par Henriette AZEN
A Tlemcen, ville natale de mon père, à quelques deux cents kilomètres à l’ouest d’Oran, en Algérie, est enterré le célèbre rav Ephraïm Enkaoua, arrivé d’Espagne par le Maroc.
Sa sépulture était l’objet d’un pèlerinage annuel lors de Lag ba-‘Omer ou fête des pèlerinages, quarante jours après Pessa’h. Les gens venaient de toutes les villes d’Algérie pour assister à ces festivités. Ils faisaient des voeux en priant ce Rabb de les exaucer et quand ce voeu était réalisé, ils allaient à n’importe quelle période de l’année pour le remercier.
Mon regretté époux Joseph Azen (que son âme repose en paix !) m’avait dit qu’après l’armistice de 1918, son père étant revenu sain et sauf de la Grande Guerre ; toute la famille, bien qu’ayant de modestes moyens, était allée en pèlerinage au Rabb de Tlemcen. J’y suis allée quelques fois quand j’étais jeune, avec mes parents.
Nous séjournions chez un frère de mon père. Cette fête des pèlerinages s’appelait la Hilloula. C’était vraiment la grande fête : il y avait du monde partout ; je revois une large et longue allée au fond de laquelle reposaient le Rabb et des membres de sa famille.
Sur la grande tombe blanchie à la chaux on mettait un morceau de sucre mouillé d’eau et on suçait ce sucre, accroupi, en priant pour la réalisation de ses voeux ou en remerciant pour les voeux exaucés.
Dans ce cimetière en fête il y avait en plusieurs endroits des groupes de musiciens de musique orientale, arabo-andalouse. On dansait, on chantait, on pique-niquait dans les vastes jardins, et aussi près d’une source d’eau très claire.
Il y avait des marchands juifs qui vendaient des petites médailles bleues représentant le Rabb et des petits sachets de tissu contenant un peu de terre de ce cimetière. Je conserve encore le petit sachet rose que j’épinglais sur ma combinaison chaque fois que j’allais subir un examen à Oran tout au long de mes études; cela portait bonheur, disait-on.
A la mairie de Tlemcen avait lieu chaque année pour la Hilloula un bal traditionnel et des familles venues de partout se retrouvaient là. Ma soeur de douze ans mon aînée étant couturière confectionnait pour elle et ses cousines les superbes robes qu’elle étrenneraient pour se rendre à ce bal (avant d’épouser ma mère, mon père, veuf d’un premier mariage, avait un garçon et deux filles).
Une de mes cousines originaire comme moi de Sidi-Bel-Abbès a connu à la faveur de l’un de ces bals un tlemcenien qu’elle a épousé, plusieurs mariages se sont faits par la suite dans les mêmes circonstances.
Quand on jurait selon l’expression consacrée: “Sur le Rabb de Tlemcen !” c’était au dessus de tout. Qui était donc ce vénéré Rabb de Tlemcen ? Tout ce qui suit est extrait du calendrier israélite 5748 = 1987-1988 édité par ” La Fraternelle “, Union des amis de Tlemcen , 15 rue des Petites Ecuries 75 010 Paris.
La vie du Rabb Ephraïm Aln’Kaoua (1359 – 1442)
Rav Ephraïm Aln’Kaoua qui est inhumé à Tlemcen, est l’un des rabbins les plus prestigieux du judaïsme algérien.
Par la noblesse de ses sentiments, l’étendue de son savoir, la fascination qu’il exerçait sur sa communauté, il a été considéré en son temps comme ” la lumière d’Israël ” et, après plusieurs siècles sa mémoire est toujours évoquée avec vénération.
Né en 1359, à Tolède, l’un des foyers rayonnants de la culture juive en Espagne, rav Ephraïm Al-n’Kaoua est le descendant d’une lignée de rabbins talmudistes et thaumaturges.
Son père, rabbi Israël, Grand rabbin de Tolède, confia l’éducation de son fils à des maîtres éminents qui lui enseignèrent bien des branches du savoir. Lui-même étudia la médecine à l’Université de Palencia (Nouvelle Castille).
Mais après la Reconquista, l’Espagne vivait une époque troublée. Les tracasseries contre les Juifs étaient entretenues par le tribunal de l’Inquisition.
Des flambées d’antisémitisme provoquées par le clergé local contraignirent bien des Juifs à la conversion ou à l’exil. Ainsi, en 1390 l’archidiacre Don Martinez Fernand d’Ecija du diocèse de Séville, bien qu’excommunié, lança l’ordre aux clercs du diocèse de démolir les synagogues.
A Séville aussi, en 1391, une émeute populaire dirigée contre les collecteurs d’impôts juifs entraîna la mort de deux mille personnes.
Le père du Rabb, rabbi Israël, convaincu de pratiquer en secret le judaïsme, fut arrêté, jugé et brûlé vif. Pour échapper à la persécution, le Rabb Ephraïm avec tant d’autres abandonna l’Espagne et se réfugia au Maroc.
Il fut vite adopté par la communauté de Marrakech. Quelques mois plus tard, il quitta cette ville hospitalière pour se rendre à Hanaïm, port où aboutissait la route de l’or et des esclaves, mettant en relation le Soudan à Tlemcen. Le Rabb arriva dans cette ville en 1391, et la légende renchérit en précisant “sur un lion avec serpents pour licol”.
Encore que leur présence soit attestée dès le premier siècle avant notre ère, les Juifs de la région de Tlemcen n’avaient pas le droit de cité dans cette capitale des rois Beni-zeyâne. Ils devaient séjourner seulement en banlieue, à Agadir.
Un événement fortuit améliora leur situation. Le sultan Abou Tachfine dut faire appel à l’art médical du Rabb Ephraïm car sa fille se trouvait dans un état désespéré.
Le Rabb la guérit miraculeusement, il sollicita pour ses coreligionnaires la possibilité d’édifier la première synagogue d’El Khessaline, l’autorisation de séjour pour des Juifs d’Espagne, de Majorque, du Maroc.
La communauté juive s’installa alors non loin du Méchouar, prospéra, organisée autour de dix-sept synagogues.
Entouré de la vénération générale de la population de Tlemcen, après avoir répandu des marques de sagesse et de sainteté, le Rabb Ephraïm Aln’Kaoua s’éteignit en 1442 à quatre-vingt deux ans.
Avec la trentaine de membres de sa famille, il repose en un lieu de rêve, prédestiné pour traverser l’éternité, au milieu des jardins où l’on ne peut entrer sans émotion, dans un silence à peine troublé par le piaillement des oiseaux.
Au bout d’une allée bordée d’arbres, sur une longue pierre tombale blanchie à la chaux est gravée une vieille épitaphe en hébreu : ” Ici repose celui qui fut notre orgueil, notre couronne, la lumière d’Israël, notre chef et maître, versé dans les choses divines, homme miraculeux, le Grand Rabbin Ephraïm Aln’Kaoua. Que son mérite nous protège “.
Son traité philosophique, Chaar Kevod Hachem (A la gloire de l’Eternel), dans la tradition de Maïmonide, nous renseigne sur la finesse de sa pensée, et son testament religieux reste d’une étonnante actualité : ” Je vous laisse deux sources : la source d’eau pour fortifier votre corps et la source de la Tora qui symbolise la vie éternelle. La source d’eau offerte par la volonté de D’ et la source de la Tora qui demande la bonne volonté de chacun de nous “.
La communauté dispersée en France est consciente que le Rabb de Tlemcen demande pour elle la miséricorde divine. Lire la suite