« La religion », vue par les progressistes postmodernes

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Voilà un cliché typique de la Modernité : les religions monothéistes sont causes de violences. C’est un cliché, mais Le Monde y sacrifie, dans la queue de comète des attentats djihadistes. Les progressistes médiatiques adorent patauger dans la confusion et l’aveuglement.

L’idée n’est pas nouvelle. Elle est même consubstantielle à la Modernité : pour opérer le grand tournant de la sécularisation, il a fallu accuser « la » religion du pire des maux, à savoir la guerre (étrangère ou civile). Double bénéfice : faire croire au caractère pacificateur de la Raison et de l’Etat, thèse de Hobbes depuis le XVIIème siècle. Ce philosophe n’a pas manqué d’appuyer sa démonstration sur les guerres de religion qui ravageaient l’Europe à cette époque (Catholiques et Protestants en France, guerre de Trente Ans en Allemagne).

On pourrait déjà constater que la guerre n’a pas attendu d’être « de religion » pour faire ses preuves. De fait, elle existe depuis le premier jour de l’humanité. Or, il faut bien accuser son chien d’avoir la rage pour le tuer.

Le Monde donne la parole, pour ce dossier, à des « experts », universitaires de diverses disciplines. On est (je suis) atterré par le niveau de réflexion et de connaissance de ces « spécialistes », qui brassent des lieux communs saupoudrés de pseudo-érudition à longueur de pages. Et encore, je ne parle même pas de leur ignorance crasse dès qu’il s’agit de faire la moindre petite référence au judaïsme ! Ainsi va l’Université européenne en ce début de XXIème siècle.

caricature présentée par Le Monde – couvrez le Nom et laissez juste le D

Quelques notes personnelles prises à la lecture de ce dossier :

  1. Le dossier prend bien soin de s’attaquer au monothéisme, sans jamais établir de lien entre celui-ci et l’idéologie moderne universaliste – pourtant d’origine monothéiste.

Cela permet un tour de passe-passe extravagant : si l’universalisme religieux est de nature violente, alors on peut poser sans risque que l’universalisme en tant que tel ne l’est pas. C’est dit – évitons de le démontrer !

  1. Il y aurait un monothéisme inclusif (pacifique) et un autre, exclusif (violent).

Nos « experts » sont à la peine pour trier, dans les textes qu’ils croient, connaître telle phrase qui relève du premier et telle qui s’applique au second. Un véritable salmigondis, qui aboutit à cette conclusion lumineuse que tout est en tout, et que donc, nous devons, avec perspicacité, rejeter ce qui nous semble violent et conserver ce qui nous paraît pacifique. Pourrait-on créer un Commissariat Idéologique chargé de ce travail épuisant et vain ?

Inclusion/exclusion : jamais n’est posée la question de la relation entre l’unité et la pluralité – tâche sans doute trop compliquée pour nos universitaires, qui d’analystes, sont devenus idéologues !

En vérité, la Modernité est incapable de poser cette question, les deux termes demeurant, dans notre logique rationaliste, absolument exclusifs l’un de l’autre. SOIT il y a de l’unité, et alors la pluralité n’est que contingente, anecdotique, secondaire (idéologie universaliste) ; SOIT il y a de la pluralité, et alors, pas d’unité (idéologie relativiste). Emballé, c’est pesé !

En réalité, l’unité comme la pluralité ne constituent pas des évidences données : il faut les penser. Admettons-les comme des vilains mots à notre époque.

Dans le judaïsme, il n’existe aucune contradiction entre la vérité de l’unité et la vérité de la pluralité. L’unité est transcendante, la pluralité est immanente.

L’existence d’Israël comme « peuple élu » (peuple de la Tora) ne réfute en aucune façon celle des « 70 Nations » (descendantes de Noa’h), qui ont toutes leur légitimité. Raison pour laquelle, dans le judaïsme, il n’est jamais question de convertir les non-Juifs – dès lors que la singularité juive est reconnue comme telle.

La relation entre Israël (le judaïsme) et les Nations (le noa’hisme) se fonde sur l’étude, sans nul lien de contrainte. Pour les Juifs, la vérité de la Tora dans son universalité ne peut s’imposer. Elle ne saura qu’être librement reconnue par l’intelligence. La conversion des Nations au noa’hisme est une affaire qui les regarde, si elles comprennent par elles-mêmes que le remède à la violence se trouve dans cette procédure. Sinon, l’Histoire continuera de faire des ravages.

Assujettissement des Nations non pas à Israël, mais à la vérité de la Tora, à l’unité du vrai comme horizon commun.

  1. Nos « experts » mélangent tout : les guerres des Macchabées contre les Grecs, et des Zélotes contre les Romains, sont appelées « guerres de religion ».

C’est bien pratique pour conforter la thèse consensuelle chez les progressistes.

Néanmoins, c’est oublier que ces guerres étaient des guerres religieuses de libération, contre les persécutions religieuses subies par les Juifs.

