« Imaginez que vous vous appelez Christian Jeaumont, que vous habitez à Paris dans ce que l’on appelle ‘‘les beaux quartiers’’ pas très loin de la cathédrale de Notre-Dame. Imaginez toujours que vous êtes un passionné d’histoire et vous vous intéressez en particulier à l’histoire de France. Vous apprenez que non loin de chez vous, il existe un tombeau royal où sont enterrés des personnages illustres qui, il y a deux mille ans, ont marqué l’histoire de France. Vous décidez de vous rendre sur place pour visiter les lieux. Mais à votre grande stupeur, le lieu est entouré d’un haut mur et d’une barrière qui en empêche l’accès. Au-dessus du monument flotte le drapeau de l’Etat d’Israël. Sur le portail une inscription : Tombeau des rois – Etat d’Israël. Vous apprenez que le monument est fermé au public en raison de travaux depuis… plus de dix ans. Mais bon fermé au public oui et non car on y organise de temps en temps des festivals de musique ; enfin pas pour vous…. Ah j’oubliais : on vous informe que les sarcophages ont été extraits du tombeau, de façon malhonnête, on a caché leur appartenance à l’histoire de France pour les envoyer au musée d’Israël. Intolérable me diriez-vous ; impossible c’est de la fiction. Je vous rassure, vous avez raison ! Pourtant cette situation existe, mais ne vous inquiétez pas monsieur Jeaumont, pas à Paris pas dans la tombe d’un roi de France ou d’un duc de Bourgogne, mais à Jérusalem . Le monument s’appelle le tombeau des rois ».
C’est ainsi que Haïm Berkovits ouvre les conférences qu’il donne sur l’un des lieux où les Juifs ont le plus prié et qui, aujourd’hui, est fermé et sous autorité française. Mandaté par le Consistoire de France pour traiter de ce sujet sensible auprès des autorités françaises et faire le lien avec Israël, Haïm Berkovits travaille dessus depuis des années. Il a même écrit un roman, inspiré de toutes ses recherches et péripéties: « Le Tombeau des Rois » (Editions Persée). Il nous explique l’histoire de ce lieu, ses mystères et les luttes diplomatiques qui y sont liées.
Des philanthropes de l’époque du 2e Temple
Le tombeau des rois est situé à l’intersection entre le chemin de Naplouse (Dérekh Chekhem) et la rue Saladin (rehov Saladine) à Jérusalem, à 820 m au nord des murs de la Vieille ville, proche de la porte de Damas. Il est proche du siège du consulat britannique, de l’Orient House (La Maison de L’Orient) et de la tombe de Simon lejuste (Chimon Hatsadik). Pendant des siècles, les Juifs ont prié sur ce lieu, surtout pour demander la parnassa. En effet, y sont enterrés de grands philanthropes de l’époque du 2e Temple, des personnages qui ont marqué notre histoire, par leur générosité. A commencer par la reine Hélène d’Abadiène – Héléni Hamalka – qui s’était convertie au judaïsme et installée en Israël. »La Guemara parle beaucoup de la reine Hélène, nous explique Haïm Berkovits, elle a offert au Beth Hamikdach, une broche qui reflète la lumière pour que l’esplanade soit éclairée au moment du coucher du soleil. Elle donnait aussi à manger aux nécessiteux ».
L’autre grand personnage enterré là-bas est le beau-père de rabbi Akiva, Kalba Savoua. Il était réputé pour nourrir avec abondance tous les affamés. Enfin, on y trouve aussi la sépulture de Nakdimon Ben Gourion, « la Guemara nous rapporte comment ce riche habitant de Jérusalem donnait à boire aux pèlerins, quitte à engager sa fortune personnelle ».
Outre la grandeur des personnages qui y sont enterrés, le tombeau des rois est un monument splendide, qui faisait partie des lieux les plus importants à visiter en Israël. Flavius Josèphe est le premier à en parler, puis de nombreux autres intellectuels, archéologues et chercheurs s’y sont intéressés comme Chateaubriand, Herzl ou Félicien Joseph de Saulcy. C’est la visite de ce dernier qui va marquer un tournant dans l’histoire du tombeau des rois.
Le vol des sarcophages
C’est en 1851 que l’archéologue Félicien Joseph de Saulcy se rend pour la première fois sur le tombeau des rois. Il affirme qu’y sont enterrés les rois David et Chelomo, avant de reconnaître son erreur, quelques années plus tard. En 1863 il y retourne et entreprend des fouilles. Israël étant sous autorité ottomane, à cette époque, il obtient un mandat officiel du Sultan pour effectuer ses fouilles. Haïm Berkovits nous raconte: « Après plusieurs jours de fouilles, un ouvrier fait une découverte. Il repère un endroit où la roche a été remplacée par du mortier. A coup de pioches, le mortier est retiré donnant ainsi l’accès à une chambre secrète où repose un sarcophage royal depuis près de 1800 ans. Malheureusement aucune précaution ne fut prise lors de l’ouverture du sarcophage, à peine ouvert, le squelette qui s’y trouvait tomba en poussière. Il ne resta plus que l’inscription en lettres hébraïques gravée sur le sarcophage. L’entreprise archéologique prend vite la tournure d’un drame: le tombeau est profané et pillé, on le dépouille de ses sarcophages ». Les Juifs qui vivent à Jérusalem protestent auprès du Pacha mais quand ce dernier se rend sur place de Saulcy avait pris soin de dissimuler l’inscription en hébreu. Le Pacha donne raison à l’archéologue. Ce n’est que grâce à l’intervention de notables juifs comme Moshé Montefiore ou André Crémieux que les fouilles vont être arrêtées.
