Cette semaine dimanche matin 12 mai quatre pétroliers ont été attaqués alors qu’il voyageait dans les eaux internationales à la sortie du détroit d’Ormuz en direction de l’océan Indien. Alors que j’écris ces lignes, on ne connaît pas encore les détails de l’opération : qui sont les auteurs ni où ils se sont enfuis ni comment ils ont frappé les pétroliers ni les dommages subis. Je présume que les services secrets occidentaux et évidemment américain connaissent exactement les auteurs et les modalités de l’attaque.
Tous les commentateurs pointent un doigt accusateur vers l’Iran qui domine le détroit d’Ormuz et la tiennent responsable de la quadruple attaque car ce n’est pas la première fois qu’un tel acte est commis. Le 25 juillet 2018 il y a environ 10 mois, deux pétroliers saoudiens voyageant dans le sud de la mer Rouge ont été attaqués à Hodida au nord du détroit de Bab Almandev. Les attaquants étaient des rebelles houthis du Yémen, en conflit direct avec l’Arabie saoudite, mais un mois après l’attaque, un officier supérieur iranien a admis que les Houthis avaient perpétré l’attaque à la demande de l’Iran.
Dans l’attaque de cette semaine personne ne croit que la responsabilité de l’Iran n’est pas engagée. Le lieu de l’attaque et le nombre de bateaux visés indique qu’il s’agit d’un message clair envoyé au président Trump : si vous voulez la guerre alors vous aurez la guerre mais nous les Iraniens nous n’avons peur ni de vous, ni de vos menaces prétentieuses, ni de la force militaire américaine ni du porte-avion Abraham Lincoln que vous avez envoyé dans le golfe accompagné de son escorte de navires.
Le porte-avion américain a été transféré dans le golfe Persique après que les services de renseignement américains ont identifié des mouvements inhabituels de missiles balistiques iraniens, apparemment en préparation de leur envoi. John Bolton, Conseiller à la Sécurité nationale de Trump a déclaré : « Les États-Unis ne cherchent pas une guerre contre le régime iranien, mais nous sommes prêts à réagir à toute attaque, qu’il s’agisse des Gardiens de la révolution, de leurs Forces de sécurité, des Forces de sécurité iraniennes ou de leurs affiliés. Les Iraniens ont à leur tour réagi et leurs porte-paroles se font concurrence dans une surenchère de menaces.
L’Iran fait monter la tension en misant sur le fait que les États-Unis ne veulent pas d’une guerre et ne prendront pas de mesures sérieuses de rétorsion car contrairement à la situation des précédentes guerres du Golfe en 1991 et 2003 au cours desquelles les armées de l’OTAN et de l’Australie se sont battus aux côtés des États-Unis, aujourd’hui il y a une très forte opposition de la part des Etats européens membres de l’OTAN, en particulier de la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne qui ont signé l’accord nucléaire avec l’Iran en 2015 les engageant même après le retrait des États-Unis.
Je vois dans l’attaque des pétroliers saoudiens cette semaine le coup d’envoi de la troisième guerre du Golfe. En effet les États-Unis ne peuvent pas se permettre de recevoir ce genre d’humiliation de la part de Téhéran surtout avec Donald Trump qui parlait déjà de rendre leur ancienne grandeur aux Etats-Unis avant même d’arriver à la Maison-Blanche il y a deux ans et demi. L’attaque contre les navires saoudiens fournit à Trump un motif de guerre contre l’Iran et je ne serais pas surpris que dans un avenir très proche des cibles iraniennes soient visées, par exemple le port depuis lequel les assaillants ont attaqué les pétroliers ou bien les installations nucléaires iraniennes.
Pour les États-Unis les dommages causés aux navires dans le détroit d’Ormuz sont un acte visant à saper l’ordre économique et politique mondial car il a eu lieu dans les eaux internationales même si c’est sous le nez des Iraniens. Cela risque de porter un coup puissant à l’économie mondiale, les prix du pétrole vont grimper ainsi que les tarifs des assurances maritimes entraînant une augmentation du prix de toutes sortes de produits.
Trump demande aux Iraniens d’entamer des négociations sur un nouvel accord nucléaire, tandis que les Iraniens exigent des excuses des États-Unis pour avoir renoncé à l’accord sur le nucléaire. Les deux camps sont engagés dans une surenchère de menaces d’actions tandis que grandit le risque d’un affrontement direct.
