Illustration: Poster déchiré de Vladimir Poutine, Bachar al-Assad, le président iranien Rohani et le leaser du Hezbollah Nasrallah (crédit ABNA News – Iran)
Dore Gold – Le Cape
La Russie vient clairement d’exiger le retrait de toutes les forces étrangères installées en territoire syrien. Le retrait vise notamment les troupes turques et américaines, mais surtout les forces iraniennes et les milices chiites du Hezbollah.
Le 17 mai 2018 à Sotchi, le Président russe, Vladimir Poutine, a expliqué cette revendication en déclarant : « Nous partons du fait que suite à des victoires significatives et au succès de l’armée syrienne dans la lutte contre le terrorisme et avec […] l’entrée du processus politique dans une phase plus active, les forces armées étrangères devraient se retirer du territoire de la République arabe syrienne ».
Le lendemain, à Damas, Alexander Lavrentiev, envoyé spécial du président Poutine en Syrie, a précisé que toutes les « forces étrangères » appartenant à l’Iran, à la Turquie, aux États-Unis et au Hezbollah sont incluses.
Ces jours-ci, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a précisé pour sa part, que seules les troupes syriennes devraient être présentes au sud du pays, à la frontière jordano-israélienne. Rappelons que la Russie avait participé à la création d’une « zone de désescalade » dans le sud-ouest de la Syrie, aux côtés des États-Unis et de la Jordanie. Aujourd’hui, la politique russe devient plus ambitieuse en exigeant le retrait rapide de toutes les forces non syriennes de la « zone de désescalade. »
Dans ce contexte, il semble que le Kremlin commence à réaliser que l’Iran présente en effet un obstacle majeur aux intérêts stratégiques de la Russie au Moyen-Orient. Par ses menaces contre Israël, l’Iran provoque donc une escalade dans la région au détriment des intérêts de la Russie.
Il est intéressant de souligner que dans une récente étude publiée à Moscou par un think tank russe proche du Président Poutine, l’Iran est pointé comme le responsable de l’escalade de la situation face à Israël sur le théâtre des opérations en Syrie.
Dès le départ, le Président Poutine semblait avoir de fortes réticences sur la politique de l’Iran visant à exporter sa révolution islamique sur le sol syrien. Désormais, avec la défaite de Daesh, l’activité militaire iranienne en Syrie a perdu toute justification primaire.
La Russie n’a pas l’intention de couper ses liens avec l’Iran mais il est clair qu’elle réduit clairement sa liberté d’action en Syrie. Il est aussi évident que la Russie ne soutiendra pas l’utilisation du sol syrien par l’Iran comme tremplin pour lancer des opérations contre Israël ou la Jordanie.
Il faut dire que la réaction iranienne fut rapide et le clair message russe n’a pas été apprécié par les Ayatollahs. Dès le départ, les Iraniens ne souhaitaient pas que leur déploiement en Syrie soit temporaire. Dans le passé, des personnalités religieuses de premier plan, associées aux Gardiens de la révolution, avaient déclaré que la Syrie était la 35ième province de l’Iran. En plus de ces déclarations idéologiques, et sur le terrain, soulignons que la Syrie héberge un réseau logistique important pour le réapprovisionnement iranien de ses forces par le biais du Hezbollah, une milice chiite incontournable de la région, au-delà de sa forte présence au Liban.
Les premiers signes publics de discorde entre la Russie et l’Iran ont été dévoilés en février 2018 lors de la Conférence Valdaï à Moscou, à laquelle ont participé le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, son homologue russe Lavrov, et l’auteur de ces lignes. Le chef de la diplomatie russe avait déjà exprimé ses profondes divergences avec les Iraniens : “Nous avons déclaré maintes fois que nous n’accepterons pas les déclarations selon lesquelles Israël, en tant qu’État sioniste, devrait être détruit et rayé de la carte. Je crois que c’est une façon absolument fausse de faire avancer ses propres intérêts. ”
ertes, l’Iran n’était pas un partenaire idéal pour la Russie. Certains spécialistes russes de la question ont fait valoir que Moscou était surtout confronté au militantisme islamique djihadiste de l’Islam sunnite et non celui des chiites qui dominaient l’Iran depuis le 16ème siècle. Cette approche n’était que superficielle puisque l’Iran soutient également des militants palestiniens sunnites comme le Jihad islamique et le Hamas. En mai 2018, Yahya Sinwar, le leader du Hamas dans la bande de Gaza, a déclaré à une chaîne de télévision pro-Hezbollah qu’il avait des contacts réguliers avec Téhéran.
