Selon une enquête de l’hebdomadaire Der Spiegel, la montée du parti d’extrême droite AfD a été facilitée par les énormes contributions financières du milliardaire August von Finck, âgé aujourd’hui de 88 ans. Son père, également nommé August von Finck, avait financé Adolf Hitler et fait fortune par la confiscation de biens juifs selon le processus connu sous le nom d ‘«aryanisation».
Le Spiegel conclut que plusieurs millions d’euros ayant contribué à la création et au développement de l’AfD proviennent de l’empire commercial et financier de Finck. En 2013, Finck a été classé 10ème sur la liste Forbes des Allemands les plus riches, avec une fortune de 8,2 milliards de dollars. Afin d’éviter de payer des impôts, Finck habite depuis 1999 dans un vieux château, à Weinfelden en Suisse.
Le soutien de Finck ne s’est pas fait sous forme de dons publics mais par des intermédiaires et des organisations masquant la véritable origine de l’argent. Par exemple, une organisation appelée «Association pour l’État de droit et les libertés civiles» a financé des campagnes d’affichage et des journaux gratuits recommandant un vote pour l’AfD à hauteur d’au moins 10 millions d’euros. Le Spiegel, qui a collaboré avec l’hebdomadaire suisse WOZ dans ses recherches, montre clairement les liens étroits qui unissent cette association au directeur des avoirs financiers et immobiliers de Finck, Ernst Knut Stahl, âgé de 74 ans.
Depuis les années 1990, Finck soutient les partis de droite qui défendent des politiques économiques néolibérales et s’opposent à la monnaie commune européenne. Au cours de cette décennie, il a fait don de 4,3 millions d’euros à la Ligue des citoyens libres, dirigée par le politicien Manfred Brunner du FDP (Parti libéral). La Ligue était un précurseur de l’AfD.
En 2003/2004, un groupe d’entrepreneurs anonymes a versé 6 millions d’euros à l’Association des conventions de citoyens. Béatrix von Storch, à présent une des figures de proue de l’AfD, siégeait à l’époque au bureau exécutif de cette association. La plus grande partie de cette somme provenait de Finck.
En 2009, le groupe d’hôtels et de restaurants Mövenpick, qui appartenait à Finck, a donné 1,1 million d’euros au FDP. Peu après, ce parti imposait une réduction de la taxe sur la TVA dans le secteur hôtelier, qui a profité directement à Mövenpick. Le «don Mövenpick» est devenu un scandale public.
Finck a soutenu l’AfD dès le début. Bernd Lucke et Olaf Henkel, deux de ses membres fondateurs, ont dit au Spiegel avoir rencontré Stahl ou Finck en personne. Hubert Aiwanger, président des Électeurs libres et désormais vice-premier ministre du Land de Bavière, allié de courte durée de Lucke en 2013, a également confirmé ces rencontres. Dagmar Metzger, porte-parole de l’AfD après sa fondation, y a joué un rôle clé. Elle a fourni au parti de l’argent via son agence Wordstatt, tout en maintenant le contact avec Finck et Stahl.
À un stade ultérieur, l’AfD a couvert une grande partie de ses dépenses par le commerce de pièces d’or. La société Finck Degussa, dont les relations publiques étaient gérées par Metzger, l’a soutenue. Quand fin 2015 le Bundestag eut mis fin à ce commerce en modifiant les lois sur le financement des partis politiques, l’Association pour l’État de droit et les libertés civiles a pris le relais en fournissant des millions d’euros pour financer les campagnes de l’AfD.
