Nir Manoussi est le fils de « Didi », journaliste et chroniqueur humoristique, né dans le Gilbo’a (un massif bas, situé face à Beth Chéan), dans un environnement on ne peut plus détaché du judaïsme. Du reste, son père était connu pour sa critique, voire ses moqueries, du monde de la Tora.
A sa naissance, Nir s’appelait Nil, mais il a changé de prénom. Pas d’importance ? Si : « Mon père m’a dit, à la période où j’effectuais mes premiers pas vers un retour à la pratique, que mon nom est cité dans le Talmud. Par la suite, je l’ai trouvé : il s’agit d’un élément permettant de donner de la couleur à des tissus, comme le klé ilan cité effectivement dans la Guemara, lequel servait de couleur de remplacement au tekhéleth (NDLR : Afin de tromper les gens, car ce n’est pas le tekhéleth – dont l’origine elle-même n’est pas tellement claire, cf. notre numéro 3 de Kountrass. Le « nil » est un mot arabe, en fait uniquement cité dans les responsa médiévales, à partir du Rambam, et qui semble désigner un matériau permettant de colorier du tissu, cf. encore Chouth Radvaz, II,685).
J’ai dit à mon père : « Fantastique, mais tu sais, ce nom ne se trouve pas dans un environnement par trop sympathique… » Or, son père n’abdiqua pas encore (ah, les apikorsim d’antan !) : « Sais-tu que le seul endroit dans la Tora dans lequel « Nir » apparaît est dans la paracha de la semaine de ta naissance, « Waniram ad oved » (Bamidbar/Nombres 21,30) ? » Cependant, ici, nir signifie royauté. Nir s’en tint là, et cela resta son nom.
Toutefois, dans sa jeunesse, Nir n’était pas éloigné de la compréhension de son père : à l’origine très à gauche et antireligieux, il s’ouvrit au judaïsme grâce à ses études à l’université. « Plus on étudie, plus on arrive à remettre en question les grands principes si immuables aux yeux de gens farouchement opposés à la religion. Ils ne sont pas si évidents. J’ai commencé à comprendre que l’athéisme ne s’est développé que récemment, tout en restant, à l’échelle mondiale, un épiphénomène. La plupart des cultures reposent encore sur une foi. J’ai aussi appris la philosophie de la science, pour en arriver à réaliser que même elle se base sur des axiomes spécifiques. Si on les change, on peut parvenir à d’autres conclusions ! Ceci m’a également amené à voir les choses d’une autre manière. »
La rencontre avec Moché Genut, un enseignant universitaire d’inspiration loubavitch, a elle aussi eu son importance. « Je pensais jusqu’alors que le niveau intellectuel de quelqu’un dépendait de sa distance avec la foi. Là, je rencontrais une personne pour laquelle l’étude faisait partie d’un service divin ! Elle était soumise à sa foi. Nous avons eu de nombreuses discussions, qui ont fini par avoir raison de ma propre suffisance. »
A partir de là, raconte Manoussi, la vision du monde non-religieux qui nous entoure a pris chez lui une nouvelle face, perdant son intérêt. « J’ai compris que la société occidentale est arrivée à une sorte de stade de décomposition. Tout s’enfonce dans une sorte de matérialisme total. La famille s’effondre et disparaît. L’individualisme devient une notion centrale, et on ne trouve plus de réponse spirituelle. Ceci m’a profondément gêné, et m’a amené à m’intéresser aux religions en général, et au judaïsme en particulier. »
La voie vers le judaïsme est passée par le rav Yits’haq Ginsburg, l’une des personnalités marquantes – et très extrémistes – de ‘Habad, un Juif né aux Etats-Unis et vivant de nos jours à Kfar ‘Habad. Après trois années passées à écouter ses cours – au début, sans toujours les comprendre –, il a été invité par le rav à écrire ses cours, et, depuis lors, Nir y œuvre avec assiduité…
Mais, avant cela, Nir sait raconter ce qui lui est arrivé : d’une prise de conscience intellectuelle, son « mal » lui a valu des réactions physiques surprenantes ! « Je fus pris d’angoisse ; je sentais que je ne pouvais plus continuer ainsi. Ou le suicide, ou une nouvelle voie. » Physiquement il souffrit alors d’une éruption sur tout le corps, que les médecins ne purent contrer. Quant au sommeil… Durant cette période, il eut droit à un rêve : « J’y fus confronté au monde spirituel, une dimension que je ne connaissais pas. Je me suis levé complètement transformé. J’ai pris conscience que cette éruption n’était qu’un symptôme : j’étais en train de perdre ma peau précédente, et d’arriver à une nouvelle identité. Enfin, j’arrivais à comprendre l’existence d’une dimension spirituelle, d’une âme. Un domaine dépassant l’intellect. Là, j’ai trouvé la foi en la Tora, l’acceptation du « na’assé venichma' » – faisons et comprenons. » »
Et les parents ?
« Cela a pris du temps. Mon père fut très révolté au début. Il craignait que je ne m’écarte de lui. Puis, il a constaté que c’était le contraire qui arrivait, et que nos liens se renforçaient. Je me suis marié, des petits-enfants sont venus au monde – quelque chose a alors changé en lui. Ses positions se sont modérées. A un certain stade, il m’a dit qu’il commençait à me comprendre. Il a réalisé l’effondrement moral qui se dégageait de son entourage, et a pu admettre mes choix.
« Avec ma mère, ce fut plus facile. Elle provenait d’une famille religieuse, et mon retour vers la pratique lui rappela des souvenirs d’enfance, et lui fit du bien. »
Les anciens amis ?
« O combien, au début, mon choix les repoussa-t-il ! Les points communs allaient en régressant. Il faut bien dire que je passais alors par une période de retrait : je devais, en quelque sorte, entrer dans une chambre noire afin d’y ouvrir de nouvelles fenêtres. Puis, par le biais des réseaux sociaux, j’ai repris des contacts. Des conversations se sont développées, des rencontres, de nombreux échanges. J’ai appris combien je dois être reconnaissant envers l’Eternel : je suis revenu à la Tora à l’âge de 29 ans, je me suis marié, j’ai des enfants. Combien de mes connaissances peuvent-elles se vanter d’une telle situation – idéale ? »
Manoussi refuse, en fait, de parler, d’influencer les autres à revenir vers la pratique. Il y a des gens qui songent à une telle direction, et alors l’Eternel, met devant eux divers éléments pour les y aider, chacun selon ses besoins propres. Cela ne signifie pas qu’il faille laisser tomber les autres : Manoussi lui-même organise des cours autour de lui, dont un à Ramat Gan, sur les Pirqé Avoth, destiné à des amis d’antan. Ces derniers s’en trouvent très heureux, et profitent bien de cette rencontre fixe.
Les choses de nos jours ont-elles changé, dans le milieu général ?
« La situation est totalement différente d’avant : l’opposition au phénomène religieux s’est estompée. La guerre qu’ont menée les générations contre de la foi a cessé, laissant place à une ignorance énorme. Quand je passe à Tel Aviv, je sens une ouverture au judaïsme de loin plus importante que ce qu’on pouvait trouver voici quelque vingt ans encore. Les gens veulent savoir et connaître. L’opposition cynique s’est fortement affaiblie. »