L’article déplore l’interdiction faite en Israël de cueillir des herbes protégées, dont une variété d’origan appelée zaatar, la sauge et le cardon. La mesure, qui s’applique à tous les citoyens, ne serait en fait qu’une brimade à l’encontre des Arabes et des Palestiniens qui en raffolent.
Or cette restriction est justement en passe d’être assouplie. Un ministre a annoncé la levée de l’interdiction de la cueillette à des fins personnelles. Mais au lieu de se réjouir d’une évolution qui devrait satisfaire les cueilleurs, la journaliste exploite cette nouvelle en fustigeant tout de même Israël pour avoir appliqué l’interdiction jusqu’à présent.
Une opinion déguisée en information
Tout serait affaire d’identité. Interrogé par Claire Bastier, Rabea Eghbariah estime que « Le zaatar et la sauge font partie de notre identité palestinienne ».
Cet activiste, avocat pour l’ONG Adalah qui officiellement « milite pour les droits de la minorité arabe en Israël » – et mène un activisme juridique continu contre Israël –, sert le propos accusatoire qui sous-tend l’article : « Israël veut déposséder les Palestiniens de leur lien à la terre, pour en prendre le contrôle » (voilà qui n’est pas sans évoquer le vieux cliché antisémite dépeignant les Juifs comme des voleurs, qui iraient ici jusqu’à déposséder un peuple de ses terres mais aussi de son identité).
Grave accusation que Le Monde a choisi de mettre en exergue sur les réseaux sociaux, comme ici sur Twitter :
Or ce n’est pas une information que le quotidien présente là, mais une opinion. Et cette opinion risque fort d’attiser l’animosité d’une partie de la population en France contre les Juifs, parmi les « antisionistes » qui se cachent derrière le paravent de la critique de la politique israélienne pour assouvir leur antisémitisme.
En réalité, tout est bon pour tirer à boulets rouges sur Israël. Les plantes aromatiques sont une munition comme une autre pour marquer des points contre l’Etat juif. Leur survie n’importe pas aux activistes. Rabea Eghbariah ne se préoccupe pas le moins du monde de l’environnement. Il ne s’en cache pas – il le dit dans un article de Haaretz : « Je ne suis pas un expert en botanique et je ne connais pas l’équilibre exact qui est nécessaire au maintien de la population de zaatar ».
Le Za’atar, un pilier de la cuisine levantine
Nous avons voulu en savoir plus en particulier sur le zaatar, cette « variété d’origan ».
Le Za’atar est avant tout un mélange d’herbes aromatiques populaire à travers le « Levant » : Syrie, Liban, Israël, Jordanie…
On s’en sert pour assaisonner des plats : viandes, poissons, salades, pitas (pains orientaux)…
Les habitants de la région ont pris l’habitude de donner le nom de zaatar à une espèce particulière qui fait partie de la recette : origanum syriacum.
Cet origan « syrien » est aussi appelé « origan libanais ». Le zaatar se joue des frontières. Si une plante pouvait avoir une identité, il serait bien davantage levantin que palestinien.
Origanum syriacum a même un nom supplémentaire qui renvoie à d’autres origines : « hysope biblique ». Comme souvent dans le « patrimoine palestinien », les antécédents juifs ne sont pas loin. La plante s’appelle אזוב en hébreu (ezov, ce qui via le grec a été traduit par « hysope » même s’il s’agit bien d’une sorte d’origan et non d’une réelle variété de la plante communément appelée hysope). Elle est mentionnée à de nombreuses reprises dans la Bible.
Il est indéniable que les Palestiniens apprécient le zaatar. Mais au Levant, que l’on soit arabe, juif ou encore druze, on partage bien souvent des traditions culinaires communes.
A la rescousse des contrebandiers
Victime de son bon goût, origanum syriacum est, dans la nature, une plante en danger. Raison pour laquelle il y a 40 ans elle a été déclarée « espèce sauvage protégée » par le ministère israélien de l’Agriculture.
Mais cet impératif écologique ne trouve pas d’oreille attentive chez Claire Bastier. Au contraire : la journaliste porte un regard compatissant sur les contrebandiers.
Elle déplore que les cueilleurs arabes, « qui n’ont pas le profil attendu pour des criminels », soient « criminalisés ». Alors, « Face à l’interdit, deux postures s’offrent aux cueilleurs : résister en continuant de ramasser ces herbes dans la nature, au risque de se faire prendre, ou bien céder en achetant des variétés cultivées. »
En somme, alors que l’écologie et la protection de l’environnement sont partout célébrées, cueillir une espèce protégée serait en Israël un acte de « résistance » contre l’oppresseur.
Mais pourquoi les cueilleurs de génépi dans les Alpes ou les chasseurs de rhinocéros n’invoqueraient-ils pas eux aussi le folklore et la résistance pour violer les lois qui protègent la nature ? Après tout, d’anciennes traditions asiatiques attribuent des vertus très revigorantes aux cornes de ces mastodontes : de quel droit empêche-t-on donc ces traditions de se perpétuer ?
