Le personnage accroché à une potence ressemblait, avec son nez courbe, ses doigts crochus et ses billets de banque débordant de sa poche, à une caricature antisémite.
On avait remplacé son chapeau haut de forme par une couronne grotesque. Mais le personnage accroché à une potence pour mener le cortège de « la fête à Macron » samedi 5 mai sur la place de l’Opéra ressemblait comme un frère, avec son nez courbe, ses doigts crochus (dont l’un faisait un « doigt d’honneur » aux manifestants) et ses billets de banque verts débordant de la poche de son veston noir, à la caricature diffusée par des supporters de François Fillon au printemps 2017. Ce printemps-là, déjà, les organisateurs se voulaient innocents… ou ignorants de l’histoire du XXe siècle. À la tribune du grand meeting de Villepinte, la filloniste Virginie Calmels (ex-juppéiste, désormais au service de Laurent Wauquiez), faisait mine d’ignorer non seulement que Georges Pompidou, président très populaire à droite, travailla pendant six ans pour la Banque Rothschild, mais que ladite banque avait été, depuis des décennies, la cible des antisémites patentés. Sans complexes, et se voyant déjà ministre, elle attaquait Emmanuel Macron sur ses quatre années passées… à la Banque Rothschild !… Le même jour, bizarrement, une caricature antisémite visant Macron et qu’on eût dit sortie de la propagande nazie et de la presse « collabo » des années 1940 était diffusée pendant 24 heures par l’équipe du candidat de droite.
Place de l’Opéra, samedi, je n’ai pas revu l’homme au chapeau haut de forme. Je n’ai pas vu non plus la pancarte « Mac Aaron… » dénoncée quelques heures plus tard sur Twitter. Mais j’ai entendu scander « C’est dans la rue que ça se gagne ! », comme un déni de démocratie, et j’ai lu une pancarte « Macron préfère les levrettes. Comme ça, il nous baise sans voir qu’on fait la gueule » et quelques autres insanités qui auraient enchanté Donald Trump. Et puis, je suis arrivée au pied du personnage de Guignol pendu à la potence qui oscillait au milieu d’une foule joyeuse sur le parvis du Palais Garnier. J’étais accompagnée d’une amie polonaise, qui a poussé un cri: soudain, elle reconnaissait les caricatures naguère diffusées dans les écoles de son pays! C’était au temps de la dictature stalinienne, qui prenait le relais de la dictature hitlérienne pour montrer du doigt les « usuriers juifs ».
Bien entendu, ni François Ruffin ni Jean-Luc Mélenchon –dont je n’oublie pas qu’il tenta de participer à la marche en hommage à Mireille Knoll, odieusement torturée et assassinée par de jeunes antisémites– n’avoueront avoir vu cette caricature ou en avoir compris la perversité: attaquer Macron en laissant entendre, à la manière de Gérard Filoche exclu l’an dernier du PS pour ses tweets, qu’il serait une nouvelle incarnation du banquier juif donné en pâture au bon peuple par les nazis ! Eux, c’était juste « le monde de la finance » qu’ils voulaient dénoncer candidement, à la manière du malheureux candidat présidentiel de 2012, François Hollande. Ils voulaient juste susciter une immense « marée populaire ».
Or, ces caricatures ne sont pas innocentes. En s’insinuant dans les esprits, ces images « subliminales » alimentent le populisme des extrêmes. Elles nourrissent la haine. Elles justifient la violence que prétendent combattre les organisateurs de la manif.
Elles ne sont pas les seules.
Je reste confondue qu’une chaîne TV dont j’apprécie les débats très ouverts, les reportages sur la situation internationale et la compétence de ses présentatrices et présentateurs –BFM- ait cru bon de titrer un document sur la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron « Le Casse du Siècle« !
Alors que notre petit pays, entouré de géants surarmés comme la Russie, les Etats-Unis, la Chine et l’Iran, est menacé aussi dans sa survie économique, les enjeux seraient-ils si minces? La politique et l’histoire seraient-elles devenues tellement ennuyeuses aux yeux des réalisateurs? Leur faudrait-il à tout prix, quand ils veulent proposer des documents sur la Ve République à des téléspectateurs pourtant passionnés d’Histoire, promettre de tourner nos présidents en ridicule ou de les montrer sous les traits de criminels? Certains documents politiques ressemblent à des farces dont tous les personnages sont des bouffons –et cela donne toutes les variantes sur le couple Trump-Macron à Washington, accompagnées du commentaire grasseyant d’un ancien président, François Hollande, qui aurait pu rejoindre le cortège du 5 mai avec sa banderole « Dans le couple, c’est Macron qui joue le rôle passif ». D’autres tentent d’imiter des films policiers sur la mafia. Cela donne « le casse du siècle », où l’on voit le jeune Macron quitter la banque Rothschild pour commettre un « hold-up » et devenir le rival ou le successeur du mafieux Spaggiari.
Voilà comment on alimente le populisme que l’on prétend combattre.
Source www.huffingtonpost.fr