A ce compte, on pourrait tout aussi bien qualifier les révoltes des Chrétiens contre le système communiste en URSS et dans les pays de l’Est (en Pologne par exemple) de « guerres de religion » : intéressant « renversement dialectique », puisque c’est le régime communiste qui avait déclaré la guerre antireligieuse aux Chrétiens. Résister à la guerre antireligieuse, c’est sans doute devenir un dangereux fanatique obscurantiste !

  1. Qu’est-ce qui est violent ? Le monothéisme ou l’universalisme ? On a vu, au point, le tour de passe-passe qui permet à nos universitaires progressistes de ranger la question au rayon des accessoires.

On pourrait pourtant prendre deux exemples dans la Modernité récente : le colonialisme, cette volonté de soumettre le monde aux logiques idéologiques, politiques et économiques européennes – logiques se réclamant de l’universalisme des Lumières ; et le communisme qui, sous le mot d’ordre poétique (sic) « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! », entendait lui aussi unifier la planète par les moyens que l’on sait, pour les résultats que l’on connaît.

  1. Le mot « messianisme » est évoqué, mais comme pour le reste, il n’est pas interrogé : c’est pourtant bien de cela qu’il s’agit, dès lors que l’objectif est de construire une société, un monde sans violence.

Comment y parvient-on ? Comment est-il pensable d’y parvenir ? Le progressisme postmoderne ne veut pas choisir entre l’universalisme, de nature totalitaire (tout le monde doit accepter NOS valeurs), et le relativisme, qui aboutit à la désintégration sociale (tout se vaut, rien ne vaut). La contradiction prend une tournure franchement rigolarde quand on voudrait marier les deux : tout le monde doit accepter notre relativisme !

  1. D’où vient la violence ? C’est la question supposée du dossier, mais qui n’est pas posée, puisque la réponse est connue d’avance : elle vient de « la » religion et plus particulièrement du monothéisme (cf. le titre du dossier), du moins pour ce qui concerne la violence dans l’Histoire.

Qu’il y ait des violences historiques d’origine religieuse, qui pourrait le nier ? Cependant, les « experts » de notre dossier ne s’embarrassent pas trop d’analyser les relations, dans les causes de ces violences, entre le religieux et le politique. Que des religions, à certains moments de l’Histoire et dans certains pays, prêtent la main aux violences politiques, cela ne dit rien du caractère intrinsèquement violent de la religion, ainsi que voudrait le démontrer ce dossier. Cela ne prouve rien des rapports différents de telle ou telle religion avec le pouvoir politique (le cas du judaïsme semble à cet égard significativement oublié !). Cela ne dit rien du caractère parfois intrinsèquement violent de la politique, même sans l’appui de « la » religion. Bref, ce dossier ne nous apprend rien de pertinent, ni même d’intéressant, sur les rapports entre les religions et la violence historique.

  1. Comme il fallait s’y attendre, on nous ressert la soupe de la « contextualisation historique ». Nos « experts » progressistes voudraient que l’on lise les textes religieux « à la lumière » de leur contexte historique. On se demande bien – ou plutôt : on ne se demande pas – pourquoi ce critère serait plus pertinent qu’un autre. Pourquoi « l’Histoire » (et laquelle ?) s’avérerait-elle efficace à dire la vérité d’un texte religieux ? On se souvient du débat entre les Anciens et les Modernes, dans les années 60, à propos de l’analyse des textes littéraires…

Pur conflit de terrain de légitimité : les prêtres, les rabbins et les imams ne sont pas en mesure d’interpréter leurs textes. Les historiens, par contre, sont – par nature – omni-légitimes ! La discipline historique comme clé universelle d’interprétation.

Mettez-vous au goût du jour, que diable ! Nous ne sommes plus à l’époque où ces textes furent écrits ! Culte religieux du présent supposé mieux savoir que le passé – dogme idéologique non questionné.

A l’origine de ce culte : Hobbes et Spinoza, la philologie et la critique historique – disciplines reines depuis le XVIIème siècle (avec une apogée dans le scientisme du XIXème). Moïse et Jésus ont-t-ils existé ? L’interdit de manger du porc est-il d’origine médicale ? Et toute la batterie de ce genre de « questions » qui ont pour fonction principale de ne pas parler des textes eux-mêmes, de refuser de les mentionner, et de disqualifier les exégètes religieux au profit des historiens universitaires.

Les adeptes de telle ou telle religion ne se laissent pas impressionner par ces « questions ». A dire vrai, ils s’en contrefichent, car ils ne lisent pas leurs propres textes comme des textes historiques. Dialogue de sourds – et c’est tant mieux – entre les religieux et les historiens, les uns disant aux autres : cause toujours !

Le rationalisme veut opposer d’un côté les traditions, les dogmes – et de l’autre le relativisme historiciste. Faux débat, qui voudrait remplacer le seul qui compte : l’opposition entre la lecture littérale et la lecture interprétative. Dans le judaïsme : la problématique Tora écrite/Tora orale.

Qu’est-ce que je pense de ce qui est écrit ?

Comment s’appuyer sur la lettre pour la faire parler sans la trahir ?

Yéshayahou Baboulin

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