Par BAZAK – Temps et contretemps
La menace terroriste est nourrie par la négligence, l’indifférence et l’inaction. Selon les membres de la coalition en action en Turquie, Daesh a été défait et ne serait plus que l’ombre de ce qu’il était. La réalité est différente. Ne nous fions pas aux apparences ou aux déclarations des coalisés car chacun a ses intérêts ; il suffit d’observer les différends qui opposent les coalisés dans le secteur d’Idlib dans le nord-est de la Syrie.
Des mois après la défaite territoriale du califat physique en Irak et en Syrie, la menace reste une réalité pour les États-Unis et la communauté internationale. Son leader Abu Bakr al Baghdadi est toujours présent et actif ; il reconstitue l’organisation et en adapte la stratégie, moins territoriale mais plus globale, par des assassinats politiques, par une guérilla urbaine et périurbaine, par des embuscades. L’organisation continue d’avoir des sources de financement de centaines de millions de dollars. Les derniers événements laissent penser que les coalisés, satisfaits des résultats sur le terrain, sont indifférents aux suites de cette présumée victoire sur le terrain.
Le camp de détention de al Hol, situé au nord-est de la Syrie, retient près de 70.000 prisonniers, largement au dessus de sa capacité d’origine. Plus de 90 % sont des femmes et des enfants. Près de 10.000 d’entre eux proviennent de pays autres que la Syrie ou l’Irak. Depuis juillet, 240 enfants ont succombé avant d’atteindre ce camp qui souffre de manque de nourriture, d’eau et de médicaments. 400 Kurdes syriens gardent ce camp où ils ont tenté de déradicaliser certains militants, sans succès face à un combat perdu d’avance.
De plus, le risque existe également d’une attaque extérieure de Daesh pour libérer ses militants. Cela s’est déjà produit et plusieurs milliers de djihadistes se sont enfuis. Cette situation accentue la radicalisation des détenus et renforce leur idéologie et leur détermination à poursuivre la lutte, au point que les détenues femmes ont recréé sur place une forme de milice imposant la charia pour reproduire les conditions très austères qui prévalaient sous le califat.
La situation actuelle est très complexe. La France et la Hollande ont rapatrié un petit nombre d’orphelins, mais la majorité des pays européens refusent de rapatrier leurs citoyens, avec quelques exceptions. La Suède n’a pas de législation anti terroriste et rapatrie volontiers ses nationaux. L’Allemagne est très ambivalente. Les États-Unis, ont rapatrié certains de leurs ressortissants, hommes, femmes, enfants qui attendent d’être jugés pendant que les services américains poursuivent sur place la recherche de combattants américains. La problématique du rapatriement dans les pays de droit est confrontée à une opinion publique majoritaire qui ne peut pas concevoir et accepter de placer les partisans de Daesh sous la protection toute relative de la loi, alors que ces derniers l’ont ignorée et bafouée.
Au delà, selon ces mêmes règles, l’accusation devrait apporter des preuves légales. Ce qui sera très difficile à réaliser pratiquement. Moyennant quoi, beaucoup pourraient être acquittés faute de preuves. Pour autant, une partie de l’opinion souhaite des procès en bonne et due forme, constituant autant d’exemples et d’arguments politiques. En revanche, elle mesure mal les implications et conséquences sociales, économiques, politiques et les problèmes sécuritaires à terme. On peut donc comprendre les fortes réticences des politiques à soutenir une politique franche de rapatriement.
Cette frange de l’opinion pense que quoi qu’il arrive, les pays des droits de l’homme ont des devoirs, dont ceux de rapatrier et de juger ses nationaux, au nom de ces même principes et du droit, que ce doit être le message à destination de l’islam, pour mettre en évidence les valeurs qui caractérisent les pays qui respectent la dignité de l’homme. Dans l’état actuel des régimes politiques du Moyen-Orient, on peut avoir les plus grands doutes sur l’impact positif d’une telle politique.
Il est clair que certains de ces combattants présentent un risque majeur, en raison de leur endoctrinement, leur fanatisme avéré et leur détermination à poursuivre la lutte à n’importe quel prix. En raison des différences des systèmes judiciaires aux États-Unis et en Europe où les djihadistes disposent de réseaux et de soutiens au sein des populations musulmanes ou récemment immigrées, le risque potentiel y est considérablement plus élevé.
Très récemment, aux États-Unis, certains responsables respectés des services de sécurité ont publié une lettre ouverte dont l’objet était : «Si nous n’agissons pas maintenant, l’État islamique renaîtra». Cette lettre soulignait le danger de laisser les détenus moisir dans les camps et subir le sort des apatrides.
L’UE n’a pas pu encore définir et encore moins appliquer une doctrine commune sur ce problème. L’amalgame qui est fait avec les difficultés liées à la politique migratoire, aggrave d’autant les choix à faire. L’UE a crée un fichier commun qui inclura les informations et enquêtes en cours connues. C’est un progrès, mais on est encore loin du compte. On voit bien que le problème migratoire, amalgamé à celui du rapatriement des djihadistes nationaux, divise aussi bien les pays que les citoyens.
On doit y ajouter, selon les pays, des circonstances électorales, notamment en France en vue des prochaines élections municipales, en Italie qui sort à peine d’une crise de gouvernement, en Espagne qui revotera faute de majorité, en Allemagne qui voit la montée de l’extrême-droite. La dure réalité est que l’UE ne pourra pas indéfiniment déléguer les problèmes migratoires à la Turquie, qui veut s’en débarrasser, à la Libye pays en guerre et ceux des étrangers djihadistes aux milices irakiennes et kurdes tout particulièrement, à qui les grandes puissances refusent la création d’une région autonome kurde, à défaut d’un État.
On voit bien à quel point il est difficile de revendiquer les Droits de l’Homme, sa dignité, la liberté d’expression face aux dures réalités de la politique et des intérêts bien compris des États, surtout à 27 ! La nomination d’une commissaire chargée de «la protection du mode de vie européen» qui a déjà fait réagir nombre de pays tiers, n’y changera rien. On se rappellera la formule de feu Staline à propos du Vatican, combien de divisions ?