De retour des camps « personne ne nous comprenait », se souvient un rescapé

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Armand Bulwa, rescapé du camp de Buchenwald, montre sa vareuse rayée de déporté, le 8 janvier 2020 à Paris
Armand Bulwa, rescapé du camp de Buchenwald, montre sa vareuse rayée de déporté, le 8 janvier 2020 à Paris
afp.com – BERTRAND GUAY

« Au début quand on racontait ce qui s’était passé, les gens disaient oui, oui pour ne pas dire non. Ils faisaient un signe de tête mais ne comprenaient pas ce que nous disions », se souvient Armand Bulwa, rescapé du camp de Buchenwald.

Près de 75 ans après la libération du camp de concentration nazi, le 11 avril 1945, le vieil homme de 91 ans consacre ses dernières forces à témoigner afin que le monde n’oublie pas ce que fut « l’enfer sur terre ».

Il publie vendredi un livre de mémoires, « Après le bois de hêtres » (littéralement Buchenwald signifie bois de hêtres, ndlr) aux éditions L’Archipel.

« C’est incroyable mais pour le 75e anniversaire, nous sommes toujours là », confie le vieil homme, les larmes aux yeux, en recevant l’AFP chez lui à Paris. Le désir de témoigner d’Armand Bulwa est une manière de rendre hommage aux victimes de la barbarie nazie et aux siens. Pratiquement toute sa famille a été assassinée. Des quelque 80 membres de sa parentèle seuls deux cousins ont survécu à la Shoah.

Il se souvient qu’en arrivant au camp, en janvier 1945, âgé seulement de 15 ans, la résistance organisée au sein de Buchenwald, notamment par les déportés communistes, avait pris la décision « de sauver les enfants ». « Ils voulaient, dur comme fer, que nous soyons épargnés, afin que nous puissions témoigner un jour de ce que nous avions vu dans les ghettos et dans les camps ».

– « Homme! Attrape ce chien ! » –

Armand (Aharon) Bulwa, né à dans le quartier juif de Piotrkow, près de Lodz (Pologne) a été l’un des premiers survivants de la Shoah à faire des interventions dans les écoles au début des années 1990.

« Quand on n’a pas vécu ça, on a du mal à se représenter ce que ce fut », dit-il.

« Quelquefois, je voyais que les visages se crispaient, les gens me regardaient en se demandant si j’étais normal car je racontais des choses qui n’étaient pas racontables ».

« On s’est vite rendu compte qu’un être normal n’était pas apte à recevoir ce qu’il entendait car il ne pouvait pas imaginer qu’on tuait des gens ainsi, qu’on écartelait des enfants avant de jeter leur corps sur un brasier ».

Dès l’invasion de la Pologne par les nazis, les Juifs sont confinés dans un ghetto. Armand a 10 ans. Il se souvient d’un SS particulièrement cruel qui aimait se promener dans le ghetto avec son chien dressé pour tuer. Quand il croisait un Juif « le nazi lançait à son chien: ‘Homme! Attrape ce chien !' », se souvient encore avec effroi Armand Bulwa. « Il appelait son chien « homme » et nous les Juifs étions « les chiens » ».

Des Juifs de toute la Pologne sont envoyés au ghetto de Piotrkow, vite surpeuplé. La faim ronge ses habitants, le typhus emporte les plus faibles. Bientôt, les nazis lancent « la solution finale » visant à exterminer les Juifs d’Europe. Seuls ceux qui sont aptes au travail peuvent échapper temporairement à la mort.

Armand travaille dans une verrerie près du ghetto. C’est en revenant du travail un soir d’octobre 1942 qu’il apprendra la disparition d’une grande partie de sa famille dont sa mère et son petit frère de 3 ans que la famille avait réussi à cacher. Ils sont déportés et assassinés à Treblinka. Son père réduit en esclavage dans une usine d’armement meurt à son tour.

En novembre 1944 alors que se rapproche l’Armée rouge, les derniers Juifs de Piotrkow devenu « Judenrein », « ville sans Juifs » sont emmenés dans des wagons à bestiaux au camp de Czestochowa où les nazis ont installé des usines d’armement.

Armand Bulwa a la gorge nouée quand les souvenirs de Czestochowa remontent à la surface. « C’est difficile », dit-il les yeux embués de larmes. Il travaille dans une fonderie. « Les conditions de vie étaient pires que jamais. Nous étions dévorés par les poux, par les punaises… ». Le chef de l’usine, « un sauvage », bat les ouvriers.

En janvier 1945, les survivants prennent la direction de Buchenwald. Quatre jours entassés dans un wagon à bestiaux sans manger ni boire.

– La ceinture de Lolek –

« Que se passe-t-il quand vous découvrez le camp? », l’interroge-t-on. Un silence et le vieil homme répond « pas facile ». Armand, 15 ans, sans famille, devient le matricule 116.536.

Les prisonniers politiques vont heureusement protéger les « enfants ». On lui donne un triangle rouge à coudre sur sa vareuse rayée de déporté avec un « P » pour Polonais. Le triangle rouge signifie « prisonnier politique » et non « racial ». Après cinq ans de travail forcé, le manque constant de nourriture, l’adolescent est chétif. Son pantalon rayé est bien trop grand pour lui.

Or, chaque matin, il faut répondre à l’appel des numéros au garde-à-vous. « Rester au garde-à-vous en tenant son pantalon c’est pratiquement impossible ». Mais enfreindre cette règle c’est mourir.

Le salut viendra d’un autre adolescent polonais qui, sans rien demander en échange, offre une ceinture à Armand. Cet adolescent s’appelait Elie (Lolek) Buzyn, le père de l’actuelle ministre de la Santé. « Sa ceinture m’a sauvé la vie », insiste Armand. Les deux hommes ne se sont plus jamais perdus de vue depuis.

La fin de la guerre approche mais pour les déportés de Buchenwald la survie est de plus en plus précaire.

Quand le camp est libéré, Armand pèse 28 kilos.

Le camp abrite un millier d’enfants et d’adolescents. Que faire d’eux qui souvent ont perdu toute leur famille?

« On est resté dans le camp presque deux mois après sa libération le temps de trouver un pays souhaitant nous accueillir ». La France accepte de prendre en charge 426 enfants de Buchenwald via l’œuvre de secours aux enfants (OSE) dont Armand qui… ne parle pas un seul mot de français.

« On était en état sauvage mais malgré tout on était des humains et il y a eu de la solidarité entre nous », souligne l’ancien déporté.

Ces « enfants de Buchenwald » parmi lesquels figurent Élie Wiesel ou encore Israël Meir Lau (devenu grand rabbin d’Israël puis président du Mémorial de Yad Vashem), alors âgé de 8 ans, sont placés dans une résidence à Ecouis (Eure).

Des Bulwa viendront récupérer le jeune Armand en Normandie. Ils n’ont aucun lien de parenté mais le jeune Bulwa saute sur l’occasion de quitter le centre.

Ses nuits seront longtemps hantées par des cauchemars. Marié, il refusera d’abord obstinément d’avoir un enfant.

« Pendant 14 ans je n’ai pas voulu que nous ayons d’enfants. Je disais à ma femme que c’était criminel de mettre un enfant au monde en sortant d’un enfer pareil ». Mais un enfant est né, une fille devenue gynécologue-obstétricienne.

« Elle donne la vie alors qu’on a ôté la vie à tous les miens. Je trouve que c’est bien ».

Source information.tv5monde.com

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