État islamique: la chute de Mossoul, et après?

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Alors que Mossoul est désormais perdue pour l’État Islamique, ce coup majeur porté au projet des extrêmistes peut-il les entraver durablement? Trois chercheurs exposent leur point de vue.

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En Irak, la lutte pour le pouvoir ne fait que commencer

Par Renad Mansour

Pour de nombreux Irakiens, la destruction du célèbre minaret penché d’al-Habda à Mossoul a symbolisé la défaite en Irak de l’État islamique autoproclamé. C’est en effet au pied de ce minaret de la mosquée al-Nouri qu’Abou-Bakr al-Bagdadi avait déclaré la naissance de son «califat» – un minaret aujourd’hui détruit par l’organisation jihadiste pour éviter qu’il ne tombe aux mains des forces de sécurité irakiennes. Mais l’étendue de cette défaite et la possible trajectoire d’un Irak «post-État islamique» sont encore peu claires.

Car s’il a été anéanti en tant qu’entité étatique, l’État Islamique va continuer d’exister. Une organisation restructurée et qui ne contrôle plus de territoire représente un nouveau défi. Militairement, le groupe en revient à des actions de guérilla, et notamment à des attaques contre les civils dans les régions densément peuplées d’Irak. A l’inverse du passé, l’organisation dispose également de nombreuses ressources et a adopté des méthodes mafieuses, notamment du blanchiment de ses réserves en cash par le biais d’entreprises ayant l’apparence de la légalité, comme les bureaux de change et l’industrie pharmaceutique. Jusqu’à très récemment, ils échangeaient des dinars irakiens contre des dollars US par le biais des enchères aux devises de la banque centrale irakienne.

Les conflits souterrains qui opposent les différentes forces politiques en Irak vont également resurgir maintenant que la cause commune, celle de la défaite de de Daesh, s’estompe. Des querelles sanglantes de territoire ne peuvent qu’éclater dans le nord du pays ; les dirigeants du Kurdistan irakien, les Arabes Chiites et les groupes paramilitaires turkmènes affilés aux Forces de Mobilisation Populaire (FMP), les dirigeants politiques locaux, les combattants sunnites tribaux et les acteurs régionaux vont tous s’affronter pour obtenir un maximum d’influence dans des lieux critiques comme Kirkuk, le nord de Ninive et la frontière entre l’Irak et la Syrie.

A Bagdad-même, la lutte de pouvoir entre chiites, qui oppose le Premier ministre Haider al-Abadi, et l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki, mais aussi le prêcheur populiste (d’obédience chiite) Muqtada al-Sadr pourrait éclater au grand jour. Les politiques étrangères des États-Unis et de l’Iran sont ici en jeu : Téhéran va faire en sorte de renforcer ses principaux alliés, dont Maliki et des dirigeants du FMP comme Hadi al-Ameri, Qais Khazali et Abu Mahdi al-Muhandis. Pendant ce temps, Washington tente de renforcer Abadi. Mais plus fondamentalement, la lutte entre Abadi, Maliki et Sadr est nourrie par la colère croissante de la population qui considère désormais que c’est la corruption et pas le sectarisme religieux qui est la principale cause de la naissance de l’État islamique.

Si l’Irak veut relever tous ces défis, il doit renforcer ses institutions locales et fédérales, combattre la puissance des acteurs violents non-étatiques et mieux comprendre la manière dont le pouvoir se partage et se répartit au plan local. Ce n’est qu’à cette condition que l’État irakien pourra s’attaquer aux racines de l’État Islamique et transformer sa victoire militaire en accord politique viable sur le long terme – afin de s’assurer que l’Irak ne va pas à nouveau sombrer dans la guerre civile.

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Les plaies syriennes feront renaître le djihad de ses cendres

Par Amr al-Azm

Maintenant que l’État islamique perd du terrain, les forces qui, sur le terrain, sont alignées sur les États-Unis et l’Iran vont devoir retourner leurs armes vers ce qu’elles tiennent désormais pour la principale menace : chacune.

Les Forces démocratiques syriennes, majoritairement kurdes et soutenues par les États-Unis, ont lentement mais sûrement chassé les groupes de djihadistes qui occupaient Raqqa et d’autres exemples plus anciens semblent indiquer que les Kurdes laisseront le régime et les institutions étatiques revenir progressivement en ville afin de fournir les services publics de base. Les FDS assureront quant à elles la sécurité dans le zone. Cette cession partielle de la ville au régime n’est qu’un mariage de raison très temporaire.

La prochaine étape critique sera la reprise de la ville stratégiquement importante de Deir Ezzor, dernier centre urbain majeur encore aux mains de l’État Islamique en Syrie le régime syrien et ses alliés se sont d’ores et déjà déployés en vue de la reprise de cette ville qu’ils entendent arracher à l’État islamique, ce qui permettrait également au régime de se rapprocher de la frontière irakienne – un objectif important pour l’Iran, son principal allié.

