L’Iran veut contrer l’influence d’Israël au Kurdistan

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L’Iran conserve l’œil vigilant quant à l’influence israélienne au Kurdistan

DIYARBAKIR, Turquie — Alors que l’Iran fait de plus en plus entendre la voix de son opposition contre le référendum à venir (25 septembre) sur l’Indépendance du Kurdistan en Irak, les spéculations se font plus nombreuses quant aux véritables préoccupations de Téhéran à ce sujet.

La récente visite officielle du chef d’Etat-Major des forces armées iraniennes et grand patron des gardiens de la révolution, le général Mohammad Hossein Bagheri’, en Turquie crée un précédent historique, puisqu’il s’agissait de la toute première visite d’un général iranien de haut rang en Turquie, depuis 38 ans, soit la révolution de 1979. Bien que le sujet n’était pas au sommet de leur agenda officiel, comment croire que les deux parties n’aient pas évoqué le référendum au sein du Gouvernorat Régional du Kurdistan (KRG) prévu le 25 septembre?.

Alors que Bagheri se trouvait à Ankara à la mi-août, son armée était en peline action à la frontière irakienne, avec des milliers de membres du Corps des Gardiens de la Révolution et un équipement lourd, se déployant dans six villes de la région du Kurdistan d’Iran. Ce n’est vraiment pas la première fois que l’Iran prend des mesures militaires contre des organisations kurdes dans la région, mais ce calendrier a une valeur significative, alors que l’Iran cherchait précisément lesoutien de la Turquie contre la tenue de ce référendum.

Au-delà du fait de rassembler des forces, l’Iran utilise des drones afin de surveiller la zone. On a entendu quelques prédictions d’opération militaire conjointe turco-iranienne contre le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK),mais l’Iran a rapidement démenti ces reportages.

Dans des zones où les troupes iraniennes se rassemblent, on trouve aussi les membres du Parti pour une Vie Libre au Kurdistan (PJAK), l’extension iranienne du PKK et d’autres organisations kurdes, dont le Parti Démocratique du Kurdistan d’Iran, ainsi que des unités de sécurité et d’observations provenant du GRK voisin.

Mehmet Alkis, étudiant en doctorat de l’Université Marmara, qui observe de près le Moyen-Orient et le Kurdistan d’Irak, pense que ce n’est pas du tout une coïncidence que l’Iran mette ses troupes en mouvement dans ce secteur. Selon Alkis, l’Iran emploira tous les moyens disponibles pour saboter le référendum.

« L’Iran considère l’Irak et la Syrie comme ses zones d’influence à haute valeur stratégique, à cause des ressources gazières et pétrolières qui s’y trouvent et parce ce sont des zones tampons pertinentes pour les intérêts militaires et politiques de l’Iran. Un Kurdistan indépendant en Irak pourrait bien constituer une menace considérée comme majeure par l’Iran. Les médias iraniens ont déclaré, il y a deux semaines, que les forces du gouvernement étaient sur le point d’envahir la capitale kurde d’Erbil, mais le gouvernement de Bagdad s’est empressé de démentir cette rumeur », dit-il.

En avril, on a émis des rapports sur la présence du général Qassem Soleimani, venu rencontrer des groupes de sabotage proches de l’Iran -des groupes déjà opposés de longue date au référendum et au Parti Démocratique du Kurdistan de Massoud Barzani – pour leur demander de ne pas se laisser entraîner dans ce mouvement général et de suspendre toute forme de soutien direct ou indirect au référendum, selon Alkis se confiant à Al-Monitor, le 2 septembre.

« Il y a encore quelque chose de bien plus intéressant à relever. Il y a quelques jours, l’Etat Islamique (Daesh) a signé un accord avec le Hezbollah au Liban, lui permettant de retirer ses djihadistes de la frontière libanaise, afin de les concentrer à la frontière irakienne. C’est un geste important. Nous avons constaté comment Daesh a perdu les 3/4 de Raqqa et Tal Afar. Clairement, actuellement, Daesh veut se rapprocher de la frontière irakienne et redéployer ses forces dans le secteur riche en pétrole de Deir ez Zor. Pour moi, cela démontre que l’Iran conspire de façon à ramener Daesh à la frontière irakienne et à imposer un siège à la région du Kurdistan, de façon à saboter le référendum », ajoute t-il.

(Cependant, la coalition dirigée par les Etats-Unis a été en mesure de freiner le convoi de Daesh, et la Syrie a annoncé le 5 septembre, avoir rompu le siège de Deir-ez-Zor, qui a duré 3 ans).

Bien que toutes ces manœuvres de l’Iran soient censées influencer l’issue du référendum, Alkis pense qu’il reste assez improbable que l’Iran intervienne militairement pour stopper le scrutin. Téhéran devrait, plutôt, tenter de manipuler la situation et jouer certains acteurs politiques contre d’autres.

