Le terrorisme en Syrie et en Irak touche à sa fin. Mais, est-ce que les politiques de changement de régime et de guerres pour des intérêts géopolitiques, économiques et stratégiques qui l’ont engendré vont s’arrêter ? Nous ne pouvons pas répondre par l’affirmative. Cependant, les continuer va mener inéluctablement à plus de malheurs et de désastres.
Daech est liquidé! Seules certaines poches subsistent, qu’il faudra certainement nettoyer pour éradiquer définitivement ce mal du Moyen-Orient et pourquoi pas de la face du monde, si toutefois toutes les nations sont «prêtes» à collaborer pour atteindre cet objectif. Ce sont Vladimir Poutine et ses homologues syrien, iranien, irakien et turc qui le disent. Sotchi semble enterrer Genève, en ouvrant la voie à une résolution politique du conflit. Cependant, soyons prudents. Qui ne saisit pas les enjeux du présent perdra l’avenir, mais celui qui n’a pas compris les leçons de l’histoire perdra à la fois le présent et l’avenir.
Gouverner l’humanité par la violence ne date pas d’aujourd’hui, mais nous ne remonterons qu’à la guerre d’Afghanistan, événement majeur reconnu par tous les spécialistes comme étant le point de départ du terrorisme international islamiste, dont Al-Qaida, le Front Al-Nosra et enfin Daech sont les excroissances.
Le rôle des guerres
Zbigniew Brzezinski, conseiller pour la sécurité nationale du président Jimmy Carter, de 1977 à 1981, directeur exécutif de la Commission trilatérale et auteur du célèbre livre Le Grand échiquier, réédité en 2004 sous le titre Le Vrai Choix, est le principal architecte de l’opération américaine contre «les communistes en Afghanistan» à partir de décembre 1979, mais surtout contre les Soviétiques et l’Armée rouge, en utilisant les «moudjahidin» islamistes. C’est cette opération qui a enfanté Oussama Ben Laden, le grand ordonnateur du terrorisme international d’obédience salafiste ces trois dernières décennies.
Robert Gates, l’ancien patron de la CIA, écrivait dans ses mémoires que « les services secrets américains ont commencé à aider les moudjahidin afghans six mois avant l’intervention soviétique ». Dans une interview explosive donnée le 15 janvier 1998 au Nouvel Observateur, passée inaperçue dans la presse occidentale, Brzezinski confirme cette affirmation:
«Oui. Selon la version officielle de l’histoire, l’aide de la CIA aux moudjahidin a débuté courant 1980, c’est-à-dire après que l’armée soviétique eut envahi l’Afghanistan, le 24 décembre 1979. Mais la réalité gardée secrète est tout autre: c’est en effet le 3 juillet 1979 que le Président Carter a signé la première directive sur l’assistance clandestine aux opposants du régime pro-soviétique de Kaboul. Et ce jour-là j’ai écrit une note au Président dans laquelle je lui expliquais qu’à mon avis cette aide allait entraîner une intervention militaire des soviétiques.»
Le journaliste, ahuri par les réponses glaçantes de son interlocuteur, et vu les dégâts incommensurables que cette guerre a engendrés dans le monde entier, lui demanda s’il regrettait sa politique. Réponse négative de Brzezinski, qui ajoute: «Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la Guerre froide ? »
Cette politique a aussi été poursuivie par le Président Reagan et son Chef de la CIA, William Casey. Dans les années qui suivirent, on retrouve les mêmes combattants islamistes dans les guerres des Balkans et de Tchétchénie. Brzezinski a fait partie de ceux qui ont sévèrement critiqué l’hésitation de l’administration Clinton à intervenir contre la Serbie, dans la lignée de la théorie exposée dans le Grand échiquier, qui postule que l’amélioration du monde et sa stabilité dépendent du maintien de l’hégémonie américaine. Toute puissance concurrente est dès lors considérée comme une menace pour la stabilité mondiale.
En mars 2003, les États-Unis venaient d’envahir l’Irak. Ils confiaient la direction du gouvernement à Jay Garner, un ancien colonel de l’armée américaine. Celui-ci, qui entendait s’appuyer sur la police et l’armée de Saddam Hussein pour rétablir l’ordre et asseoir les bases de la paix, n’est pas resté longtemps à son poste. C’est Paul Bremer, un proche des néoconservateurs américains, qui reprend son poste et dont la première décision a justement été de dissoudre la police et l’armée de Saddam, ouvrant ainsi la porte à toutes les aventures terroristes possibles, car bien que l’armée américaine fut sur place, elle n’avait aucune expérience de terrain en matière de guerre urbaine.
C’est dans ces conditions qu’Abou Moussab Al Zarkaoui, un ancien d’Afghanistan, est devenu le premier Cheikh de Daech en Irak. Il avait été spectaculairement projeté sur le devant de la scène internationale en février 2003, à peine six semaines avant l’invasion états-unienne de l’Irak, par un discours tenu par le secrétaire d’État Colin Powell devant le Conseil de sécurité de l’ONU: «Ce que je veux porter à votre attention aujourd’hui, c’est la connexion, éventuellement bien plus sinistre, qui existe entre l’Irak et le réseau terroriste Al-Qaida, connexion qui allie les organisations terroristes classiques aux méthodes modernes d’assassinat. L’Irak héberge aujourd’hui un réseau terroriste meurtrier dirigé par Abou Moussab Zarkaoui, partenaire et collaborateur d’Ossama ben Laden et de ses lieutenants d’Al-Qaida.»
Après l’annonce de sa mort survint Abou Baker Al Baghdadi. Cet ancien prisonnier de l’armée américaine en Irak du 8 décembre 2004 au 6 décembre 2005 commença à asseoir les bases de son «État» en particulier après l’effondrement de l’armée irakienne dans la ville de Mossoul. Al Baghdadi a failli prendre la majorité du territoire et était aux portes de Damas avant l’intervention militaire russe, sollicitée par les autorités syriennes elles-mêmes. S’accaparant armes et pétrole et trouvant des complices dans les pays frontaliers, en particulier la Turquie, membre de l’OTAN, il parvint même à mettre petit à petit sur pied une économie.
Les Américains, pour mettre un terme à son expansion, ont créé une coalition internationale de 42 pays et se sont employés «à bombarder» les positions de Daech pendant plus d’une année, sans que l’avancée des troupes de l’EI ne soit arrêtée. Ce n’est qu’après l’arrivée de l’aviation russe, et en six mois seulement, que les structures de Daech ont commencé à s’effondrer. Une question fondamentale se pose et à laquelle les dirigeants des grands pays occidentaux doivent répondre. Comment circulent l’argent et les armes que ces mouvements arrivent à se procurer? Si une volonté politique de les éradiquer existait vraiment, pourquoi des enquêtes ne sont pas lancées pour déterminer les banques qui en sont responsables? Et pourquoi certains diplomates ont-ils pu considérer que les terroristes «font du bon boulot»?
Ne pas attaquer ces mouvements-là où on pourrait assécher leurs capacités rend la possibilité de leur réapparition plus que probable!
Ne pensez-vous pas qu’il est peut-être temps d’aborder nos différences idéologiques et les questions d’intérêts par d’autres moyens que ceux de la guerre? Car un jour, la situation pourrait être irrécupérable.
Source fr.sputniknews.com