Par Jacques Tarnero, chercheur à la Cité des sciences et de l’industrie et documentariste
« Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »Jamais ces mots d’Albert Camus n’ont été aussi pertinents. Jamais ils n’ont été, hélas, en aussi parfaite résonance avec l’actualité. Comment peut-on continuer à nommer du seul mot de « terroriste » les tueurs islamistes ? Quelle est cette prudence qui refuse de qualifier le « terroriste » ? De quelle couleur politique est-il, de quelle appartenance ? Quelle idéologie l’inspire ? Les tueurs nazis n’étaient-ils que des « assassins », des « criminels » ou bien étaient-ils des assassins parce que nazis ?
Faire l’économie du qualificatif « islamiste » consiste à faire entrer le geste du tueur dans la catégorie du fait divers. Ne pas le faire, c’est intégrer la culpabilité de l’accusation d’« islamophobie ». Elle fait partie de la stratégie discursive de l’islamisme. Elle obéit à une logique de disqualification de la critique. Serait-il raciste de regarder de près la matrice islamique de l’islamisme ? Claude Lévi-Strauss ou Germaine Tillon seraient-ils coupables de ce crime intellectuel ?
Guerre au nom de l’islam
Continuer à psychiatriser ces crimes relève d’une étrange prudence. Si le camion « fou » était conduit par un « déséquilibré », aurait-il fallu l’interner dans un asile, s’il n’avait pas été abattu ? Le prêtre égorgé sur l’autel de son église l’a-t-il été par deux « malades mentaux » ? L’empressement que mettent les médias à ne pas qualifier ces crimes ou à les qualifier en leur ôtant leur inspiration politico-religieuse interdit de comprendre le moment dans toute son amplitude.
Comment peut-on continuer à nommer « attentat-suicide » des bombes humaines ? Quelle est la part « suicidaire » du geste de celui qui se fait exploser au milieu de civils innocents ? Est-il un désespéré, un dépressif pour qui la vie n’aurait plus de saveur ? En qualifiant de « suicidé » celui qui tue en se donnant la mort, on donne à ce geste la valeur d’un désespoir quasi romantique qui attire à son égard compassion et interrogation.
Qu’est-ce que ce malheureux a eu à subir pour ainsi se donner la mort ? Les victimes de la bombe humaine n’auraient-elles pas une part de responsabilité dans ce geste ? Ainsi, « l’attentat-suicide »culpabilise ses victimes autant qu’il les tue. Le « martyr » jubile de ce coup double, il jouit dans cette apothéose puisque désormais ce sont soixante-dix vierges qui l’attendent au paradis.