1945, les derniers secrets : Le Caire et Damas, nids de nazis

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Le Moyen-Orient, terre d’asile pour nazis

Après la guerre, de nombreux fidèles du Reich ont trouvé refuge en Egypte et en Syrie. Ils ont mis leur savoir-faire au service de ces deux Etats, avec une idée fixe: anéantir Israël…

himmler-mufti-husseiniHimmler et le Grand Mufti de Jéruslem

En ce début d’été 1948, la chance sourit de nouveau à Walter Rauff. Cet ancien colonel SS, arrêté par les Alliés trois ans plus tôt, interné, puis évadé, vivote à Rome, loin de sa femme, Edith, et de leurs deux enfants, restés en Allemagne. Jardinier, puis enseignant dans un orphelinat catholique, il s’efforce de se faire oublier en attendant des jours meilleurs.

Walter_Rauff_(Walther_Rauff,_1945)

Les Syriens, eux, n’ont pas oublié le Standartenführer Rauff et ses brillants états de service: le matricule SS 290947, l’un des servants les plus dévoués de la machine de guerre nazie; un logisticien hors pair comme les aime tant le IIIe Reich. Alors responsable de l’approvisionnement en véhicules et en munitions des Einsatzgruppen, ces escadrons de la mort qui sévissent en Europe orientale, il s’illustre en inventant les camions à gaz – parce que, dira- t-il trente ans plus tard, « fusiller les juifs était très pesant pour les hommes qui en étaient chargés « .

En 1942, il prend la tête du commando Egypte. Mission de ce groupe de 24 SS: appliquer la solution finale en Egypte, puis rayer de la carte le Yichouv, cette communauté de 500 000 juifs installés en Palestine.

A Athènes, Rauff et ses hommes attendent le signal du départ. Ils entreront en action dès que les troupes du général Erwin Rommel auront atteint Alexandrie et le canal de Suez.

Mais le fameux « Renard du désert » est stoppé net dans son élan par l’armée britannique à El-Alamein. Rauff est alors affecté en Tunisie, puis en Italie, où il dirige la Gestapo de Milan.

le muftiAl-Husseini et Adolf Hitler à Berlin, le 30 novembre 1941.

En juillet 1948, à Rome, sa route croise celle d’un Syrien, le Dr Jean Homsi. Sous cette identité se cache le capitaine Akram Tabarr, un agent de Damas qui a combattu au côté des soldats allemands.

Fraîchement émancipé de la tutelle française, le jeune Etat syrien veut se doter d’une armée et de services de renseignements efficaces.

Il compte sur Rauff pour recruter des spécialistes allemands parmi les anciens de la Wehrmacht, de la SS et des services de sécurité de l’Allemagne hitlérienne. Débute alors un épisode méconnu de l’après-guerre.

Des dizaines de fidèles serviteurs du Führer, dont des criminels de guerre recherchés en Europe, émigrent vers la Syrie et l’Egypte, en quête d’une nouvelle vie, d’un nouveau départ. Désireux, aussi, d’aider leurs maîtres à anéantir le jeune Etat d’Israël, né le 15 mai 1948.

C’est cette incroyable histoire que la journaliste franco-allemande Géraldine Schwarz raconte dans un documentaire magistral, Exil nazi, la promesse de l’Orient(Artline Films) doublé d’une longue enquête publiée sur le site Internet du quotidien allemand Die Welt: « Der geheime Auftrag der Nazis im Nahen Osten » (La mission secrète des nazis au Proche-Orient).

Exil Nazi : « La Promesse De L Orient »

Pour les séides du Reich, « le monde arabe s’est révélé un meilleur refuge, plus sûr, que l’Amérique latine« , selon le chasseur de nazis Efraim Zuroff, directeur du Centre Simon-Wiesenthal de Jérusalem.

1948: les unités syriennes sont dirigées par des Allemands

A Rome, où il orchestre les procédures de recrutement, Rauff s’installe dans un bureau discret de l’institut papal Santa Maria dell’Anima, le siège de la communauté catholique germanophone.

L’évêque autrichien Alois Hudal, recteur de l’institut et chaud partisan du national-socialisme, procure des papiers à sa cinquantaine de volontaires.

Parmi ceux-ci, le capitaine SS Franz Stangl, ex-patron des camps d’extermination de Sobibor et de Treblinka, et son adjoint à Sobibor, l’adjudant SS Gustav Wagner, alias « la Bête ».

