J’ai quitté mon pays…

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Réflexion sur la paracha de la semaine par le rav Mordékhai Bismuth:

Dit Hachem à Avram : “Va pour toi hors de ton pays, de ton lieu de naissance, et de la maison de ton père, vers le pays que Je te montrerai” (Beréchith 12,1)

Rachi: « Va pour toi », pour ton bonheur et pour ton bien. C’est là-bas que Je te ferai devenir une grande nation. Ici tu n’auras pas la faveur d’avoir des enfants. Et de plus, Je ferai connaitre ta nature à travers le monde.

À la lecture de ce Rachi, il y a de quoi s’étonner. Comme nous le savons, Avraham a été éprouvé à dix reprises par Hakadoch Baroukh Hou. L’une d’entre elles a été celle de partir et de quitter le pays natal et la maison parentale, celle que nous présente notre paracha.

Or voilà que Rachi nous précise que ce départ est pour son bonheur et pour son bien, c’est là-bas qu’il deviendra une grande nation….

La question que pose grand nombre de commentateurs est que s’il en est ainsi, en quoi donc ce départ est une épreuve ? Quelle épreuve ou difficulté de quitter un endroit où l’on ne possède pas vraiment grand-chose, contre un autre ou l’on nous assure argent, enfant, renom… En plus de ça, pas n’importe quelle promesse, une promesse faite par Hakadoch Barou’h Hou lui-même, c’est du 100% !

Seconde question, parmi ces 10 épreuves, l’une d’entre elles fut celle de la fournaise, où Avraham n’hésita pas à se jeter dedans. Étrangement, cet épisode ne figure pas dans la Tora, juste une petite allusion. Si ce n’est le Midrach qui nous le rapporte.

Par contre pour l’épreuve de « lekh lekha », c’est tout une paracha qui en porte son nom. Des versets qui se succèdent pour expliquer comment Avraham qui son pays, sa maison, sa famille.

Pourquoi la Tora ne mentionne pas le fantastique épisode de la fournaise? Un verset, un mot…

Rappelons-le la Tora n’est pas un livre d’histoires, elle ne vient pas que raconter le passé. Si la Tora estime qui est plus important de relater l’épreuve de Lekh Lekha que celui de la fournaise, c’est pour nous apprendre ce que la Torah attend de nous, et quel héritage, Avraham notre père, nous a laissé.

Se jeter dans une fournaise pour l’amour de D’, c’est beau, c’est une belle preuve d’amour et confiance en D’. Mourir en kidouch Hachem, pour l’honneur d’Hachem.

Cependant d’autres nations sont aussi capables de le faire, de mourir pour D’, se faire exploser pour l’amour de D’… En réalité cette épreuve est certes impressionnante, mais pas insurmontable.

Par contre celle de « lekh lekha » est beaucoup plus dure et plus éprouvante. Il existe une conduite plus difficile que de mourir en kidouch Hachem, c’est de vivre en kidouch Hachem !

En accomplissant l’ordre d’Hachem, Avraham va procéder au changement de sa nature, il va devoir prendre sur soi, travailler ses midot, et propager cette attitude tout au long de son parcours.

En effet, après l’épisode de la fournaise, Avraham est devenu à Hour Kasdim, son pays natal, une véritable personnalité de renom. Il a des élèves, des établissements… mais Hachem lui ordonne de tout quitter et de partir. Où ? Il ne le sait même pas ! Combien de temps ? Non plus !

Alors, pourquoi partir ?! Juste parce qu’Hachem lui a ordonné !!

Nous comprenons maintenant en quoi l’épreuve de « lekh lekha » est plus grande que celle de la fournaise, mais il reste à éclaircir en quoi donc ce départ est une épreuve ?

Le Ketav Sofer explique que l’épreuve de « Lekh Lekha » est une épreuve en deux temps. C’est-à-dire que Hachem lui ordonne de partir, tout en lui garantissant une assurance tout risque.

Mais tout juste après quitté sa ville natale, Avraham doit affronter une terrible famine.

Est-ce qu’Avraham Avinou va se rebeller contre Hachem, sous prétexte que la promesse de Hachem est caduque ? Cette réponse aurait pu nous satisfaire et convenir à notre question initiale, mais il faut savoir que la famine est une épreuve en soi.

La véritable épreuve de « lekh lekha » va être sur les intentions de son départ. Va-t-il partir pour les fabuleuses promesses ou tout simplement parce que Hachem lui a ordonné ?

Avraham Avinou va démontrer que son départ du cocon familial ne sera pas pour les promesses et bénédictions, mais tout simplement parce que Hachem lui le demande.

On découvre par cette épreuve, la notion d’agir « lechem Chamayim ».

Comme il est ecrit (Beréchit 12,4) « Et Avram s’en alla comme lui parla Hachem… »

En effet, le fait que le verset nous dise qu’« Avraham s’en alla comme lui parla/dabère Hachem », exprime bien que ses intentions étaient pures et louables. En effet, la notion de « dabère », fait toujours référence à une ordonnance.

Des intentions qui furent bien différentes chez son compagnon de route, son neveu Lot, car même s’il est vrai qui l’accompagna, sa motivation était tout autre. Comme l’indique la suite de notre verset : « Lot alla avec lui, et Avram était âgé de 75 ans… ».