Une plante protégée au Liban et en Jordanie
N’en déplaise à ceux qui pensent soutenir les Palestiniens en laissant entendre que l’interdiction de cueillette fait d’eux les victimes d’une intolérance israélienne confinant au racisme, le statut d’espèces menacées de ces plantes n’est pas une lubie d’Israël pour nuire aux Arabes.
En effet, puisque origanum syriacum est apprécié dans tout le levant, la plante y est partout sous pression.
Au Liban, elle est inscrite sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en tant qu’espèce quasi menacée (rapport du PNUD, p. 12). Un permis délivré par le ministère de l’Agriculture y est nécessaire pour la récolter dans la nature. Et nul n’accuse le gouvernement libanais de nuire aux Arabes en restreignant leurs pratiques ancestrales…
En Jordanie, origanum syriacum est classé comme vulnérable par l’UICN (rapport UICN, p. 122). Une espèce vulnérable est une espèce « qui risque de devenir en danger d’extinction si les circonstances menaçant sa survie et sa reproduction ne s’améliorent pas. Elle est donc considérée comme faisant face à un important rique d’extinction à l’état sauvage. »
Ce n’est pas trivial. Il semble bien que le zaatar soit susceptible de disparaître dans la nature si les autorités n’y prennent pas garde.
Un article traitant de « l’écologie du za’atar » cite deux auteurs, Mayer-Chissick et Lev, qui permettent de comprendre pourquoi cette plante est sous pression :
… la modernisation du village arabe, l’invention du réfrigérateur par exemple, [qui] permet à une famille de cueillir plus que la quantité nécessaire pour la saison et de le congeler pour l’été. Cette récolte excessive combinée avec la croissance de la population a presque fait disparaître certaines plantes, et certaines comme origanum syriacum et gundelia tournefortii ont dû être déclarées protégées par la loi et leur récolte est interdite… Elle [O. syriacum] a été déclarée espèce protégée en Israël dès 1977, et cette protection s’est avérée être un facteur clé dans la survie de cette plante à l’état sauvage.
Si l’écologie n’était pas le cadet des soucis de Claire Bastier, elle aurait peut-être porté ces éléments à la connaissance de ses lecteurs. Ils auraient mieux compris les mesures qu’Israël a dû prendre pour protéger la biodiversité dans l’intérêt de l’ensemble des populations concernées…
Interdiction levée
La meilleure indication de la mauvaise foi de cet article réside dans sa publication au moment même où l’interdiction de la cueillette va être assouplie, avec l’autorisation de la récolte à des fins personnelles. Claire Bastier critique une mesure qui s’apprête justement à être levée !
Haaretz s’en est fait l’écho :
Remplissant sa fonction de quotidien d’actualité, Haaretz explique ce qu’il y a de nouveau : « Renversant une politique vieille de plusieurs décennies, Israël s’apprête à permettre un peu de récolte d’herbes sauvages (la décision fait suite à des plaintes par des Arabes qui récoltent de l’hysope pour le za’atar et de la sauge grecque) ».
On est loin du titre accrocheur du Monde sur la « criminalisation des cueilleurs de plantes » et de la conclusion défiante de l’article par la bouche d’un cueilleur arabe qui « doute que le changement sera inscrit dans les textes ».
C’est que Claire Bastier a un postulat. Elle est l’auteure du livre « Chroniques culinaires de Jérusalem », dont le sous-titre précise qu’il n’est pas simplement un traité sur le goût : « La table, miroir des relations entre Israéliens et Palestiniens ».
Or InfoEquitable a déjà eu l’occasion de voir que, dans cette relation, notre reporter-critique culinaire s’avérait être plutôt attentive à la « cause palestinienne », y compris quand cela impliquait de voler au secours d’un homme tel que Salah Hamouri, emprisonné par Israël en raison de ses activités dans un mouvement terroriste.
Il n’est donc pas surprenant qu’elle ait quelque peu forcé le trait sur le « folklore palestinien » dans son nouvel article, transformant une banale question d’écologie en un « problème d’identité » afin de susciter la sympathie des lecteurs vers sa cause – et, en parallèle, leur antipathie vers Israël.
Nous sommes là face à un cas classique de présentation biaisée d’une information. Au départ, une bonne nouvelle : Israël a pris une mesure couronnée de réussite pour protéger la nature et va, en plus, l’assouplir pour concilier les besoins de sa minorité arabe. Le Monde et sa journaliste, qui auraient tout pour se réjouir de ce compromis, ont éludé la question environnementale qui est au coeur du sujet, préférant déplacer les projecteurs pour se plaindre malgré tout d’Israël.
Ainsi va la diabolisation d’Israël, qui par petites touches, à doses homéopatiques (aromatiques ?) d’articles tendancieux, fait son chemin.