« Je ne peux pas ignorer de quelle façon, en 2014, Daesh est, soudain, devenu une menace directe contre Erbil (capitale du Kurdistan irakien). L’Iran pourrait à nouveau coopérer (comme il l’a fait avec Daesh) avec des groupes d’opposition afin de déstabiliser la région, mais en évitant d’être directement impliqué ». L’Iran conserve une grande influence dans la région kurde,en particulier à Sulaimaniyah. » Mais, de toute façon, les mouvements de l’arméev iranienne ne pousseront pas à un report du référendum.

Israël fait partie des pays qui s’intéressent aux affaires courantes du Kurdistan irakien. Si l’Iran est ouvertement opposé à ce référendum, Israël ne s’est pas gêné pour déclarer son soutien total, y compris en contradiction avec la politique officielle timorée de Washington. Cette pomme de discorde irano-israélienne relance les spéculations pour affirmer que ces grandes manœuvres militaires iraniennes s’adressent moins au Kurdistan en tant que tel qu’elles ne visent, en réalité, à défier Israël.

L’analyste en sciences politiques Siddik Hasan Sukru à Erbil est parmi ceux qui pensent fondées les rumeurs d’implication israélienne. Sukru a déclaré au Al-Monitor que le référendum n’est pas, en soit, la motivation principales des récentes actions iraniennes.

» C’est vrai, ces grandes manœuvres militaires iraniennes peuvent être liées au référendum, puisque l’Iran craint la relance de l’offensive des forces d’opposition [les Kurdes d’Iran viennent, en effet, de se soulever dans les provinces de Binê et Mariwan, depuis le 3/4 septembre]. La visite de Bagheri évoque une demande d’assaut conjoint turco-iranien. Mais la raison la plus importante de ces bruits de bottes, cela reste Daesh. Très probablement, il n’y aura plus de présence de Daesh en Irak en décembre 2017, mais cela ne signifiera pas la fin de Daesh entant que tel, qui reste très présent en Syrie. Daesh pourrait tenter des infiltrations en Iran et en Turquie afin de se propager et de se redéployer vers l’Asie Centrale (Afghanistan, Pakistan). L’Iran devrait alors prendre des mesures contre cette éventualité ».

Sukru insiste, cependant, sur le fait que la priorité absolue de l’Iran consiste à saboter l’influence d’Israël et de l’Arabie Saoudite dans les régions kurdes.

« L’inquiétude de l’Iran ne porte pas tant sur l’Indépendance du Kurdistan qu’en ce qui concerne Israël. Les relations d’Israël avec la région du Kurdistan se développent au grand jour. Israël travaille d’arrache-pied pour bâtir une infrastructure favorable dans cette région. L’Arabie Saoudite a ses propres objectifs pour cette même région. L’Iran comprend très bien les conceptions israéliennes et saoudiennes. Ces deux pays pensent inévitable une guerre entre les milices Hashid Shaabi chiites [les Unités Populaires de Mobilisation pro-iraniennes] et les Kurdes, après la conclusion de la question de Daesh. C’est pourquoi l’Iran maintient ses milices en alerte, à la fois, dans le nord de l’Irak contre le Kurdistan et dans le sud de la Syrie, aux frontières jordaniennes, pour viser le sud du Golan israélien. Sukru perçoit ainsi une sorte de symétrie presque parfaite entre les deux situations interdépendantes.

« L’Iran, dans le même temps, consolide son statut au Moyen-Orient avec l’aide de Bagdad, Damas, du Hezbollah et de certains djihadistes sunnites retournés. De nouvelles tensions entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, à la suite de l’effondrement de Daesh, sont inévitables. Le Kurdistan deviendra un conflit régional, parce que ce qui est en jeu n’est pas seulement l’indépendance du Kurdistan, mais une guerre déclenchée par l’Iran contre Israël et l’Arabie Saoudite ».

Sukru, comme Alkis, pense que l’Iran continuera d’observer l’événement du référendum à distance, plutôt qu’en intervenant militairement. En même, le GRK installe ses forces spéciales à la frontière iraniennes.

L’Iran a été en contact étroit avec les organisations kurdes susceptibles de lui servir de levier depuis l’émergence de la région du Kurdistan dans les années 1990. Peu de gens pouvaient penser que l’Iran s’opposerait directement au référendum, mais le tableau change dès que cela est susceptible d’impliquer Israël. L’Iran a bien l’intention de déjouer les conceptions israéliennes qui ont une influence certaine au Kurdistan depuis les années 1960 et les Mollahs ne peuvent ignorer la coopération existante entre Israël et les Kurdes Sunnites. Aussi l’Iran apparaît-il déterminé à faire échouer tout Etat du Kurdistan Indépendant tout en empêchant ainsi la propagation de toute influence israélienne dans la région.

Par Mahmut Bozarslan

En savoir plus sur : al-monitor.com

Adaptation : Marc Brzustowski – www.jforum.fr

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