La Jordanie et Jérusalem

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Israel Hayom par Daniel Siriuti – Mabatim

Pour comprendre la position de la Jordanie au sujet du Mont du Temple, constatons le paradoxe : les tribus bédouines soutiennent un régime islamiste et les Frères musulmans soutiennent la monarchie. Résultat : le roi Abdullah critique Israël

Les événements du Printemps arabe, qui bouleversent le Moyen-Orient depuis près d’une décennie, ont épargné le royaume de Jordanie voisin. Les citoyens du royaume hachémite, contrairement à leurs voisins syriens et irakiens, n’ont pas eu à faire face à une guerre civile sanglante, à l’immigration incontrôlée et à l’absence d’un gouvernement central stable.

Le casse-tête palestinien

Cependant, les responsables jordaniens admettent qu’une frontière commune entre la Jordanie et un État palestinien indépendant constitue le scénario le plus menaçant pour la stabilité du royaume jordanien.

De plus, selon les Jordaniens, la reconnaissance de la souveraineté des Palestiniens à Jérusalem-Est pourrait amener une exigence palestinienne d’étendre cette souveraineté au Mont du Temple (Esplanade des mosquées pour les Musulmans). Or, depuis 1967 ce sont les Jordaniens au travers du WAQF (comité de gestion du Mont du Temple), qui sont des gardiens de ce mont où se dresse la mosquée Al-Aqsa. Ce statut de gardiens est justifié, d’après les Jordaniens, par leur descendance directe du prophète Mahomet et donc, eux seuls ont le droit d’être gardiens du troisième lieu saint de l’Islam.

Pas de Hamas à Amman

L’inquiétude de perdre la garde des lieux saints a été exprimée par les Jordaniens à l’occasion de la demande de l’ancien chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mashaal, de créer en Jordanie, un quartier général de l’aile politique du Hamas. Cette demande a été rejetée avec véhémence par les Jordaniens. De hauts responsables des services de renseignement jordaniens ont expliqué, lors de discussions à huis clos avec Khaled Mashaal, que la coopération étroite entre les services de sécurité jordaniens et les services de sécurité israéliens contribuait à la stabilité du royaume, par conséquent un bureau du Hamas était incompatible avec la politique sécuritaire de la Jordanie.

Versatilité des bédoins

Pinhas Inbari, orientaliste au Centre de recherches aux affaires publiques et politiques de Jérusalem, et qui étudie spécialement les mutations en Jordanie, affirme que, même si cette dernière a échappé aux événements du printemps arabe, le royaume n’a pas échappé à l’installation de partisans de Daesh. D’autant plus, qu’à l’apogée du califat islamique, les chefs religieux des tribus bédouines ont ouvertement déclaré leur fidélité à Daesh, en appelant en même temps au renversement de la monarchie.

À cela, il faut ajouter les écarts économiques et sociaux entre la capitale Amman et les villes périphériques. De fréquentes critiques sont exprimées par de nombreux éléments jordaniens, au sujet des fastes et des gaspillages de la famille royale. Inbari souligne, que la détérioration de la situation économique des tribus périphériques bédouines a miné la loyauté à la couronne. Du temps du roi Hussein, ces tribus bédouines étaient totalement loyales à la monarchie, par contre aujourd’hui, cette loyauté est considérée comme une faiblesse du régime.

À l’inquiétude de la famille royale concernant les palestiniens résidents en Jordanie, s’est ajoutée la montée en puissance du secteur bédouin, qui s’identifie de plus en plus à Daesh, dans les rangs de l’armée jordanienne et dans le secteur public, où de nombreux bédouins occupent des postes de responsabilité, dans l’administration et dans l’appareil de sécurité intérieure.

Les bédouins en Jordanie se considèrent, à juste titre, comme le fondement du pays, alors que les Palestiniens sont considérés comme des « invités ». Les bédouins sont majoritairement employés en tant que fonctionnaires du gouvernement. Les Palestiniens, vivant dans la capitale et grandes villes, constituent pour la plus part le secteur privé. Cela provoque des troubles parmi les clans et les tribus bédouines, qui voient avec agacement les « invités » palestiniens s’épanouir et accumuler les richesses aux dépends des « légitimes » bédouins.

La dimension religieuse

La tension inhérente entre les bédouins et les Palestiniens en Jordanie se complique du fait de la dimension religieuse. Les Frères musulmans en Jordanie sont principalement composés de Palestiniens, et qui est en réalité le mouvement du Hamas. Ce mouvement, « marchant sur les œufs » essaie prudemment de s’implanter dans le royaume, veille à ne pas y placer aux postes de responsabilité des personnalités palestiniennes, mais des religieux du secteur bédouin.