L’élimination de l’État islamique dans l’Est de la Syrie ne peut être obtenue qu’avec la prise de Deir Ezzor

Cela risque bien de ne pas plaire à l’administration américaine qui s’emploie désormais à réduire l’influence de l’Iran dans la région. Les États-Unis ont malgré cela peu d’options à disposition. L’élimination de l’État islamique dans l’Est de la Syrie ne peut être obtenue qu’avec la prise de Deir Ezzor, et les FDS se montreront sans doute eu désireuses d’attaquer la ville alors que les factions de l’armée syrienne libre alliée des États-Unis dans le sud du pays sont trop faibles pour lancer une telle offensive majeure – ce qui ne laisse plus guère que le régime d’Assad et ses alliés comme option viable. Par ailleurs les Iraniens sont à juste titre partis du principe que les États-Unis ne souhaitent pas s’engager dans une confrontation frontale avec les forces du régime sur ce point.

Aussi dès que la défaite de l’État islamique sera consommée dans l’Est de la Syrie, les vainqueurs pourraient bien être le régime syrien et son allié iranien. Les arrangements en cours avec les Kurdes dans les villes de Raqqa ou Manbij ne sont que temporaires et ne peuvent qu’être rompus sur le long terme, provoquant un regain d’instabilité et d’incertitude dans la région.

S’il est peu probable que l’État islamique disposera encore de capacités opérationnelles en Syrie à l’issue de la campagne actuelle, les défis posés par la partition et par les dynamiques régionales assurent que les tensions ethniques et religieuses résiduelles continueront d’alimenter l’extrémisme, et finiront immanquablement par permettre la ré-émergence d’une nouvelle version de l’État islamique en Syrie et en Irak.

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L’État Islamique va survivre

Par Cole Bunzel

Comment les pertes territoriales de l’État islamique vont elles affecter le paysage du djihadisme sunnite transnational ? Nombreux sont ceux qui imaginent une transformation radicale : peut-être, après tout, que les dommages infligés à la marque État islamique seront si importants qu’al-Qaïda va reprendre la tête du mouvement djihadiste, ou alors les deux groupes vont oublier leurs différences et chercher un rapprochement pour maintenir la flamme du djihad.

Ces prédictions – celle d’un retour triomphal d’al-Qaida comme celle d’une joint-venture du djihad – sont répétées à l’envie depuis quelques années, qui ont vu l’État islamique entamer son inéluctable déclin. Mais à l’heure où j’écris ces lignes, rien ne semble pencher vers l’une ou l’autre – et nombreuses sont les raisons de se montrer quelque peu sceptique à leur endroit.

Déjà parce que ces deux prédictions partent du principe qu’al-Qaïda est fort, résistant et mû par une stratégie prudente, visant à gagner le cœur des populations et à résoudre les conflits locaux à son propre profit. Mais est-ce bien le cas, vraiment ? Certes, al-Qaida continue d’exercer un certain contrôle sur un réseau d’alliés allant de l’Afrique du Nord à l’Inde. Mais il a récemment perdu le contrôle de son principal allié le front al-Nosra en Syrie connu aujourd’hui sous le nom de Hayat Tahrir al-Sham, qui était autrefois considéré comme le symbole de sa pensée et même de sa stratégie.

Quand le front al Nosra a coupé ses liens avec l’organisation mère en juillet 2016, pour beaucoup, cela ressemblait à une ruse. Mais depuis, il est apparu que le chef d’al-Qaida, Ayman al-Zawahiri, n’avait pas été consulté, et il n’avait pas approuvé ce qui s’était passé. Tout cela suivait, seulement deux ans plus tard, la perte de son ancien allié en Irak, l’État islamique d’Irak, qui s’était ensuite rebaptisé et proclamé Califat. Tout ceci n’indique pas véritablement une stratégie brillante sur le long terme.

Tout cela, sans compter le déclin manifeste des capacités terroristes d’al-Qaida. Zawahiri continue d’insister dans ses très nombreux discours sur le fait qu’attaquer l’Occident demeure sa principale priorité. Mais à quand remonte la dernière fois où al-Qaida a été en mesure de lancer une attaque majeure en Occident, voire quelque chose ressemblant vaguement, en termes d’échelle, à l’attaque de Manchester ou contre le London Bridge ? Cela fait des années. L’État islamique semble avoir bien davantage de capacité à cet égard.

L’idée d’une réconciliation entre djihadistes est encore plus improbable qu’un triomphe d’al-Qaida seul. Car le degré d’animosité mutuelle entre l’État islamique et al-Qaida ne saurait être sous-estimé. Ces deux groupes et leurs partisans respectifs se vouent une haine viscérale. Les loyalistes d’al-Qaida décrivent les partisans de l’État islamique comme des extrémistes, des Karijites, des Takfiris. L’État islamique, de son côté, a décrit les partisans d’al-Qaida comme «Les Juifs du Jihad» et comme les stipendiés du leader «soufi» des talibans hérétiques. Une telle fracture n’est tout simplement pas réductible. Pour ceux qui ne connaissent pas le sujet, une telle faille idéologique peut apparaître récente mais elle est en fait enracinée dans des différences théologiques et stratégiques qui caractérisent le mouvement djihadiste depuis des décennies.

Le djihadisme, pour faire court, va demeurer divisé. L’État islamique, qui existe sous une forme ou une autre depuis 2006, va plus que probablement survivre. Ce sera également le cas d’al-Qaida. Aucun des deux n’avalera l’autre, aucun des deux ne fera la moindre concession.

Source www.slate.fr

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