Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps
La reconnaissance d’Israël par les Émirats Arabes Unis n’a pas été appréciée par les Palestiniens qui y voient une brèche dans la solidarité arabe. Eux qui ont signé une dizaine d’accords d’unification du Fatah et du Hamas sans un seul début de réalisation, ont trouvé l’occasion de chercher à dépasser les obstacles qui les séparent. Alors le 3 septembre, contre toute attente, une réunion de réconciliation a eu lieu à Ramallah avec les chefs locaux des factions palestiniennes et ceux de Beyrouth par visio-conférence. Le maître-d’œuvre était le président Abbas qui voulait ainsi reprendre pied sur la scène internationale en manifestant son opposition aux plans américains et à leurs accords de normalisation.
Le dirigeant du Fatah Jibril Rajoub été chargé du communiqué final appelant les participants à la résistance populaire pacifique et à la définition d’une stratégie unifiée qui sera soumise à l’agrément du Comité central de l’OLP.
Hanan Ashrawi, membre du comité exécutif de l’Olp, qui a vécu les expériences du passé, consciente des difficultés, a bien voulu préciser que rien ne se fera sans une volonté politique : «Nous avons besoin des élections comme mécanisme pour provoquer le changement et pour construire un processus démocratique unificateur. Un tel processus peut offrir aux jeunes et aux femmes palestiniennes des opportunités d’accéder à des postes de décision et de s’attaquer aux dangers et aux défis tout en menant un effort de correction dont le besoin est criant».
L’expérience passée montre qu’il est peu probable que l’unité se fasse car les changements obligatoires trouveront sur leur chemin des intérêts contradictoires au sein des clans palestiniens. La création d’un mouvement solide qui dépassera les clivages est peu probable car le Fatah est devenu un parti administratif, faible, en charge d’une caisse de résonance auprès d’une population résignée. Le Hamas a ses propres problèmes de survie économique depuis que Mahmoud Abbas a supprimé le financement des fonctionnaires. Quant aux jeunes qui sont censés apporter un souffle nouveau, ils sont bridés par des dirigeants vieillis qui veillent uniquement à protéger leur leadership.
Pour Ali Jarbawi, ancien ministre et actuel professeur de sciences politiques à l’université de Birzeit en Cisjordanie : «La résistance populaire pacifique nécessite la capacité de déplacer les gens et de gagner leur confiance, et cela n’est pas présent et ne peut pas venir d’une décision. Il faut que les gens aient confiance en leur leadership et en la viabilité du projet national».
Les Palestiniens sont conscients qu’ils ne peuvent plus s’opposer à la volonté de certains pays arabes de collaborer, officiellement ou officieusement, avec l’Etat d’Israël. Ils sont surtout impuissants à contrecarrer les ambitions personnelles de leurs dirigeants inamovibles. Tous les intellectuels arabes manifestent leur scepticisme. Khalil Jahshan, directeur du Centre arabe de Washington a déclaré qu’en «tant que Palestinien, il trouvait l’effort d’unité intéressant et important, mais en tant qu’analyste, il s’est dit sceptique. C’est une étape importante en cette période difficile. J’espère que cela va au-delà de la déclaration symbolique et pourra être traduit en action qui rassemble les factions pour aider le peuple palestinien à relever le défi anormal causé par la déclaration de guerre que l’administration Trump et le Premier ministre israélien Netanyahou ont lancé contre les Palestiniens».
Effectivement nous sommes dans une situation déjà vécue. Les clans palestiniens ont des différences intrinsèques qui poussent le Fatah à refuser de partager le pouvoir et son opposition à avoir peur de gouverner. Ils ne sont pas prêts à changer de logiciel politique et de mentalité sachant qu’il faut passer par un remplacement de leurs dirigeants, vieillis ou usés. Or, le salut passe par un leadership unifié. Les Palestiniens de l’étranger, pleins d’espoir, parce qu’ils attendaient en vain cette opportunité, n’y croient guère. Sensibilisés à la démocratie dans les pays où ils vivent, ils critiquent l’absence de jeunes et de femmes dans ces réunions au sommet et exigent l’impossible, à savoir des élections mondiales palestiniennes pour mieux impliquer la diaspora.
La journaliste et bloggeuse, Dima Khatib, est définitive dans son diagnostic : «Nous avons besoin d’un nouveau sang de leadership – en particulier des femmes et des jeunes – et nous avons besoin d’une vision claire, d’une stratégie et d’un mécanisme pour y parvenir. Il y a beaucoup de Palestiniens talentueux dans tous les domaines et nous devons trouver un moyen de les impliquer tous». Mais pour cela il faut que les anciens abandonnent à la fois leur place et le fromage qui est associé.
Mahmoud Abbas et le chef du Hamas Ismaël Haniyeh installé à Beyrouth, ont tenu une réunion virtuelle pour promouvoir l’unité palestinienne face à l’établissement des relations diplomatiques entre les Émirats. Haniyeh a qualifié cette rencontre télématique d’«historique» et a déclaré qu’un «saut qualitatif a été fait ces derniers mois» pour mettre fin à la division entre les deux clans remontant à 14 ans. Bien sûr, les deux dirigeants ont été unanimes pour rejeter le pacte de normalisation entre Israël et les Émirats. Ils croyaient que le plan de paix de Donald Trump tendait à résoudre le conflit israélo-palestinien en créant un État palestinien avec un soutien financier important. Mais la communauté arabe et les Palestiniens ont rejeté l’offre américaine car elle envisageait l’annexion des territoires de Cisjordanie par Israël.
Mahmoud Abbas refuse que les États-Unis soient les seuls médiateurs à une table de négociations. Quand à Haniyeh, il persiste dans ses antiennes. Il exige le droit au retour des réfugiés arabes et surtout Jérusalem comme capitale palestinienne. Pour lui, il faut s’entendre sur un «programme politique national commun comme alternative aux accords d’Oslo de 1993» et «mettre fin à la division et construire une position palestinienne unifiée».
Les rêves n’ont pas de limites.