par Giulio Meotti
- Récemment, au Royaume-Uni, d’éminents intellectuels conservateurs ont été écartés. Roger Scruton, philosophe d’une exceptionnelle stature a été limogé d’une commission gouvernementale …
- Puis ce fut le tour Jordan Peterson. L’Université de Cambridge a annulé la bourse de recherche de ce psychologue canadien de réputation internationale…
- En refusant de dénoncer la censure, en ne défendant pas le droit à la liberté d’expression de Salman Rushdie, de Roger Scruton, de Jordan Peterson, de Charlie Hebdo et du Jyllands-Posten – la pointe d’un énorme iceberg – nous avons pris le chemin de la soumission à la charia et à la tyrannie. Notre culture soi-disant « blasphématoire » a été revêtue d’une burqa pour éviter d’attenter à la sensibilité de personnes qui elles, ne semblent pas gênées de nous offenser.
En 1988, Salman Rushdie (à gauche), citoyen britannique, publie Les Versets Sataniques. En 1989, l’Ayatollah Ruhollah Khomeiny (à droite), « guide suprême » de l’Iran, condamne Rushdie à la peine de mort. L’affaire Rushdie a transformé en profondeur la société britannique. (Sources images : Rushdie – Andrew H. Walker / Getty Images ; Khomeiny – Mohammad Sayyad / Wikimedia Commons) |
Il y a trois ans, le gouvernement italien a pris la honteuse décision de voiler d’antiques statues romaines pour ne pas attenter à la sensibilité islamique du président iranien Hassan Rouhani, en visite officielle en Italie. Les statues nues ont été enfermées dans des caissons blancs. Il y a un an, à Florence, une autre statue de style gréco-romain représentant un homme nu, a également été recouverte à l’occasion de la visite du prince héritier d’Abou Dhabi. Aujourd’hui, l’une des plus fameuses galeries d’art britanniques a masqué deux tableaux sur plainte de visiteurs musulmans dénonçant leur caractère « blasphématoire ».
À la Saatchi Gallery de Londres, deux tableaux de nus accolés à une citation en arabe de la shahada, l’un des cinq piliers de l’islam, ont suscité l’ire de visiteurs musulmans. Leur demande de retrait des peintures de l’exposition Rainbow Scenes (Scènes Arc en Ciel) n’a pas été satisfaite, mais les deux œuvres « offensantes » ont été voilées. « Saatchi se comporte comme l’Arabie saoudite, les œuvres qui blasphèment contre l’islam sont cachées au public », a commenté Brendan O’Neill dans la revue Spiked. Un expert a vu dans cette affaire un « retour des Versets sataniques ». Il faisait ainsi référence au roman publié en 1988, qui valut à son auteur, Salman Rushdie, citoyen britannique, d’être condamné à mort par le « Guide suprême » iranien, l’ayatollah Ruhollah Khomeini. La prime sur la tête de Rushdie a été portée à 4 millions de dollars en 2016 après qu’un groupe d’Iraniens a augmenté la « récompense » de 600 000 dollars – sans que cela provoque une quelconque protestation de la Grande-Bretagne.
De nombreuses maisons d’édition occidentales ont cédé à l’intimidation islamiste. L’éditeur Christian Bourgois qui avait acheté les droits des Versets sataniques pour la France, a refusé de les publier. Pour la première fois, au nom de l’islam, un écrivain a été condamné à disparaître de la surface de la terre – et à voir sa tête mise à prix.
Rushdie a survécu, mais Theo van Gogh lui, a été assassiné en 2004 pour avoir produit et réalisé « Soumission », un film sur la violence islamique à l’égard des femmes ; la mort de tant d’intellectuels arabo-musulmans coupables d’avoir écrit librement ; les émeutes qui ont suivi les caricatures danoises, les nombreux procès (ici et ici ), les tentatives de meurtre (ici et ici), l’exécution de la rédaction du magazine satirique français Charlie Hebdo, les violences qui ont suivi le discours du pape Benoît à Ratisbonne, les renoncements à publication et la réécriture de textes littéraires, les musées qui enferment dans leurs caves des représentations de Mahomet, les menaces et sanctions croissantes, y compris la flagellation, infligées à d’innombrables journalistes et écrivains tels que Raif Badawi en Arabie saoudite… tous ces événements auraient dû nous mettre en garde au lieu de nous mettre à genoux.
