A la veille de la visite du Président Macron à Jérusalem – Rappel historique :
En 1851, Félicien de Saulcy, ancien artilleur et ami de Napoléon III, explore un site vénéré depuis des siècles par les Juifs alors sous le joug terrible de la dhimmitude instituée par le calife Omar (638) ; ce joug leur imposait toutes sortes de vexations dont le port, pour la première fois, d’une étoffe jaune… Stigmatisés et plus que marginalisés, ils étaient des proies. Ils avaient déjà été colonisés par les Assyriens, les Babyloniens, les Perses, les Grecs et les Romains, ils l’étaient alors par les Musulmans. De joug en joug sans jamais rien tendre.
De Saulcy, convaincu par un guide local auto proclamé à la recherche de six sous, croit avoir localisé le tombeau des rois bibliques de Judée (Q’bour-el-Molouk signifie tombeau des rois). Sans se poser plus de question, il copie la fresque du linteau de l’entrée et la présente à l’académie des Belles Lettres : quolibets, une fresque typiquement gréco-romaine ne peut orner la sépulture de rois bibliques…
Animé de sa conviction, sans tenir compte ni des avis de Chateaubriand qui en 1806 ne s’en était pas laissé conter par son guide, ni de l’identification du site par E. Robinson comme la sépulture d’Hélène d’Adiabène, la reine kurde convertie au judaïsme du temps du roi Hérode, il reprend ses fouilles en 1863. Il a obtenu des autorisations de Constantinople. Comment refuser quoique ce soit à l’allié qui vous a sauvé pendant la guerre de Crimée ? Rapidement, les Juifs hiérosolymitains s’inquiètent. De Saulcy pense les rassurer en affirmant que les restes humains trouvés sont carbonisés donc romains1… Mais, il trouve sur un sarcophage l’inscription en hébreu Tsada Malkhat. Il l’ouvre, les ossements tombent en poussière à l’exception d’un fémur. Pour ne pas avoir de difficultés, il fait recouvrir l’inscription d’argile2 et l’expose aux Juifs et au Pacha appelé en arbitrage mais un rabbin gratte un peu de l’ongle, reconnait la lettre dalet et s’indigne. Le pacha, S.E Kourchid, donne malgré tout raison au Français…
Les Juifs sont têtus, c’est bien connu. Le grand-rabbin de Jérusalem, rav Shmuel Salant, en appelle aux philanthropes juifs, une délégation se rend à Constantinople. Le site est fermé et l’envoyé califal, arrivé à Jaffa pour récupérer les objets du pillage, voit le navire de de Saulcy prendre la mer. Le rav Salant demande au Grand rabbin de France, Lazare Isidor, d’exiger du gouvernement français la fin des profanations et le rapatriement des ossements. Lazare Isidor propose aux philanthropes français d’acquérir le site pour le protéger définitivement. Isidor Il est tenu en grande estime, il avait été l’artisan, aidé par Adolphe Crémieux, de l’abolition par la Cour de cassation en 18463 du serment More judaïco, dernière mesure vexatoire judiciaire à l’encontre des Juifs de France.
Là, apparait Berthe Amélie Bertrand, née Levy mais convertie très jeune au catholicisme après la mort de son père que l’ostracisme antijuif avait exilé en Grande Bretagne. Elle conserve un attachement au judaïsme dont elle avait été arrachée. Petite cousine des banquiers Emile et Isaac Pereire, elle est aussi l’épouse d’Alexandre Bertrand, archéologue fondateur du Musée des antiquités nationales à Saint Germain en Laye (1867). Alexandre Bertrand connait bien Félicien de Saulcy. Madame Bertrand répond à l’appel du Grand-rabbin et se porte acquéreur du site.
Elle se tourne vers Salvatore Patrimonio, consul de France à Jérusalem, qui achète pour elle le terrain du tombeau pour 30.000 francs4. En 1874, elle fait don de son acquisition au Consistoire Central de France : Je, soussignée Bertha Amélie Bertrand, déclare qu’en faisant l’acquisition des terrains sur lesquels se trouve le tombeau dit « Tombeau des rois », à Jérusalem, je n’ai d’autre but que la conservation de cet antique et vénérable monument… c’est en souvenir de mes ancêtres que je veux préserver de toute profanation le Tombeau des rois…
Le grand-rabbin de France confirme au grand-rabbin de Jérusalem l’acquisition par Berthe Bertrand avec la volonté de garder la propriété israélite préservée de toute profanation du site et lui demande de prêter la main à l’accomplissement de formalités voulue par la loi ottomane… Copie est envoyée au consul de France. Le grand-rabbin de Jérusalem, rav Salant, écrit, lui aussi, au consul (21 août 1879) lui demandant d’avoir la bonté de faire ramasser les ossements jetés çà et là… et propose de les faire ensevelir aux propres dépens de sa communauté.
