment départagé les candidats à la députation. Mais c’est là que surgit l’inexplicable paradoxe : alors que tous les sondages, sans exception aucune, donnent Netanyahou comme étant le seul à pouvoir exercer les fonctions de chef du gouvernement, le reste ne suit pas. Je veux dire que tout en reconnaissant le savoir-faire politique de l’homme, les votants refusent de lui donner une majorité stable et confortable Toutes les sensibilités politiques se reconnaissent dans ce choix : Netanyahou est bien le meilleur postulant, mais on se refuse à lui donner une sorte de blanc-seing pour qu’il gouverne à sa guise…
L’incontournable nécessité d’une coalition politique pour diriger ce pays n’explique pas tout. Je crois qu’il y a autre chose qui relève presque de la psychanalyse : comment un petit pays, dont l’existence même est menacée depuis sa naissance, dépense-t-il une telle énergie pour se débarrasser de son leader suprême au lieu de se concentrer sur de vraies difficultés ? Faut il reparler de ces groupes de mécontents qui manifestent depuis des mois à Jérusalem, non loin de la résidence officielle du Premier Ministre ? Faut il aussi évoquer leurs compagnons d’infortune qui en font de même devant la résidence privée du Premier Ministre à Césarée ?
Même l’interdiction de manifester, en raison du non-respect des gestes barrières pour combattre l’épidémie n’ont pas affaibli la détermination du Premier Ministre à se maintenir au sommet et à continuer à servir son pays. Il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails des mérites qu’il s’est acquis au service de son pays qu’il dirige depuis plus de dix ans. Et c’est peut-être là que le bât blesse : comment changer de politique, comment faire pour remettre le pouvoir en d’autres mains que celles d’un Premier Ministre de droite ? Toutes les consultations électorales n’ont pas permis aux opposants de s’affirmer et d’imprimer une autre orientation politique à l’Etat juif. Et selon les partisans du Premier Ministre, la coalition anti-Netanyahou n’a pas réussi à le chasser du pouvoir par la voie des élections, elle s’est alors rabattue sur l’action judiciaire. En clair, ces accusations de corruption ou de trafic d’influence étaient censées barrer la route à Netanyahou et à remettre le pouvoir en d’autres mains. Mais cela n’a pas marché et il semble que, de convocations en renvois, on s’achemine vers une langue guerre de tranchées judiciaires.
Comme chacun sait, je ne suis pas juriste mais je dispose tout de même d’une saine faculté de jugement. Et tout en reconnaissant que le Premier Ministre n’est pas ni un ange ni un saint, je note que sans ses incroyables qualités de résistance et sa volonté inflexible de survie, cet homme aurait déjà disparu depuis longtemps. La vie en Israël est exaltante et belle mais elle est dure et au plan politique, elle est même d’une très grande cruauté. Il suffit de voir la haine contenue dans le discours partisan. Je le répète, comment expliquer (je ne parle pas de justifier) cette haine de soi qui se donne libre cours dans le débat ; car en haïssant leur Premier Ministre, ces citoyens d’Israël se haïssent eux-mêmes à travers leur dirigeant suprême. Je ne connais pas d’autre démocratie que la démocratie israélienne dans cette région du monde. Et les accusations de corruption ou de népotisme ou d’autre chose sont sans cesse contestées par les amis du Premier Ministre. Et s’il m’est permis de donner une opinion personnelle de non-juriste sur le sérieux de telles charges, je dirais que les juges ont mieux à faire que de dépenser leur temps et leur énergie en pure perte…
L’ère nouvelle qui s’ouvre, notamment avec le changement de direction politique des USA, amis indéfectibles de l’Etat d’Israël, devrait modérer les transports de certains qui rêvent de jouer un rôle et d’exercer le pouvoir. Mais voilà, scruter le pouvoir ne prépare pas nécessairement à l’exercer. Quand je réalise que le principal concurrent de Netanyahou qui a commencé sa carrière de vice Premier Ministre avec près de trente députés et qui en est à se demander aujourd’hui s’il va franchir le seuil d’éligibilité, je me frotte les yeux. Et en face, je veux dire du côté du Likoud, c’est toujours la même fourchette : entre 29 et 31 sièges. Et, ce, en défit de la dissidence d’un transfuge qui pense pouvoir bousculer les échéances et prendre la première place. Mais les jeux sont loin d’être faits, les dès ne sont pas encore jetés.
Alors, comment sortir de cette impasse ? Et pourquoi l’électorat israélien est-il si divisé ? J’avoue ne pas comprendre le fin mot de ce paradoxe : on ne voit pas de meilleur candidat aux fonctions de Premier Ministre et pourtant on refuse de lui donner les moyens de gouverner. En d’autres termes, une majorité franche et claire. Je crois que cela relève aussi d’autre chose que de la politique pure et simple.
Les aspirations des habitants de ce pays si cher à notre cœur sont très différentes selon que l’on s’adresse à telle ou telle autre frange de la population. On a l’impression d’avoir à faire à la dialectique hégélienne qui avance par contradictions surmontées : veut-on une théocratie comme le disait Flavius Josèphe ? Veut-on une république laïque ? Veut-on l’art du possible, la politique telle qu’elle se pratique partout ailleurs, ou rêve-t-on de l’implantation du royaume de D’ sur cette terre (Le-takken ‘olam be malkhou Shakaï) ? En somme, l’Etat d’Israël est-il un Etat comme les autres ? Et ces problématiques vont bien au-delà d’une simple accusation de corruption…
L’heure des grands choix arrive. Jusqu’à présent, on s’est contenté de repousser à plus tard les grandes décisions. Gouverner est un art difficile et en Israël, dans un tel climat, cet art l’est nettement plus. Est-ce que les nouvelles élections du mois de mars vont permettre à ce pays de sortir de cette impasse politique alors que de graves décisions doivent être prises dans les prochain mois ? Ce n’est pas évident. Mais une chose l’est, assurément : Benjamin Netanyahou a fait la preuve de sa supériorité politique par rapport à tous ses concurrents. Ceci n’est pas un plaidoyer pro domo, c’est un texte qui veut rendre justice à un homme politique exceptionnel qui n’a pas succombé malgré l’infliction de tant de sévices moraux et politiques.
Comme toujours dans le règne de l’humain, on ne rend justice aux grands hommes qu’après leur départ de cette terre. Mais je pense que Benjamin Netanyahou sera une heureuse exception à cette triste règle. Que ses adversaires le combattent donc avec des armes autres que celles de la diffamation et de la haine partisane. Ils se grandiraient ainsi et pourraient se croire investis d’une noble cause. Mais c’est encore loin d’être le cas.
Maurice-Ruben HAYOUN
Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à l’université de Genève. Son dernier ouvrage: La pratique religieuse juive, Éditions Geuthner, Paris / Beyrouth 2020 Regard de la tradition juive sur le monde. Genève, Slatkine, 2020