Mais il est déjà trop tard, de Saulcy a fait embarquer les sarcophages sur un bateau en direction du Musée du Louvre à Paris.
« C’est un coup dur pour la communauté juive de Jérusalem. Impuissants, les grands rabbins de Jérusalem de l’époque se dirigent vers la communauté juive de France, vers ses dirigeants, notamment vers le Grand rabbin de France, Lazar Izidor. Averti de la situation par le Yichouv Hayehoudi, il cherche une solution. Il trouve alors une philanthrope qui décide d’acheter le tombeau des rois et ainsi le préserver de toute profanation : Madame Berthe Amélie Bertrand ».
Le tombeau sauvé?
Berthe Amélie Bertrand, née Lévi, devient orpheline de père à l’âge d’un an. Sa mère, Noémie, sur les conseils de sa bonne, la convertit au catholicisme, afin de la préserver de l’antisémitisme. »Ce sera la frustration de sa vie », nous décrit Haïm Berkovits. Elle épouse un archéologue, Alexandre Bertrand.
Après une rencontre avec le Grand rabbin Lazar Isidor, elle décide d’acheter le tombeau des rois. Le droit en vigueur ne lui donnant pas la possibilité de faire la transaction directement, elle donne l’argent au consul de France pour qu’il traite l’affaire à sa place. « Le consul va alors commettre une erreur et ne pas inscrire le bien au nom d’Amélie Bertrand ».
Le tombeau des rois est confié à la responsabilité d’un Hekdesh, une institution responsable des monuments juifs. « On pense alors qu’Amélie Bertrand a sauvé le tombeau des rois. Mais personne ne sait alors que les ossements de la reine Hélène sont dans les caves du Louvre ».
Après la mort d’Amélie Bertrand, son cousin Henri Pereire, va offrir le tombeau à la France. « Peut-être pensait-il ainsi le mettre à l’abri des convoitises, à tout jamais? », s’interroge Haïm Berkovits, « toujours est-il que la France s’était engagée à le préserver ».
Une bataille diplomatique et juridique
Mais la France ne tient pas ses engagements. « Jamais la France n’a déclaré que ce lieu était celui de sépultures juives. Lorsqu’en 1967, la partie de Jérusalem où se trouve le tombeau est récupérée par Israël, on pouvait visiter le lieu en donnant quelques sous au gardien. Mais en 2000 avec la 2e Intifada, la France décide de fermer l’accès au public, officiellement pour cause de travaux. Ce qui n’empêchait pas d’y organiser des concerts de musique arabe ! Plusieurs colloques ont eu lieu au Louvre, lors desquels aucun responsable israélien n’a été invité et qui nient le fait qu’il s’agisse de tombes juives ».
Le Hekdesh a entamé des pourparlers avec le consulat de France pour d’une part obtenir des heures de visite sur ce lieu où les Juifs ont prié pendant des années et d’autre part, le retour définitif des sarcophages spoliés. Une plainte a été portée devant le tribunal rabbinique mais la France ne reconnaissant pas son autorité, ne s’est pas présentée.
Aujourd’hui c’est en France que le Hekdesh va déposer une plainte. Il est représenté par Maitre Gilles-William Goldnadel. Les demandes sont claires: récupérer la souveraineté sur le tombeau des rois, les ossements de la reine Hélène et les sarcophages. Le Hekdesh demande aussi, a minima, la gestion du lieu. « Aujourd’hui, la France se dit prête à rouvrir le site, à condition qu’Israël reconnaisse qu’il appartient à la France ».
Haïm Berkovits poursuit : « Il ne s’agit pas d’un problème de religion, mais de respect de notre patrimoine. La donation a été faite à la France sur une base juridique tout à fait contestable. Et même si l’on va suivant cet acte, la France n’a pas respecté ses engagements ».
Haïm Berkovits veut être optimiste quant aux chances d’arriver à un accord. « La France et Israël sont des démocraties, on y respecte les décisions juridiques. Nous avons pris un avocat très médiatique, pour pousser à la négociation. Même si le drapeau français reste sur place, il est fondamental que ce soit les Juifs qui gèrent ce lieu. Nous devons écrire cette nouvelle page de l’histoire et faire connaitre ce lieu de la plus haute importance qui appartient à notre histoire ».
Pour aller plus loin
»Le Tombeau des Rois » (Editions Persée), Roman inspiré de l’histoire réelle du lieu
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Guitel Ben- lphinfo.com