L’histoire du Dr Eugene Lazowski, le “Schindler polonais”

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Comment un médecin a sauvé 8000 juifs des griffes nazies en créant une fausse épidémie

Par Yvan Pandelé le 08-08-2019

L’histoire vraie du Dr Eugene Lazowski !

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le médecin polonais Eugene Lazowski est parvenu à sauver des milliers de patients juifs de la déportation. Pour tenir les nazis à distance, il s’est employé à simuler une épidémie de typhus dans une douzaine de villages, grâce à un tour de passe-passe immunologique. Retour sur l’histoire du Schindler polonais.

C’est une histoire moins connue que celle de La Liste de Schindler, mais elle mériterait tout autant d’être portée à l’écran.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, deux médecins polonais sont parvenus à sauver quelque 8000 Juifs de la déportation, en détournant les obsessions sanitaires des nazis à leur profit. Leur idée, brillante : simuler rien de moins qu’une épidémie de typhus.

Septembre 1939. À 26 ans, Eugene Lazowski (Eugeniusz Łazowski) termine ses études de médecine lorsque le Troisième Reich déclare la guerre à la Pologne.

Mobilisé dans l’armée polonaise, il est d’abord capturé par les Soviétiques, puis les Allemands, avant de s’évader d’un camp de prisonniers. Avec sa femme, il s’installe dans le village de Rozwadów, près de la ville de Stalowa Wola, dans le sud du pays.

Humaniste, il brave l’interdiction formelle de soigner les patients juifs, allant jusqu’à mettre au point un stratagème : les patients du ghetto ayant besoin d’un médecin suspendent un linge blanc à leur fenêtre, pour qu’il puisse leur rendre visite à la faveur de la nuit.

Il est également proche de la Résistance polonaise, mais les autorités allemandes semblent disposées à fermer les yeux sur ces accointances.

Les médecins sont en effet d’autant plus précieux aux yeux de l’occupant qu’ils ont pour mission de surveiller la survenue des maladies infectieuses. Et surtout…

du typhus, présent sporadiquement en Europe de l’Est. Les épidémies de la Grande guerre sont dans les mémoires et la crainte du typhus obsède tant les nazis qu’elle leur sert de prétexte à la mise en place des ghettos. Les juifs soupçonnés d’être malades ne transitent même pas dans les camps : ils sont exécutés sur place.

Détourner leurs obsessions sanitaires contre les nazis tient sans doute du coup de génie, mais l’idée n’a donc rien de saugrenue. Elle naît lorsque le Dr Lazowski reçoit la visite d’un jeune Polonais de sa connaissance, en permission.

Employé de force dans un camp de travail allemand, il prévoit de déserter mais craint des représailles pour sa famille. Lazowksi s’en ouvre à un confrère d’un village voisin, le Dr Stanisla Matulexicz, qui a mené des recherches sur le dépistage du typhus.

La seringue contre le fusil

Pour diagnostiquer le typhus, on emploie alors la réaction dite de Weil et Félix. Les anticorps anti-rickettsies produits par les malades ont en effet la propriété de réagir avec certaines souches de bactéries Proteus, produisant une agglutination visible à l’œil nu.

Fine mouche, Matulewicz comprend qu’il est possible d’émuler ce test sérologique en injectant lesdites bactéries aux patients. Lazowski injecte des souches de Proteus OX19 préalablement inactivées au jeune homme et envoie un échantillon sanguin à un laboratoire allemand. C’est un succès : le jeune Polonais est réformé pour maladie.

Les deux médecins tiennent là le faux positif idéal. Par crainte des représailles nazies, Matulewicz se retire de l’affaire, mais Lazowski décide de poursuivre ce qu’il appelle sa “guerre privée” contre l’occupant.

Il met à profit ses consultations pour sélectionner des patients (non juifs) présentant des symptômes assimilables au typhus (fièvre, toux, maux de tête…) et leur injecte la concoction, officiellement comme “stimulant protéique”. À leur insu…

Les patients traités deviennent positifs au test du typhus.

En moins de deux mois, les autorités allemandes voient affluer les cas de typhus autour de Stalowa Wola et croient à l’émergence d’un foyer épidémique. La zone est bouclée et les juifs du village laissés en paix. L’immunité de groupe a fonctionné. Durant la guerre, le Dr Lazowski “traitera” ainsi douze autres villages des environs de Stalowa Wola.

Vodka à volonté pour “Herr Doktor”

Bien sûr, le typhus est extrêmement létal et les cadavres n’ont pas l’air de s’amonceler. Au fil des mois, la suspicion monte. En 43, une délégation nazie est envoyée pour faire la lumière sur l’épidémie de Stalowa Wola.

Le médecin allemand est reçu à Rozwadów par son cher confrère polonais, qui fait couler la vodka à flots. Plus désireux de profiter de l’hospitalité polonaise que de se frotter au typhus, il se contente d’envoyer ses deux assistants recueillir des échantillons sanguins auprès de patients préalablement sélectionnés par Lazowski pour leur teint souffreteux. La supercherie n’est pas éventée.

L’affaire serait restée inconnue si l’opiniâtre médecin n’avait pas dû fuir la Pologne en 44. La gestion des épidémies n’était alors plus une priorité pour le Troisième Reich et en tant que membre de la résistance polonaise, Lazowski était sur le point d’être arrêté par la Gestapo.

Il se réfugie aux États-Unis et devient professeur de pédiatrie à l’université de l’Illinois. Ce n’est que dans les années 80 qu’il racontera son histoire, dans un article publié en polonais. On estime qu’il a réussi à protéger plus de 8000 juifs de la déportation et de la mort. À la force du savoir.

Sources :
– How a Fake Typhus Epidemic Saved a Polish City From the Nazis, Matt Soniak, 2015, Atlas Obscura.

– Deception by immunization, revisited, John DC Bennett et Lydia Tyszczuk, British Medical Journal, 1990.

– Le typhus, une maladie idéologisée, Marta Aleksandra Balinska, La Revue du praticien, 2005.

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