Selon Anbari, grâce et étonnamment au soutien des Frères musulmans, le royaume a réussi à traverser le printemps arabe et l’hiver islamique sans dommages. Alors que les Frères musulmans d’autres pays du Moyen-Orient, tels que l’Égypte et la Libye, ont joué un rôle majeur dans le renversement des régimes en place.

Les chefs des tribus bédouines de la périphérie, affiliés au courant salafiste-wahhabite de la Sunna, ont été influencés par l’expansion du califat islamique de Daesh et ont soutenu les appels visant à renverser la famille royale, afin d’instaurer un régime de la cha’aria. En d’autres termes, les Frères musulmans de Jordanie ont pris le parti du roi Abdullah et n’ont pas permis à leurs militants de lancer une campagne de terreur contre la monarchie. Lorsque les milieux salafistes ont critiqué la branche jordanienne des Frères musulmans pour son soutien à la monarchie, des membres éminents des Frères musulmans jordaniens ont affirmé: « Nous n’avons ni l’envie ni l’obligation de mener la Jordanie dans une situation syrienne, libyenne ou yéménite ». L’alignement des Frères musulmans jordaniens aux côtés de la famille royale, leur a permis de continuer à critiquer sévèrement le traité de paix Jordano-Israélien et appeler à son annulation.

Cependant, même dans cette critique, les Frères musulmans savent où se trouve la ligne rouge vis à vie de la monarchie. Par conséquent elle ne revêt qu’un aspect déclaratif. Le roi et son peuple partagent la rhétorique contre Israël, en particulier sur la question de Jérusalem et du Mont du Temple (Esplanade des mosquées) ; cette rhétorique présente tout opposant à la monarchie comme collaborateur objectif d’Israël.

Au cours des dernières années, les voix s’élèvent en Jordanie, appelant au boycott de tout signe de normalisation avec Israël. Le roi Abdallah et son peuple sont de plus en plus opposés à un rapprochement avec Israël et la possibilité d’un réchauffement des relations avec ce pays. Ce réchauffement est susceptible de provoquer des troubles dans la rue jordanienne contre la famille royale. Selon Inbari, la frustration économique et les bonnes relations entre le roi, les Palestiniens dans le royaume et ceux de Cisjordanie, ont provoqué l’éloignement des tributs bédouines d’avec le roi et le royaume.

De hauts responsables des services de renseignements jordaniens ont même déclaré à Israël Hayom que si les appels critiques de certaines tribus bédouines à l’encontre de la famille royale ne menaçaient pas la couronne, il s’agissait tout de même d’un « développement préoccupant, pouvant menacer la stabilité du royaume ».

La source de légitimité

Selon les mêmes responsables jordaniens, le roi doit faire face à un nouveau défi pour assurer la stabilité. Ce défi c’est le « Deal du siècle », le plan de paix du président Trump, perçu à Amman comme une « judaïsation » du mont du Temple et un changement du « statu quo ». Le statut spécial de la monarchie jordanienne négocié en 1967,avec Israël pour l’administration du mont du Temple, est un élément majeur de la légitimité de la famille royale en Jordanie. Toute violation de ce « statu quo » et, pire, la perte de la garde des lieux saints de l’islam, est susceptible de conduire le roi et sa famille à la perte de la légitimité, voire à la destruction de la monarchie hachémite.

Selon divers rapports, le « deal du siècle » du président Trump comprendra probablement la création d’un conseil islamique panarabe dirigé par l’Arabie Saoudite. Ce conseil serait chargé de la gestion du Mont de Temple (l’esplanade des mosquées). Cette disposition retirerait à la famille royale jordanienne le statut du gardien des lieux saints de l’islam. Selon Inbari, « c’est la clé pour comprendre les changements initiés par la Jordanie, dans la composition du WAQF (comité actuel de gestion du mont du temple), ainsi que l’initiative de la montée de la tension autour de la « Porte de la Miséricorde ».

Dans l’imbroglio explosif de cette affaire, la Jordanie joue sa légitimité de gardien des lieux saint de l’Islam mais aussi le maintien de l’indépendance du royaume, et par là même, la continuité de la monarchie hachémite obtenue des Britanniques en 1945. EG♦

Traduit et adapté par Edouard Grismabatim.info

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