Alors que l’armée israélienne affronte les troupes arabes, en 1948, un de ses agents infiltré derrière les lignes syriennes envoie un étonnant message à ses supérieurs: toutes les unités combattantes sont dirigées par des Allemands !

L’Etat juif remporte cette première guerre contre ses voisins en juillet 1949. La défaite précipite un coup d’Etat en Syrie dès le mois suivant. Comme de nombreux collaborateurs du régime déchu, Rauff est prié de quitter le pays. Il met alors le cap sur l’Amérique du Sud, suivi par la plupart des hommes qu’il avait enrôlés.

D’autres les remplacent vite.

L’un des criminels de guerre nazis les plus recherchés, Alois Brunner, alias Georg Fischer, trouve refuge à Damas au début des années 1950.

Bras droit d’Adolf Eichmann et grand ordonnateur de la déportation de 128 000 juifs – dont les 44 enfants d’Izieu (Ain) -, il conseillera pendant de longues années les services secrets syriens, leur inculquant notamment les méthodes de torture des SS. Il serait mort à Damas en 2010.

C’est là, aussi, que l’ex-diplomate Franz Rademacher, responsable des questions juives au ministère des Affaires étrangères du Reich, refait sa vie sous le nom de Bartolomé Rosello.

bosniaques et ssLes nazis reçurent le ralliement de populations musulmanes (ici, des Bosniaques engagés dans la Waffen SS, en 1943)

Au Proche-Orient, ces hommes sont souvent accueillis à bras ouverts.

Sur ces terres que Français et Britanniques se sont partagées en 1920, après la chute de l’Empire ottoman, les nazis déchus n’apparaissent pas comme les suppôts d’un régime honni, mais comme des combattants vaincus.

Dans l’entre-deux guerres, nombre de nationalistes arabes ont rallié le camp de l’Allemagne nazie.

L’armée du général Rommel leur offrirait leur indépendance, espéraient-ils. « Au printemps 1942, les gens se saluaient dans les rues en criant ostensiblement « Heil Rommel » », rapportent les historiens Martin Cüppers et Klaus- Michael Mallmann.

Pour beaucoup, le Führer est alors le mahdi, le « sauveur ». « Dieu est au ciel/Hitler est sur terre! » chante-t-on dans les rues syriennes en 1940, après la défaite de la France.

De plus, l’hostilité arabe face à la présence juive en Palestine est attisée par Berlin.

Le grand mufti de Jérusalem Mohammed Amin al-Husseini, réfugié en Allemagne entre 1941 et 1945, participe à la conception de la propagande antisémite en direction du monde arabe, à travers des émissions de radio sur ondes courtes, notamment. « Tuez les juifs avant qu’ils ne vous tuent ! «  enjoignait l’une de ces chroniques, diffusée le 7 juillet 1942.

« Après 1945, estiment Cüppers et Mallmann, les affinités du monde arabe avec le nazisme sont restées largement intactes. »

Une commune hostilité envers les juifs

C’est le cas en Egypte, aussi, où la débâcle de 1949 face à Israël inspire un plan secret au roi Farouk et aux dirigeants de la Ligue arabe: « Il s’agit alors de mettre sur pied une armée panarabe d’un million d’hommes, dotée d’une doctrine et d’un commandement unifiés, qui constituerait la première étape vers la création d’un Etat arabe fédéré face à la menace d’Israël », raconte Géraldine Schwarz.

Cette lourde tâche est confiée à un ancien de l’Afrika korps, l’armée de Rommel: le général Artur Schmitt, capturé par les Britanniques en 1942, puis libéré six ans plus tard. Mais Schmitt se met rapidement à dos l’état-major de l’armée égyptienne, pointant son incompétence et sa responsabilité dans la défaite contre Israël, et doit quitter le pays.

Pour autant, les militaires égyptiens n’ont pas l’intention de se passer de la précieuse expertise allemande.

