Hormis la veillée d’étude et la consommation de mets lactés, la lecture du Décalogue est sans aucun doute la coutume la plus emblématique de la fête de Chavou’oth. Elle nous invite effectivement à revivre ce moment unique, où nous avons scellé une alliance éternelle avec notre Créateur.
C’est par le biais de cette union indéfectible que nous nous sommes véritablement hissés au rang de peuple de prélats et de nation sainte. Comme le souligne le rav Sa’adia Gaon : « Notre peuple n’existe que par sa Tora ». De plus, le Décalogue fut non seulement le point de départ de notre sacerdoce et de notre union avec D’, mais également un dévoilement prophétique qui constitue la racine de notre foi en Moché, en la Tora et en D’. Car, comme l’écrit Maimonide, notre foi ne résulte pas des prodiges de Moché, mais de la révélation prophétique que chaque membre de notre peuple eut au mont Sinaï. C’est pourquoi le Décalogue est lu à Chavou’oth.
Néanmoins, malgré la reconnaissance unanime de la symbolique du Décalogue, sa lecture provoque régulièrement un certain inconfort et parfois même des discordes, à D’ ne plaise, dans les synagogues.
Grâce à D’, le Décalogue n’est pas en soi la source de ses dissensions, mais c’est la coutume qui accompagne sa lecture qui déchaîne les passions. En effet, dans certaines communautés, on a l’usage de se lever lors de la lecture des Dix Commandements, alors que d’autres y sont strictement opposées.
Certes, lorsque chacun est dans son office respectif et se conforme à l’usage en vigueur, la paix règne et l’ensemble des fidèles peuvent alors se délecter sereinement de la Parole divine. Mais lorsque les coutumes s’entrechoquent et que les uns vont prier chez les autres, c’est le début de la fin. Les uns se lèvent, les autres restent assis, et ce qui devrait être un moment de recueillement et d’unité peut se transformer en un moment de tension et de dissension.
Alors qui a raison ? Que faire ? Faut-il se lever durant la lecture du Décalogue ?
Nos Sages enseignent dans le traité Tamid (5,1) qu’à l’époque du Beth haMiqdach – qu’il soit bientôt reconstruit – la coutume était de lire journellement le Décalogue avant la récitation du Chema’. Le rav ‘Ovadia Bartenora explique dans son commentaire de la Michna que cette coutume fait écho à l’importance de ce texte en ce qu’il concentre les notions les plus fondamentales du judaïsme, qu’il s’agisse de la foi en D’, du respect de la vie humaine ou de l’observance du Chabbath.
Cependant, les Sages ont décidé d’abolir cet usage en raison des hérétiques qui affirmaient que seuls les Dix Commandements furent donnés au mont Sinaï.
On retrouve cette explication dans le commentaire de Rachi (Berakhoth 12a) ainsi que de rabénou Sim’ha ben Chemouel de Vitry (Cf. Mahzor Vitry p. 12).
C’est donc par souci de préserver l’authenticité du dévoilement sinaïtique, durant lequel D’ nous donna l’ensemble de la Tora, que les Sages abrogèrent la lecture journalière du Décalogue. La Tora de Hachem est une et parfaite. Chaque phrase, chaque mot, chaque lettre est l’expression du Divin. Il n’y a donc aucune section ni aucun verset qui soit subordonné à un autre, car ils sont tous l’expression de la volonté de D’.
C’est essentiellement à l’époque des Gueonim que la lecture publique du Décalogue fut remise en question. Les rabbanim de cette période optèrent finalement pour son annulation. Cette décision fut par la suite confirmée par d’éminents maîtres, comme le Rachba (rabbénou Chelomo ben Aderet – 1235-1310), ainsi que par de nombreux décisionnaires des époques ultérieures (Cf. Rema Choul’han ‘Aroukh Or ha’haim 1,5, Beèr hétev et Michna Beroura ibid.).
Le Rambam est le premier à débattre de la coutume de se lever durant la lecture du Décalogue, lorsque celui-ci fait partie de la section hebdomadaire lue le Chabbath (Yitro et Vaéth’hanan) ou le jour de Chavou’oth.
Dans ses responsa, ce maître cite le cas d’une communauté dont les membres avaient l’usage de se lever durant cette lecture jusqu’à ce qu’un rav d’une autre communauté interdise formellement cette pratique. Le Rambam adhère à cette décision et écrit que quiconque se lève durant la lecture du Décalogue doit en être empêché, car en agissant de la sorte il semble s’associer aux apostats, qui affirment que seules les Dix Paroles sont d’origine divine (responsa Rambam § 264).
Malgré l’interdiction catégorique de ce Sage, l’usage a perduré dans certaines communautés, avec parfois l’aval d’éminentes autorités rabbiniques comme le rav Chemouel Abouav (1724-1806). Selon lui, le fait de se lever lors de la lecture du Décalogue est une marque de respect en souvenir du don de la Tora au mont Sinaï. Le soupçon d’apostasie qui engendra la suppression de la lecture journalière des Dix Paroles est aujourd’hui caduc, et il n’y a pas lieu de craindre une quelconque hérésie chez les fidèles qui se lèvent lors de cette lecture. Il conclut en encourageant les communautés à maintenir leur coutume (cf. Dvar Chemouel § 286).
Le ‘Hida (rabbi ‘Haim Yossef David Azoulay 1724-1806) confirme également l’usage en ajoutant que celui qui y déroge et reste assis alors que le reste de la communauté se tient debout se montre dédaigneux à son égard. Selon le ‘Hida, toute personne se trouvant dans une communauté qui a cette coutume devra donc s’y conformer par respect pour la communauté en question (Tov ‘Ayin § 11).
Rav Moché Feinstein confirme également cet usage en distinguant la pratique qui engendra l’interdiction des Gueonim, du fait de se lever durant la lecture du Décalogue. Selon lui, les deux pratiques sont totalement différentes et il n’y a donc aucune source talmudique permettant d’interdire l’usage actuel (Iguéret Moché Or ha’Haim IV § 22).
Le rav ‘Ovadia Yossef, quant à lui, s’étonne de ces décisions qui semblent s’opposer à l’avis du Rambam. Selon lui, la décision de ce dernier a force de loi et il ne faut donc pas se lever pour la lecture du Décalogue. Néanmoins, afin de ne pas se mettre en porte-à-faux avec la communauté, il sera préférable de se lever avec le reste de celle-ci. Pour ce faire et afin d’être en accord avec l’ensemble des décisionnaires, il faudra se lever durant la lecture de l’ensemble de la paracha ou du moins au début de la montée qui contient le Décalogue. Il est ainsi possible de respecter la communauté tout en se conformant à l’avis du Rambam (Ye’havé Da’ath I § 29, et VI § 8).
En conclusion, il semble qu’il faille se conformer à l’usage en vigueur dans la synagogue où l’on se trouve. Au cas où il n’y a pas de règle précise, il faudra rester assis. Quoi qu’il en soit, il est indispensable de bien garder à l’esprit l’enseignement de nos Maîtres (Mena’hoth 110a) : « Celui qui en fait beaucoup et celui qui en fait peu (dans un cas de force majeure) sont égaux aux yeux de D’ dès lors que leurs intentions sont pures. »
Puisse D’ purifier nos cœurs afin que nous Le servions honnêtement.
Par le rav David Eliézer