Des civils arméniens, escortés par des soldats ottomans, ont marché à Harput dans une prison proche de Mezireh (aujourd’hui Elazig), en avril 1915. (Source de l’image: Croix Rouge américaine / Wikimédia Commons)
par Uzay Bulut – Gqtestone
Traduction du texte original: Armenian Genocide: Turkey Cracks Down
Le génocide perpétré par la Turquie ottomane contre les chrétiens arméniens, grecs, assyriens et autres minorités chrétiennes a duré 10 ans, de 1913 à 1923. Trois millions de personnes environ ont été anéanties. Malheureusement, l’agression turque contre les Arméniens survivants se poursuit.
Dans la mythologie turque, des « traîtres » Arméniens ont persécuté les Turcs ; lesquels ont agi en légitime défense pour se débarrasser de ces Arméniens meurtriers. Le slogan turc le plus répandu est : « Ils l’ont bien cherché ».
Les mensonges d’État et la propagande qui transforment les victimes en coupables de leur propre anéantissement, autorisent les Turcs à persécuter aujourd’hui encore, la minorité arménienne survivante, à transformer leurs églises en mosquées, et à autoriser les chercheurs de trésor à saccager les tombes et les églises.
La commémoration annuelle du génocide arménien organisée par la branche stambouliote de l’Association turque des droits de l’homme (IHD) et le Mouvement européen antiraciste de base (EGAM) devait avoir lieu le 24 avril. Cette commémoration, organisée chaque année depuis 2005, a été interdite en 2018 par la police qui a saisi pancartes et bannières, scruté le casier judiciaire des manifestants et arrêté trois militants des droits de l’homme avant de les relâcher.
Dans un entretien exclusif accordée à Gatestone, Ayşe Günaysu, un activiste de la Commission contre le racisme et la discrimination de l’IHD, a déclaré que « sur le chemin du commissariat, les manifestants arrêtés ont été forcés d’écouter des chants racistes contenant des propos hostiles aux Arméniens ».
La cérémonie annuelle du 24 avril commémore la rafle, l’emprisonnement et l’assassinat de plus de 200 intellectuels et dirigeants communautaires arméniens à Istanbul par les autorités ottomanes le 24 avril 1915. Cette cérémonie commémore par extension l’ensemble du génocide arménien. Les victimes ont été emprisonnées dans un bâtiment qui abrite aujourd’hui le Musée d’art islamique turc (Türk İslam Eserleri Müzesi). Les Arméniens ont ensuite été conduits à la gare de Haydarpaşa, puis transportés en Anatolie en vue de leur extermination finale. Selon Günaysu:
« Lors de nos commémorations, nous avons montré les scènes de crime. Nous avons pointé le Musée d’art islamique turc et la gare de Haydarpaşa comme lieux de crime, nous avons cité à voix haute les noms de plus de 2000 villes et villages arméniens détruits en raison du génocide. Nous avons écrit leurs noms sur des panneaux d’exposition. Nous n’avons pas seulement commémoré les morts, mais aussi tenté de partager la vérité sur le génocide avec le peuple turc. »
Depuis 2010, l’IHD se réunit à la gare de Haydarpaşa pour la commémoration. Cette année, l’événement devait avoir lieu sur la place Sultanahmet. Günaysu a déclaré :
« Nous ne demandons pas la permission de commémorer le génocide, nous nous bornons à informer le bureau du gouverneur d’Istanbul de l’heure et du lieu de la manifestation. Nos bannières se lisent comme suit :« Génocide ! Reconnaître ! Compenser ! Demander pardon ! » en anglais et en turc. La police nous a dit que nous pouvions organiser l’événement à condition de ne pas utiliser le mot « génocide ». Mais nous avons refusé de nous autocensurer et nous nous sommes rassemblés à Sultanahmet. Nous avions préparé un communiqué de presse mais nous n’avons pu le lire ni le distribuer en raison de l’intervention de la police. Les forces de l’ordre ont confisqué nos banderoles, panneaux et photos des intellectuels arméniens arrêtés le 24 avril 1915 ».
Le communiqué de presse de l’IHD, que la police a empêché d’être distribué, disait entre autres choses :
« Le génocide commis contre les peuples chrétiens de l’Asie Mineure et de la Mésopotamie du Nord, contre les Arméniens, les Assyriens et les Grecs est à la base de tous les maux de ce pays.