Le fait que la Tora nous précise ici et pas ailleurs l’âge d’Avraham, c’est pour souligner que Lot le suivit parce qu’il avait déjà 75 ans et toujours pas d’enfant. Ce qui positionne Lot comme seul et unique héritier d’un Avraham béni des meilleures bénédictions par Hachem lui-même.

Aussi nous pouvons voir un autre point intéressant sur l’ordonnance de Hachem à Avraham.

En effet, de nombreux commentateurs s’étonnent sur la tournure de ce verset. Si la Tora écrit « Va pour toi hors de ton pays », cela inclut automatiquement son lieu de naissance et la maison de son père. Selon « notre » logique le verset aurait dû s’écrire dans cet ordre : «  Va pour toi hors de la maison de ton père, ton lieu de naissance et de ton pays… »

La Tora vient ici nous enseigner que justement NON, il est possible de quitter son pays, sans quitter son lieu de naissance, ou la maison de son père.

Prenons comme exemple le français qui quitte son pays, la France, au niveau géographique. Ensuite il y a son lieu natal là où il est né et qu’il a grandi. Plus dans le détail, par exemple les personnes d’Afrique du Nord qui sont différents : le tunisien, le marocain ou ceux qui viennent d’Europe de l’Est comme l’ashkenaze… même s’ils sont sortis de leur pays il leur reste encore un petit quelque chose de là où ils sont nés, un couscous-boulette, une daf ou un gifelte fish.

Enfin, il y a le cocon familial, même au bout du monde il y a des coutumes et des habitudes qu’un homme ne pourra abandonner, elles sont ancrées en lui.

La Tora nous dévoile que la réussite d’Avraham allait dépendre de cette déconnexion, et pour qu’il puisse obtenir toutes les promesses de Hachem, il a dû se connecter complètement avec Hakadoch Baroukh Hou et de l’autre côté se déconnecter complètement des autres.

Pour avancer véritablement, il faut savoir se déconnecter complètement…il faut savoir parfois faire le tri autour de soi, ce qui est nuisible ou pas, et cela pas uniquement pour la Tora, même pour le bien-être de son couple, de sa société, ou de soi-même… Il y a des gens ou des objets autour de nous qui parfois nous empêchent d’avancer, ils nous bloquent !

A ce sujet rav Pinkus zatsal rapporte l’histoire suivante :

En observant la grande porte du grand Beth Hamidrach de la Yechiva, il constate après un calcul simple qu’elle parcoure chaque jour plusieurs centaines de kilomètres… La porte est poussée chaque matin par plus de 300 baroukhim (étudiants) qui rentrent pour la tefila.

Pour chaque poussée exercée la porte parcours 2 mètres (ouverture-fermeture). Multiplions par les 300 élèves qui rentrent chaque matin dans le Beth Hamidrach cela représente 600 mètres. Ensuite ils sortent pour aller prendre le petit déjeuner, donc encore 600 mètres, puis ensuite il retourne au Beth Hamidrach pour étudier encore 600 mètres… ainsi de suite… une douzaine de fois par jour ce qui fait environ à la fin de la journée 6-7 kilomètre, à la fin de la semaine une cinquantaine…. et pourtant après déjà plusieurs années en poste à la Yechiva, avec des milliers de kilomètres au compteur, elle n’a pas bougé ! Mais pourquoi ?

La voiture elle avance, mais cette pauvre porte est là ! C’est tout simplement parce qu’elle est attachée ! Elle bouge certes, mais n’avance pas, et ce sera ainsi tant qu’elle sera attachée ! Le vrai problème c’est que l’on a peur du regard des autres, ne plus être comme tout le monde… Mais est ce que le juif doit être comme tout le monde pour réussir ?

Prenons par exemple les anglais, ils n’ont honte de personne. Leur volant est à droite, ils roulent dans l’autre sens, ils ne mesurent pas en mètre, n’utilisent pas les euros, ils sont restés eux-mêmes, majestueux ! Ils ont su rester authentiques.

Nos Sages nous enseignent : « Mieux vaut pour l’homme être traité de fou toute sa vie plutôt que d’être mauvais un seul instant aux yeux de D’. »

Le rav Sitruck zatsal disait : « Mieux vaut le courage de la solitude, que la lâcheté de la société »

La vie étant un éternel recommencement, Hachem a placé nos pères dans toutes les situations qu’un homme peut vivre, afin que leur exemple puisse nous apporter des solutions dans nos vies de tous les jours.

L’épreuve d’Avraham est la nôtre quotidiennement, le fait de surmonter son instinct face aux pressions de la société.

Pour certains c’est très dur car cela signifie abandonner tout ce qu’ils ont construit pendant toute leur vie, pour recommencer à zéro, pour l’honneur de Hachem.

Mais même si nous fonçons les yeux fermés dans les voies de Hachem, en faisant Tora et Mitsvoth, avec comme promesse que Hachem remplira nos vies de bénédictions si nous sommes dans Ses voies, nous allons tout de suite être éprouvés par diverses épreuves dont le regard des autres ou l’abstraction de certains plaisirs etc.

Comme Avraham, qui malgré les promesses va subir la famine, restons fidèles à Hachem, montrons-Lui que notre but est de Lui donner de la satisfaction et Lui montrer combien nous L’aimons.

Et surtout dans ces temps très compliqués, où nous ne savons pas où Hachem veut nous emmener, il faut garder confiance. Renforçons-nous et nous aurons le mérite d’assister très très prochainement à la venue du Machia’h, bimehéra béyaménou Amen !

Chabbath Chalom

Rav Mordékhai Bismuth

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