L’article du Spiegel conclut que ce financement secret et en partie illégal a joué un rôle majeur dans l’ascension de l’AfD. « L’argent gris ou noir est le point de départ de la plupart des scandales politiques en République fédérale », conclut le magazine. « Ce qui est nouveau, c’est qu’un parti comme l’AfD ait pu démarrer avec l’aide d’un financement douteux, puis entrer dans les parlements allemands. »
Si ce financement est peut-être nouveau pour la République fédérale, il a certainement des précédents dans l’histoire allemande. Le père de Finck, August von Finck senior, avait déjà soutenu les nazis alors qu’ils étaient encore loin de prendre le pouvoir. Lui et d’autres industriels ont rencontré Hitler au milieu de 1931 à l’hôtel Kaiserhof à Berlin et ont promis de lui fournir 25 millions de Reichsmark en cas de soulèvement de la gauche. Cette somme équivaut aujourd’hui à environ 100 millions d’euros. Lors d’une autre réunion secrète avec Hitler le 20 février 1933, Finck et d’autres dirigeants d’entreprise ont fourni 3 millions d’euros au chancelier nouvellement installé pour sa campagne électorale prochaine.
August von Finck était l’un des magnats d’affaires les plus influents de la République de Weimar. Son père, Wilhelm Finck, a cofondé la banque Merck Finck & Cie et de nombreuses autres sociétés, notamment la compagnie d’assurance Allianz et le réassureur Münchener Rück. En 1911, Wilhelm Finck a été élevé à la pairie bavaroise.
Le soutien d’August von Finck à Hitler valut la peine. Il rejoignit le NSDAP (parti nazi) en 1933 et y occupa de nombreux postes de direction dans le domaine de la politique et celui des affaires. Il bénéficia de «l’aryanisation» des biens juifs et, après l’annexion de l’Autriche par les nazis, racheta la banque juive S. M. v. Rothschild à Vienne.
Suite à la chute du régime nazi, Finck dut quitter temporairement certains de ses postes de direction et confier la gestion de la banque familiale à un administrateur. Mais il fut autorisé à garder sa fortune, qui avait augmenté parallèlement aux crimes nazis. En 1948, il fut classé parmi les «compagnons de voyage» des nazis. Peu de temps après, il retrouvait ses principaux postes. Il s’est ensuite consacré à la prévention d’une réforme agraire et à l’extension de ses biens immobiliers.
Aujourd’hui, la fortune de Finck repose principalement sur d’immenses biens fonciers à Munich, la ville la plus chère d’Allemagne. La banque Merck Finck & Cie a été vendue en 1990. De plus, August Jr. détient de nombreux investissements dans de grandes entreprises, qu’il achète et vend à intervalles rapprochés. Parmi les entreprises dans lesquelles il était ou reste impliqué figurent la brasserie Munich Löwenbräu, la chaîne de restaurants Mövenpick, le fabricant de machines Von Roll, le fabricant d’armements Oerlikon-Bührle, la société de construction Hochtief et de nombreuses autres.
En 2010, Finck a acheté la marque «Deutsche Gold und Silberscheideanstalt» (Degussa) pour 2 millions d’euros et s’est lancé dans le commerce de l’or, dans le cadre de son plan de soutien à l’AfD. Le nom Degussa est étroitement lié à certains des pires crimes du régime nazi. Une filiale de la société fournissait du gaz Zyklon B aux camps d’extermination nazis. Degussa fondait lui-même les dents en or arrachées aux Juifs assassinés.
Maintenant, la fortune de Finck, le fruit des plus grands crimes jamais commis contre l’humanité, sert de nouveau à promouvoir un parti qui adhère de plus en plus à la politique nazie. Cela souligne l’importance de l’avertissement lancé depuis longtemps par le World Socialist Web Site: face aux tensions sociales croissantes et aux conflits entre grandes puissances, la classe dirigeante allemande revient aux traditions fascistes et militaristes de son passé.
Les révélations à propos des ressources financières de l’AfD confirment une fois de plus le fait que ce parti d’extrême droite n’est pas une sorte de mouvement social de base. Comme le souligne la préface du livre Pourquoi sont-ils de retour? l’émergence de l’extrême droite est « uniquement due au soutien qu’elle reçoit des partis politiques, des médias, du gouvernement et de l’appareil d’État » et, faut-il ajouter, des représentants de l’aristocratie financière.
Source www.wsws.org