Pompeo en Israël en pleine galère sanitaire

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Par Jacques BENILLOUCHE  © Temps et Contretemps

                      Le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, a planifié une brève visite en Israël, le 13 mai, en pleine pandémie de coronavirus et de verrouillage des vols depuis l’étranger. Selon le Département d’État, le voyage a uniquement pour but de discuter des plans de Benjamin Netanyahou sur son projet d’annexer des implantations de Cisjordanie. Pompeo profitera aussi de l’occasion pour rencontrer officiellement Benny Gantz, le nouveau partenaire de la coalition et premier ministre suppléant.

            Selon la porte-parole Morgan Ortagus, «Pompeo discutera des efforts des États-Unis et d’Israël pour lutter contre la pandémie de Covid-19, ainsi que des problèmes de sécurité régionale liés à l’influence malveillante de l’Iran. L’engagement américain envers Israël n’a jamais été aussi fort que sous la direction du président Trump. Les États-Unis et Israël feront face à des menaces à la sécurité et à la prospérité de nos peuples. En ces temps difficiles, nous soutenons nos amis et nos amis nous soutiennent».

            David Schenker, secrétaire d’État adjoint aux Affaires du Proche-Orient, a refusé de commenter l’évolution des discussions sur l’annexion. Il a simplement précisé qu’un comité de cartographie, conjoint américano-israélien, n’avait pas encore achevé ses travaux pour déterminer les frontières spécifiques qui pourraient être proposées au final. Donald Trump est le seul dirigeant mondial qui soutient l’annexion d’une partie de la Cisjordanie alors qu’un éventuel État palestinien devrait y voir le jour. Les Américains ont cependant posé une condition, pas très explicite, selon laquelle Israël doit accepter d’engager des pourparlers de paix avec les Palestiniens.

            Pour la petite Histoire, la loi c’est la loi. Pompeo a demandé à bénéficier d’exemptions aux restrictions israéliennes pour lui et sa délégation car les visiteurs étrangers entrant en Israël doivent être mis en quarantaine pendant 14 jours. Mais il a précisé qu’il restera un temps limité en Israël, juste pour assister à l’intronisation du gouvernement israélien le 14 mai. Prévue au départ pour le 13 mai, la cérémonie a été décalée en raison de la visite américaine.

            Le département d’État prend l’affaire sanitaire très au sérieux ; le Dr William Walters, directeur adjoint des opérations médicales, a précisé que la visite serait «hautement chorégraphiée», puisque Pompeo et son équipe seront soumis à des contrôles médicaux fréquents et porteront des masques de protection. Dans ces conditions, Israël a accepté de dispenser de quarantaine toute la délégation en précisant qu’elle avait été invitée par le gouvernement israélien «pour montrer les relations solides entre les nouvelles nations à une période de malaise mondial face à la pandémie».

            Si les Israéliens ont souhaité que les menaces posées par l’Iran à Israël soient aussi au menu des discussions, en revanche les Américains ont inclus de leur côté un sujet qui les préoccupe depuis quelque temps, les activités commerciales israéliennes avec la Chine. Pour Pompeo : «Nous parlons souvent à nos amis en Israël de ces risques». Il profitera de s’entretenir avec Benny Gantz, qui prendra le relais dans 18 mois, et avec le futur ministre des affaires étrangères, Gabi Ashkenazi.

            L’accord de coalition prévoit que le gouvernement propose après le 1er juillet, une solution d’annexion à laquelle Benny Gantz, contractuellement, ne peut pas s’opposer. Donald Trump semble pressé de modifier la carte du Proche-Orient ; cette fois, il est demandeur. En effet, une fenêtre étroite le sépare de l’élection présidentielle américaine de novembre. Il est en difficulté et a besoin d’un coup de pouce de la part des électeurs pro-israéliens et des Chrétiens évangélistes très influents.

          En effet, Joe Biden a comblé son retard dans les sondages ce qui fait que l’élection de Trump n’est plus pliée. Le candidat démocrate a clairement déclaré qu’il s’opposait aux décisions unilatérales d’Israël, se conformant ainsi aux décennies antérieures de politique américaine. Mais en pleine campagne électorale, il ne peut pas se couper de son électorat juif, pro-israélien ; il prendra certainement une attitude attentiste. Il faut noter cependant que le plan de Trump stipule que toute décision doit être coordonnée avec les États-Unis pour garantir la stabilité régionale.