La capitulation de la galerie Saatchi montre que la liberté de parole en Europe est faible et en voie d’extinction. Les extrémistes islamiques et les apaiseurs occidentaux ont obtenu gain de cause. C’est la tragique leçon de l’affaire Rushdie : aujourd’hui, après 30 ans, aucun auteur n’oserait plus écrire Les Versets Sataniques ; aucune grande maison d’édition comme Penguin n’oserait plus l’imprimer ; les attaques des médias contre les « islamophobes » sont plus fortes aujourd’hui qu’hier, et la trahison des diplomates occidentaux est abyssale. Aujourd’hui, face aux médias sociaux, outil de censure et menace de masse implicite, un auteur serait probablement moins chanceux que ne l’a été Rushdie il y a 30 ans. Plus le temps a passé et moins nous avons progressé. Le jihad contre Les Versets sataniques s’est reproduit encore et encore.
« Personne n’a plus les c… d’écrire Les Versets sataniques, et encore moins de les publier », a déclaré l’écrivain Hanif Kureishi. « L’écriture devient timide parce que les écrivains sont terrifiés ».
En 2008, Kenan Malik écrivait :
« Aucune censure formelle n’est à l’œuvre, et aucun État n’interdit la publication d’œuvres offensantes. Une culture de l »autocensure se développe qui a rendu moralement inacceptable d’attenter à la sensibilité d’autrui. Dans les vingt années qui ont suivi la publication des Versets sataniques, la fatwa a été intériorisée ».
L’affaire Rushdie a transformé en profondeur la société britannique. La reddition de la Saatchi Gallery à Londres n’a rien d’exceptionnel. La Tate Gallery a remisé une sculpture de John Latham intitulée « D’ est grand » laquelle emprisonnait dans du verre le Coran, la Bible et le Talmud. « Tamerlan le Grand » de Christopher Marlowe a été censuré au Barbican Centre : la tirade affirmant que le prophète de l’islam « ne méritait pas d’être vénéré », et la scène ou le Coran était brûlé ont été retirées. La Whitechapel Art Gallery de Londres a expurgé une exposition des poupées nues qui auraient risqué d’incommoder la population musulmane. Aux Mall Galleries de Londres, un tableau de Mimsy intitulé « ISIS Threaten Sylvania » (L’Etat islamique menace Sylvania) qui représentait des peluches terroristes sur le point de massacrer d’autres peluches en train de pique-niquer a été censuré.
Au Royal Court Theatre de Londres, Richard Bean a été contraint de censurer son adaptation de « Lysistrata », la comédie grecque dans laquelle les femmes font la grève du sexe pour empêcher les hommes de partir à la guerre. Dans la version de Bean, des vierges islamiques agissaient de même pour arrêter les kamikazes.
Désormais, au nom de la lutte contre « l’islamophobie », l’establishment britannique rampe vers la charia : il purge et censure lui-même.
Récemment, au Royaume-Uni, d’éminents intellectuels conservateurs ont été écartés. Roger Scruton, figure de proue de la réflexion sur le conservatisme, a été limogé d’une commission gouvernementale pour avoir déclaré que le mot « islamophobie » avait été inventé par les Frères musulmans « pour mettre fin à la discussion sur un problème majeur ».
L’Université de Cambridge a annulé la bourse de recherche du distingué psychologue canadien Jordan Peterson, parce qu’il avait posé au côté d’un homme revêtu d’un t-shirt « I’m a proud Islamophobe » (Je suis un fier islamophobe). Le professeur Peterson a déclaré peu après que le mot « islamophobie » avait été « imaginé par des extrémistes musulmans, afin de garantir que l’islam ne soit jamais critiqué en tant que structure ».
Les cas Scruton et Peterson confirment – s’il était besoin – que « l’islamophobie » a bel et bien été inventée pour faire taire toute critique de l’islam, ou encore, comme l’a commenté Salman Rushdie, ce mot a été « créé pour aider les aveugles à rester aveugles ». La réaction en retour se fait toujours attendre.
En 2008, Tim Walker du Telegraph, citant le célèbre dramaturge Simon Gray, a expliqué que Nicholas Hytner, directeur du National Theatre de Londres de 2003 à 2015, « s’est employé à offenser les chrétiens » en prenant bien « garde de ne jamais mettre en colère les musulmans ». Les journalistes du magazine satirique français Charlie Hebdo, les derniers qui ont tenté de rire de l’islam, l’ont payé de leur vie. En ne défendant pas le droit à la liberté d’expression de Salman Rushdie, de Roger Scruton, de Jordan Peterson, de Charlie Hebdo et du Jyllands-Posten – la pointe d’un énorme iceberg – nous avons pris le chemin de la soumission à la charia et à la tyrannie. Nous avons habillé notre culture soi-disant « blasphématrice » d’une burqa pour éviter d’attenter à la sensibilité de personnes qui elles, ne semblent pas du tout gênées de nous offenser.
Giulio Meotti, journaliste culturel à Il Foglio, est un journaliste et auteur italien.