« Aujourd’hui, nous nous inclinons de nouveau avec respect en souvenir des victimes arméniennes, assyriennes / syriaques et grecques du génocide. Et nous, les descendants des victimes de ce génocide, nous réitérons notre sentiment de honte de n’être pas en mesure d’empêcher la poursuite de ce génocide à travers son déni et les vagues de destruction qui se suivent à chaque génération. »
Car hélas, l’hostilité active des Turcs contre les Arméniens survivants se poursuit. Le 28 décembre 2012, une Arménienne de 85 ans, Maritsa Küçük a été battue et poignardée à mort dans sa maison de Samatya, un quartier qui rassemble l’une des plus grandes communautés arméniennes d’Istanbul.
Günaysu a déclaré que « lors de l’intervention de la police et à l’occasion des arrestations des participants à la commémoration du génocide à Sultanahmet, la fille de Maritsa Küçük, Baydzar Midilli, a crié : « Ma mère est une victime du génocide, et vous prétendez qu’il n’y a pas de génocide ?! » Alors que des policiers se dirigeaient vers elle, apparemment dans l’intention de l’arrêter, Eren Keskin, un avocat spécialisé dans les droits de l’homme, les a arrêtés et leur a dit que la mère de Midilli avait été assassinée en tant qu’Arménienne. Un responsable de la police a empêché les policiers de l’arrêter. »
Le 24 avril 2011 – à l’occasion du 96e anniversaire du génocide -, Sevag Balıkçı, un Arménien effectuant son service militaire dans l’armée turque, a été abattu par un nationaliste turc. Son tueur attend toujours d’être traduit en justice. Lors de la commémoration du mois dernier, sept ans après son assassinat, la famille et les amis de Balıkçı se sont rendus sur sa tombe à Istanbul pour lui rendre hommage. Selon Günaysu, les policiers ont déclaré aux personnes rassemblées sur la tombe qu’il n’était pas permis dans leurs discours de mentionner le mot « génocide » :
« De nombreux policiers en armes avaient été postés au cimetière. Pendant que les gens priaient, la police a tenté d’intervenir. Mais deux activistes ont demandé à la police de respecter ceux qui priaient et pleuraient. Par chance, ils ont écouté et se sont tenus à distance des participants à la commémoration. »
Le génocide qui a ciblé les chrétiens arméniens, grecs, assyriens et d’autres chrétiens en Turquie ottomane a duré 10 ans – de 1913 à 1923 -. Trois millions de personnes environ ont été anéanties. Après un siècle, la blessure des victimes et de leurs descendants demeure vivace. Le journal en ligne Artı Gerçek a récemment rapporté que les os des victimes sont toujours visibles dans un lac de l’est de la Turquie.
Les habitants du cru nomment ce lac « Gvalé Arminu » (le « lac arménien ») après que plus de 1 000 hommes, femmes et enfants y aient été exécutés il y a 103 ans. Selon l’article, seuls deux enfants, cachés par les villageois, ont survécu. Les ossements réapparaissent en été quand le lac s’assèche, mais aucune enquête gouvernementale n’a jamais été ordonnée. Le gouvernement continue de nier le génocide et tente de réduire au silence ceux qui essaient d’en parler.
Le 24 Avril, l’Agence de presse gouvernementale Anadolu (AA) a publié un article intitulé : « Comment les lobbies arméniens tirent profit de l’industrie du génocide ». L’article alléguait que la diaspora arménienne et la République d’Arménie multiplient les mensonges sur « le génocide arménien » en vue d’en tirer profit.
Le même jour, l’AA a publié une analyse complémentaire : « Les Turcs n’ont pas oublié comment ils ont survécu à l’oppression arménienne. » Dans la mythologie turque, de « traîtres » Arméniens ont persécuté les Turcs qui ont agi en légitime défense pour se sauver des Arméniens meurtriers. Le slogan turc le plus répandu est : « ils l’ont bien cherché ».
Les mensonges et la propagande d’État transforment les victimes en coupables de leur propre anéantissement. Ces mensonges et cette propagande autorisent aujourd’hui la poursuite des exactions turques contre les Arméniens survivants, lesquelles passent par la conversion des églises en mosquées et le saccage des tombes et des églises arméniennes par les chasseurs d’or.
Il est urgent que le gouvernement turc mette un terme à cela.
Uzay Bulut est une journaliste turque, membre du Haym Salomon Centre, un groupe d’information et de politique publique. Elle est actuellement basée à Washington DC.