En réalité, Patrimonio n’a pas fait le transfert de nom, il est officiellement le propriétaire du site… Avait-il été inspiré par l’exemple du consul français Ratti–Menton, l’instigateur du pogrom de Damas en 1840 ? Henry Pereire, petit cousin de Berthe, s’en étonne dans une lettre5 : Nous apprenons ce que j’avais toujours ignoré à savoir que les achats de terrain ont été faits au nom personnel de Monsieur Patrimonio, sans aucune intervention de celui de Madame Alexandre Bertrand… »
Il est vrai que l’époque était au colonialisme.
Dans ces conditions, Henry Pereire, vice-président de la Compagnie des Chemins de fer du Midi (compagnie créée par son père), petit cousin de Berthe et qui ne semble donc avoir aucune légitimité de propriété, prend argument d’un testament de son père Emile Pereire, décédé dix ans plus tôt, pour offrir le site à la France. Il déclare avoir pour objectif, là-encore, la protection du tombeau juif de toute profanation. Il s’appuie sur l’accord du Grand-rabbin de Paris Zaddoc Khan (le Grand-rabbin de France, Lazare Isidor, s’y serait probablement opposé puisque le Consistoire Central en était déjà le propriétaire).
Il est curieux de remarquer que cet acte de donation fait état de l’acquisition du tombeau de rois par les frères Pereire en 1878 alors qu’Emile est décédé en 1875 !
Le récipiendaire au nom de la France de ce curieux don « de deuxième main » est Freycinet, ancien ministre des Travaux publics, ancien président du conseil, ancien et futur ministre des Affaires étrangères, il avait aussi été Chef d’exploitation de la Compagnie des Chemins de fer du Midi… L’acte de donation du 20 janvier 1885 précise que le monument fut acquis par les deniers de Messieurs Emile et Isaac Pereire (sic) et dont tous les titres sont au nom de Monsieur Patronimio ancien consul de France à Jérusalem, lequel, pour des raisons tirées de la loi ottomane, a bien fait acquisition, ainsi qu’il en a fait la déclaration formelle (art. 1) et à l’article 2 que le gouvernement français s’engage de son côté à n’apporter dans l’avenir aucun changement à la destination actuelle de ce monument…. L’article 3 précise l’inscription à sceller à perpétuité sur le site : Monument acquis en l’année 1878 par Emile et Isaac Pereire pour le conserver à la science, à la vénération des fidèles enfants d’Israël….
C’est probablement en vertu de ces deux derniers articles qu’en 1997, le consul de France Stanislas de Laboulaye le met à disposition d’une association culturelle palestinienne, Yabous6 pour un festival de musique arabe… Quoi de mieux qu’un concert palestino-français pour protéger un saint sépulcre juif de toute profanation ?
Evidemment un scandale s’en suit et le site est fermé en 2010 à l’allégation de travaux avec un budget ridicule de 1,1 millions d’euros sur dix ans. Il est vrai qu’aucun Français n’est enterré ici bien que nombre de rois de France vinrent piller le pays au nom du christianisme lors des Croisades et que les dirigeants du Royaume Franc de Jérusalem fussent tous français.
A la réouverture rien n’a changé, les sites français chrétiens restent gérés par des congrégations chrétiennes et le Tombeau des Rois directement par le consulat : horaires d’ouvertures étriqués, achat des entrées amphigouriques, maigre documentation sur le site internet du consulat et seulement en français et en arabe. Tout est fait pour que l’accès ne soit pas possible. L’avis de réouverture annonçant le tombeau des sultans plutôt que le tombeau des Rois en dit long sur la pensée autant que sur l’inculture affichée : la traduction de roi en arabe n’est pas sultan d’une part et d’autre part la datation de ce tombeau précède de onze siècles la nomination du premier sultan7…
Monsieur le président Macron vient à Jérusalem le 23 janvier prochain lors de la commémoration internationale de la Shoah… En profitera-t-il aussi pour, comme c’est devenu la règle post coloniale française, restituer au peuple juif un de ses monuments emblématiques comme le fut la restitution d’œuvres pillées aux peuples qui furent colonisés ? La France, enfin, s’honorerait.
Richard Rossin
Ancien secrétaire général de MSF, cofondateur de MdM, ancien vice-président de l’académie européenne de géopolitique, fellow au JCPA-CAPE.
1 Les Romains incinéraient leurs morts.
2 Relaté par de Saulcy lui-même dans « Itinéraire d’un voyage en Terre Sainte ».
3 Crémieux avait déjà obtenu à Nîmes en 1827 cette abolition mais un tribunal de Sarrebourg l’avait à nouveau exigé en 1839. Isidor s’y oppose et est poursuivi. Un long procès s’en suit, il se termine à la Cour de cassation qui estime que toutes références religieuses pour un serment judiciaire sont inconstitutionnelles.
4 Somme importante à l’époque, l’équivalent d’un immeuble parisien.
5 Dans une lettre au consul de France à Jérusalem trouvable dans les archives consulaires à Nantes.
6 Prétendu nom de la cité jébuséenne un kilomètre plus au sud.
7 Titre de souverain musulman donné à partir des Seldjoukides (XIe siècle) par le calife à ceux auxquels il déléguait le pouvoir effectif.
Source jcpa-lecape.org