Il existe deux tendances en Iran : d’une part la tendance radicale des Gardiens de la Révolution qui s’opposent à la signature d’un nouvel accord nucléaire limitant le développement de la bombe atomique iranienne et cherchent à dégrader la situation avec les États-Unis pour les obliger à lever les sanctions et à revenir à l’accord nucléaire de 2015.
D’autre part, la tendance modérée dirigée par le ministre des Affaires étrangères Ghuwad Zarif, qui affirme que l’Iran doit accepter les règles du jeu internationales et ne pas provoquer le droit américain ou le droit international pour pouvoir tenir sans trop de dommage la période d’un an et demi qui reste jusqu’aux prochaines élections américaines en novembre 2020, en espérant que les démocrates reviennent au pouvoir et qu’ils lèvent les sanctions imposées à l’Iran et renouvellent leur engagement en faveur de l’accord nucléaire. Les attaques contre les pétroliers saoudiens indiquent que le guide suprême Khamenei soutient les Gardiens de la Révolution et est prêt à mettre son pays en danger plutôt que de capituler devant le « grand Satan », surnom utilisé en permanence pour nommer les États-Unis dans la rhétorique des Ayatollahs.
Dans le golfe persique l’air est empli de vapeur d’essence, les installations de pétrole et de gaz sont omniprésentes, la menace d’un coup fatal porté aux économies de l’Arabie Saoudite, du Koweït et des Émirats arabes unis est prise en compte car pour l’Iran rien de plus simple et rapide à mettre en oeuvre. La possibilité que la situation se détériore et dégénère en guerre est très élevée et il est possible que nous assistions dans un futur proche à un clash frontal entre les États-Unis et l’Iran.
Les conséquences pour Israël pourraient ne pas être faciles du tout à gérer car si des actions violentes se produisent dans le golfe, le Hezbollah pourrait utiliser son arsenal de missiles contre Israël. Ni le Hamas ni le Jihad islamique à Gaza ne resteront les bras croisés et entreront très vraisemblablement en action sur ordre de Téhéran. Est-ce qu’Israël réagira rapidement et de manière décisive en cas d’attaque selon son avertissement lancé au Hezbollah : ramener le Liban à l’âge de pierre ? Et que fera Israël de Gaza ? Netanyahou et Trump envisagent des solutions.
Il est possible que les Iraniens et leurs alliés au Liban et à Gaza comptent sur Poutine pour empêcher Trump de se déchaîner sans limite et pour mettre tout le poids de son armée afin d’arrêter la machine de guerre américaine. Je doute fort que Poutine veuille une détérioration de ses relations avec les Américains à cause des Iraniens. Or les Iraniens pour Poutine sont des partenaires, voire des alliés, chargés de tâches importantes telles que la préservation du régime syrien, l’acquisition d’une autre centrale nucléaire russe et la fixation du prix du gaz. Mais sacrifier la Russie dans une guerre avec les États-Unis qui pourrait dégénérer en un Holocauste mondial est bien plus que ce que Poutine est prêt à envisager. Après tout, il sait exactement ce que les Ayatollahs pensent de quelqu’un qui boit de la vodka et mange du cochon.
Si j’étais consultant auprès de Khamenei, je lui conseillerais de faire attention aux intérêts de Donald Trump, John Bolton et Mike Pompeo, surtout si ce groupe détient la force militaire la plus importante et la plus dangereuse au monde. Cependant je ne suis pas un conseiller de Khamenei et il est en train de plonger son régime et son pays dans un danger existentiel.
Israël doit se préparer à tous les scénarios possibles en provenance du Liban et de Gaza et aussi bénir avec la Birkat Hadere’kh* l’armée américaine en route pour effectuer des missions importantes sur la terre des Perses.
*La bénédiction prononcée avant un trajet périlleux
Adapté de l’hébreu par ©www.danilette.com
Le Professeur Kedar enseigne dans le département d’arabe de l’université Bar-Ilan et chercheur associé au Centre Begin-Sadate d’Etudes Stratégiques. Il a servi dans les Forces de Défense d’Israël 25 ans en tant que spécialiste du monde islamique et de la société palestinienne. Il participe régulièrement à des échanges et débats en arabe avec des partenaires du monde arabe.
Source www.danilette.com