            Le projet proposé par Netanyahou a été rejeté par la totalité de la communauté internationale y compris l’Union européenne et les principaux pays arabes bien qu’il prévoie comme condition d’application qu’Israël accepte de négocier avec les Palestiniens. Israël est à présent en position de force puisqu’il dispose enfin d’un gouvernement d’union nationale, avec une bonne majorité qui élimine tout incertitude politique. Les Américains évitent de montrer qu’ils font pression. D’ailleurs Pompeo a tenu à réaffirmer que «l’annexion est une décision israélienne. Et nous travaillerons en étroite collaboration pour partager avec eux notre point de vue à ce sujet dans un cadre privé». Donc pour lui, les Israéliens sont  seuls maîtres de leur décision.

Les Palestiniens critiquent la position que veut leur imposer Washington : «Il est très clair que la question de l’annexion des terres palestiniennes occupées est considérée par l’administration américaine actuelle comme s’il s’agissait uniquement d’une question bilatérale entre Israël et les États-Unis, et non avec d’autres parties qui ont rejeté l’accord de Trump du siècle». Ils trouvent «troublant» le moment de la visite : «Cela arrive à un moment où le tout premier gouvernement israélien s’est engagé dans son accord de coalition à voler littéralement les terres d’un autre peuple sous le couvert d’un feu vert américain. La communauté internationale, après la Seconde Guerre mondiale, s’est engagée à interdire de prendre des terres par la guerre. Israël, clairement avec l’approbation de Washington, viole à nouveau cet engagement mondial le plus sacré».

            En revanche, il est étonnant que Pompeo n’ait pas prévu de visite en Jordanie, alors qu’il est de coutume que les secrétaires d’État incluent toujours une halte à Amman dans leur itinéraire au Moyen-Orient. Les Palestiniens interprètent cette lacune à leur façon : «La Jordanie considère l’annexion comme une menace existentielle et une menace à la paix régionale. En ne visitant pas la Jordanie, Pompeo confirme son parti pris pour Israël et son attachement à une idéologie chrétienne-sioniste radicale, qui est en violation de l’ordre mondial tel que nous le connaissons».

            En Israël on minimise la colère des Jordaniens car les États-Unis arriveront à leur faire comprendre leur décision. Les Israéliens ne qualifient pas leur projet d’annexion mais d’une extension de leur souveraineté ou de la confirmation juridique d’une occupation de fait de longue date. Ils pensent que, compte tenu de la recomposition du paysage politique au Moyen-Orient, la Jordanie trouvera un intérêt personnel à être protégée par des forces israéliennes voisines.

            Trump s’est engagé personnellement car il fait face à une bataille difficile en raison de sa mauvaise gestion du coronavirus qui pourrait lui coûter sa présidence. Il ne tient pas compte de l’avis négligeable de l’Union européenne qui n’a aucune politique étrangère commune. Mais plusieurs pays européens, la France en particulier, souhaitent mettre en place des mesures de rétorsion contre Tel-Aviv en cas d’annexion de territoires palestiniens. On voit mal Emmanuel Macron agir seul en pleine crise économique.

            Israël voudrait par ailleurs inclure à l’ordre du jour de la visite de Pompeo l’influence croissante de l’Iran dans la région. Le ministre de la Défense, Naftali Bennett, vient de déclarer qu’Israël «poursuivrait ses opérations en Syrie et ne se reposerait pas tant que les forces iraniennes n’auraient pas quitté le pays». De leur côté, les États-Unis veulent voir la présence iranienne «diminuée» et l’influence de Téhéran dans la région, éliminée.

          Netanyahou et Trump sont sur la même longueur d’onde en ce qui concerne la présence militaire iranienne en Syrie mais les Américains semblent vouloir compter uniquement sur les moyens militaires de Tsahal. Pompeo devra dire s’il est prêt à coordonner concrètement ses actions avec Israël alors que les Iraniens continuent leurs provocations dans le Golfe, ainsi qu’en Irak.

 

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