En mars 1951, le successeur de Schmitt arrive au Caire: c’est le général Wilhelm Fahrmbacher, l’homme qui a tenu la poche de Lorient (Morbihan) face aux troupes américaines jusqu’au 8 mai 1945. Une centaine de conseillers militaires débarquent dans son sillage. Certains sont recrutés pour moderniser et entraîner l’armée nationale: des généraux bardés de décorations comme Johann von Ravenstein, un ancien de l’Afrikakorps, et Oskar Munzel, vétéran du front de l’Est; un héros de la marine avec le capitaine Theodor von Bechtolsheim; quelques têtes brûlées, aussi, tels le commandant SS Gerhard Mertins, membre du commando de parachutistes qui a libéré Mussolini en 1943, et ses lieutenants, Siegfried Heuke et Heinz Richter.

D’autres experts sont chargés de jeter les bases d’une industrie de l’armement sous les ordres de Wilhelm Voss, ancien patron de plusieurs conglomérats de l’Allemagne hitlérienne et membre influent du « Cercle des amis du Reichsführer SS », le club des chefs d’entreprise nazis. L’un de ses protégés s’appelle Rolf Engel.

Ce capitaine SS, agent du service de renseignements de la SS et spécialiste des missiles, a travaillé un temps, après la guerre, au Laboratoire français de recherches balistiques et aérodynamiques.

serge-klarsfeld_5394725Serge Klarsfeld présente, en 1989, deux portraits d’Alois Brunner, réfugié en Syrie.

En Allemagne de l’Ouest, on sait, mais on se tait.

Quand Winston Churchill, le Premier ministre britannique, s’en inquiète auprès du chancelier Adenauer, ce dernier lui rétorque que ses mains sont liées puisqu’il s’agit d’initiatives privées.

« De nombreux dirigeants de la jeune République fédérale voyaient d’un bon oeil cette collaboration entre l’Egypte et d’anciens nazis, observe l’historien britannique David Motadel. Ils en espéraient des retombées politiques et économiques favorables pour leur pays. »

En 1956, l’accession à la présidence égyptienne de Gamal Abdel Nasser fait fuir certains instructeurs allemands, comme le général Fahrmbacher, effrayé par les sympathies socialistes du nouveau raïs.

D’autres prennent la relève.

Le colonel SS Leopold Gleim forme les cadres du service de sécurité. Joachim Deumling, ancien chef d’un escadron de la mort en Croatie, réorganise les services de sécurité.

Pour doper l’industrie de la défense, Nasser renforce les rangs de ses experts en faisant à son tour appel à d’ex-serviteurs du Reich.

Au début des années 1960, plus de 300 spécialistes allemands planchent sur la mise au point d’avions de combat et de missiles. L’Egypte s’intéresse de près, également, aux compétences des anciens SS en matière de propagande antisémite.

En 1956, le ministère de l’Information embauche le maître du genre: Johann von Leers, polyglotte, naguère proche de l’ex-ministre de la Propagande, Joseph Goebbels, et du chef de la SS et de la police, Heinrich Himmler. Il est aussi l’auteur prolixe d’écrits antijuifs.

Dans l’un de ses essais, Du judaïsme et de l’islam comme opposés, il explique que la religion musulmane et le nazisme entretiennent un lien étroit, forgé par leur commune hostilité aux juifs.

Au Caire, Johann von Leers est épaulé par une équipe de zélés collaborateurs dont Franz Bünsch, coauteur avec Eichmann d’un ouvrage sur les habitudes sexuelles des juifs, et le sous-lieutenant Wilhelm Boeckler, qui a participé à la liquidation du ghetto de Varsovie.

Nombre de ces conseillers allemands se convertiront à l’islam, à l’image de von Leers.

Comme le pointe l’historien américain Jeffrey Herf, « la haine des juifs, discréditée sur la scène politique de l’Europe de l’après-guerre et de l’après- Shoah, a trouvé un regain de vie dans les traditions et contextes culturels, religieux et politiques très différents du Moyen-Orient ».

En Egypte et en Syrie, le IIIe Reich n’est pas mort en mai 1945.

À LIRE

Croissant fertile et croix gammée. Le IIIe Reich, les Arabes et la Palestine, par Martin Cüppers et Klaus-Michael Mallmann (Verdier histoire).

Une histoire du IIIe Reich, par François Delpla (Perrin)

Hitler’s Shadow. Nazi War Criminals, U.S. Intelligence, and the Cold War, par Richard Breitman et Norman J. W. Goda (National Archives).
Islam and Nazi Germany’s War, par David Motadel (Harvard University Press).

Hitler, la propagande et le monde arabe, par Jeffrey Herf (Calmann-Lévy).

Source L’Express – https://www.terrepromise.fr

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