L’Iran soutient également d’autres organisations sunnites telles que les Talibans et le réseau Khaqani en Afghanistan et au Pakistan. Il a hébergé des hauts dirigeants d’Al-Qaïda. Rappelons que le fondateur d’Al-Qaïda en Irak, Abou Moussab al-Zarqaoui, avait cherché un refuge après la chute de l’Afghanistan. Il n’a pas trouvé au Pakistan, mais en Iran. Il n’y a donc aucune raison de croire que l’Iran ne puisse pas fournir un jour un soutien aux adversaires de la Russie.
La donne géopolitique a donc changé depuis le printemps 2015. A cette époque, la Russie avait donné son soutien à une intervention iranienne en Syrie car la situation sécuritaire en Asie centrale se détériorait avec des conflits internes au sein de l’Ouzbékistan, au Kazakhstan et au Tadjikistan. Pis encore, l’organisation de l’État islamique faisait ses premières armes en Afghanistan. Une victoire de Daesh en Syrie aurait pu avoir des implications pour la sécurité des régions de la Russie peuplées de musulmans. 1
C’est dans ce délicat contexte que la Russie a considérablement augmenté les livraisons d’armes à ses alliés en Syrie. Elle a également coordonné avec l’Iran le déploiement de milliers de combattants chiites d’Irak et d’Afghanistan sous le commandement du Corps des Gardiens de la Révolution iranienne. Cela signifiait également une infrastructure militaire élargie sur le sol syrien pour cette milice étrangère chiite.
Comment expliquer le revirement russe à l’égard de l’Iran et la situation en Syrie ?
En ce qui nous concerne, il faut dire que dès le départ, les Russes avaient saisi que la stratégie d’Israël en Syrie était essentiellement défensive puisque Jérusalem voulait empêcher la livraison d’armes iraniennes au Hezbollah et éviter ainsi un avantage militaire dans l’équilibre des forces en présence. Sur le terrain et grâce au mécanisme de coordination entre les deux pays, Israël avait semble-t-il carte blanche de Moscou pour frapper ces livraisons d’armes et plus tard lancer des raids contre des installations iraniennes à travers la Syrie.
Il faut dire aussi que les Russes étaient conscients que les États arabes sunnites, que la Russie courtisait, exprimaient également leurs préoccupations face à l’activisme croissant de l’Iran. L’une des plaintes venant du Tadjikistan que l’Iran cherchait à déstabiliser en finançant des militants islamistes.
Dans ce contexte aussi, il va de soi que si Moscou envisageait un jour de coordonner plus étroitement sa politique du Moyen-Orient avec Washington, elle devrait réviser sa conduite à l’égard de l’Iran. 2
Le 22 mai 2018, le Secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, avait énuméré toutes les actions iraniennes auxquelles il souhaitait mettre un terme. De ce fait, il a exigé que « l’Iran retire toutes les forces sous son commandement de l’ensemble du territoire syrien ».
Pour l’heure, il est clair que la Russie réduit clairement la liberté d’action de l’Iran en Syrie. Toutefois, sans couper ses liens avec l’Iran, elle demeure le principal fournisseur de l’armée de Bachar el Assad en Syrie ainsi que son partenaire stratégique.
Dans le cadre de cette nouvelle donne et suite aux messages limpides en provenance de Moscou, l’Iran devrait réévaluer sa stratégie au Moyen-Orient. Il ne pourra plus être un facteur déstabilisant dans toute la région et surtout mettre en péril les infrastructures de la Russie et ses atouts stratégiques depuis son intervention dans la guerre civile syrienne.
Dore Gold
Notes
Dimitri Trenin, Que fait la Russie au Moyen-Orient ?, Policy Press, Cambridge-UK- 2018, pp. 58-59.
Asia Times, 1er juin 2018.