La mer à boire

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Quand le médecin m’a annoncé que Yonathan, neuf ans, devrait prendre un comprimé chaque matin, avant de partir à l’école, j’étais plutôt contente. Cela signifiait qu’on avait enfin trouvé de quoi souffrait mon fils, et qu’il y avait un remède. Qu’espérer de mieux ? De nos jours, la santé tient tellement sur un fil, que lorsqu’on souffre sans en connaître la cause, c’est inquiétant, et on s’imagine malheureusement le pire. Si l’on arrive à diagnostiquer la maladie, et à soigner, on dit merci.

Mais je n’imaginais pas un seul instant dans quelle galère j’allais me retrouver.

Le premier jour, je donne à Yonathan un comprimé. Tu peux l’avaler ? Yonathan regarde le minuscule rond blanc et réfléchit. Réfléchit. Réfléchit. Son père se dévoue pour lui expliquer les bases importantes du livre d’Aristote « de l’art d’avaler un comprimé ». On place au fond de la langue, on boit un grand verre d’eau. Allez, c’est parti, on essaye, scène

  1. Yonathan place le comprimé, mais avant d’avoir approché le verre d’eau de ses lèvres, il le recrache. Arrêtez, coupez !

On reprend, comprimé scène 2. On positionne un peu moins loin. On boit, encore, encore, encore, tout le verre, bravo ! C’est avalé ? Non ?!?! Où est le cachet ? Coupeeeeez !

Bon, on le repositionne, on refait un dernier essai, cette fois-ci avec du jus. Comment cela, tu n’as plus soif ? Mais c’est du jus ! Ça se boit sans soif, c’est bon le jus ! Il en boit à peine, le comprimé est toujours là. Il est dans un sale état, le pauvre. Je parle du comprimé. Direction poubelle. Il est déjà 8 h 00, on laisse tomber. Pas grave, on commencera demain.

Cette fois-ci, je me suis longuement préparée, et je déclare, toute fière : Yonathan, j’ai réfléchi, si tu arrives à avaler ton médicament, tu auras un petit cadeau, d’accord ?

Yonathan est d’accord. C’est le comprimé qui n’est pas d’accord et refuse de coopérer.

Yonathan part à l’école, et j’appelle le médecin, à bout de forces. Il me conseille d’essayer avec un yaourt, plutôt qu’avec une boisson. Ça ne marche pas du tout. Le yaourt est fini. Le comprimé, non.

Docteur, puis-je faire fondre le comprimé ? Oui ? C’est sûr ?  Bonheur intense !

Je le fais fondre, je rajoute du coca. Yonathan boit goutte à goutte. Goutte à goutte. Je vois la poudre qui s’accumule au fond du verre, et Yonathan qui ne boit plus que le coca. Remue et bois, Yonathan. Mais là, il sent la poudre sur la langue, et cela le fait vomir. Je commence à perdre patience.

Ma grande fille se propose pour le lendemain. Je la remercie d’un regard fatigué. Elle est sure d’avoir trouvé l’astuce, et je la bénis. La veille au soir, elle fait fondre du chocolat, y ajoute la fameuse poudre de perlimpinpin, verse dans un moule en forme de fleur où elle laisse le tout refroidir et durcir. Yonathan y goûte à peine le lendemain, il dit que cela lui fait mal au ventre. Je jette le chocolat qui donnerait envie à n’importe quel autre enfant qui prendrait le médicament sans faire attention.

Je n’ose pas demander au médecin si le cachet supporte la cuisson. Dommage, parce que j’ai vraiment plein d’idées… l’omelette au cachet, le cachet pané, le poisson à la sauce-cachet, les cookies aux comprimés, les éclairs au cachet, le nescachet… Je perds la boule…

chocolat-chaudBon, dernier essai avant craquage complet. Par chance, c’est Roch ‘Hodech. Bon alibi. Les enfants, boqer tov ! ‘Hodech tov ! Celui qui se lève avant 7 h 15 aura droit à un chocolat chaud ! Miracle, tous se lèvent rapidement. Je prépare 13 chocolats chauds, sans oublier de mettre dans l’un d’eux la cocaïne, euh pardon, je m’égare. J’offre à chacun son verre, et à Yonathan le sien. Tous boivent en un rien de temps, Yonathan hésite. Quand je le presse de finir pour aller s’habiller, il préfère prendre le verre avec lui dans la chambre. Quelques minutes après, je fais mine d’aller récupérer les verres dans les chambres, pour voir où en est le sieur récalcitrant. Les enfants, je reprends les verres, je ne veux pas qu’ils trainent dans les chambres ! Qui a encore son verre ? Yonathan !?! Tu n’as pas encore fini ?!!! (je fais mine d’être très très étonnée). Euh, non… J’aime pas, qu’il me dit.

OK, donc je me suis fatiguée à préparer des chocolats chauds pour toute la famille, et je n’ai pas avancé d’un pouce avec Yonathan. Psychologiquement et nerveusement, là, ça devient difficile. Je ne sais plus quoi faire. Je le place sur une chaise, avec un jus contenant le cachet fondu, et je le préviens qu’il ne partira pas à l’école tant qu’il n’aura pas tout fini. L’étape des menaces commence, je n’ai plus le choix. Le verre est rempli au quart. Il le finit en 48 minutes. Oui, j’ai regardé la montre. Je n’ai pas pu m’occuper des autres enfants, parce que je devais le surveiller pour ne pas qu’il s’enfuie, ou qu’il offre gracieusement son verre de jus à la plante verte. Oui, il est arrivé en retard. Mais au moins, il avait pris son médicament ! C’est seulement après que j’ai pu habiller les petits…

Depuis, cela lui prend entre 45 et 65 minutes chaque matin, pour finir ses deux gorgées de jus. Il vomit une fois sur deux, après avoir fini tout le verre. Parfois, je me surprends à parier avec moi-même si aujourd’hui il avalera ou s’il vomira. Très ludique. Sauf que je perds la plupart du temps.  C’est imprévisible, ces choses-là… Quoi qu’il en soit, lorsqu’il quitte enfin la maison, avec ou sans médicament dans le ventre, je respire enfin ! La tension baisse, je relativise… Je me dis qu’avant ses 18 ans, il faut absolument que je pense à le filmer pendant qu’il boit, avec son air de chien battu. Quand j’y pense, il faudrait aussi me filmer à moi. On me verrait bouillir littéralement, me retenir d’hurler, et dire régulièrement : « Remue, bois ! Remue, bois ! Remue, bois ! » Après, on verrait les autres enfants qui, à chaque passage dans la cuisine, en profitent aussi pour déclamer « Remue, bois ! », et je me demande bien de qui ils se moquent le plus, de Yonathan ou de moi…. Snif…. On visionnera le film dans 20 ans, et on en rira, non ?

 

Ceci dit, entre temps, désespérée, mais vraiment désespérée, j’appelle mon cousin, qui travaille dans la recherche à l’hôpital Hadassa. Ecoute, Yoni, je t’en prie, tu as quelques souris de laboratoire libres, genre au chômage, à la retraite, en congé maladie ou congé maternité ? Oui ? Alors je t’en prie, tu pourrais dire à ton boss qu’il y a une urgence ? Il faudrait trouver l’équivalent en  pommade des comprimés Glojémax… Oui, je suis prête à payer…

 

P.S. : Toute ressemblance avec des personnes ou des situations ayant déjà existé, n’est absolument pas fortuite

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