De Halimi à Halimi. Val et Herzog. L’ambassadeur Orlov chez Elkabbach. Qui se cache derrière le comité invisible ? Hobbes, notre contemporain.
Les Munichois disaient : la France est visée par le terrorisme à cause de sa «laïcité agressive». Contre-preuve, hélas, par Manchester : modèle inverse, communautarisme assumé, quartiers entiers déjà régis par la charia – et, pourtant, la même horreur.
Lu, dans le New York Times, qu’une place, à Jénine (Cisjordanie), vient d’être rebaptisée du nom de l’un des terroristes coupables du meurtre, en 1981, d’Abraham Bromberg. Comment, face à un aveu pareil, ne pas continuer de douter que la partie palestinienne souhaite réellement la paix ?
Ici, en France, il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Une retraitée, Sarah Halimi, est harcelée par des voisins d’immeuble. On la traite de «sale juive». Une nuit, début avril, un homme s’introduit chez elle, la torture et finit, aux cris d’Allah Akbar, par la défenestrer. Et non seulement la justice mais la presse répugnent à prononcer le mot d’antisémitisme !
L’actualité est allée si vite que je n’ai pu rendre compte du livre de Philippe Val, « Malaise dans l’inculture » (Grasset). Il avait, entre autres mérites, celui de proposer une redéfinition heureuse de la notion de lanceur d’alerte : non plus le délateur putinien faisant tout ce qui est en son pouvoir pour démoraliser et affaiblir les démocraties, mais l’intellectuel, le journaliste ou, parfois, l’avocat appelant un chat un chat, un antisémite un antisémite – et osant poser la question de la part de l’islamisme radical qui s’explique par l’islam et a quelque chose à voir avec lui.
A-t-on assez pris acte du changement d’appellation de notre ministère de la Défense devenu, ces jours-ci, ministère des Armées ? Là, pour le coup, c’est bon signe. Car on ne saurait mieux dire le changement tendanciel (acté, donc, par Macron) de la vocation de nos militaires depuis la guerre en Libye (Sarkozy), puis au Mali et en Centrafrique (Hollande) : la défense, non plus seulement du territoire, mais de la démocratie dans le monde.
Je ne crois pas que Macron soit l’« homme providentiel » évoqué, ici, par Franz-Olivier Giesbert. Mais l’agent choisi par l’esprit du temps pour signifier que la montée des populismes n’est pas fatale, que la démocrature n’est pas l’avenir de la démocratie et que la marée noire de l’illibéralisme peut être endiguée – sûrement oui.
C’est visiblement ce qu’a compris l’ambassadeur de Russie en France lors de l’interview donnée, ce 26 mai, à Jean-Pierre Elkabbach, sur CNews. Il est vrai que l’interviewer vedette de la chaîne n’a pas son pareil pour faire tomber les masques et, comme disait Bataille à l’époque de la télévision naissante, faire que l’on s’expose « comme une fille enlève sa robe ». Mais tant de contorsions pour éluder l’obscène réception de Marine Le Pen au Kremlin, tant d’efforts pour tenter de nous faire croire que la Russie n’a jamais été hostile ni à Emmanuel Macron ni à l’idée de la France dont il est porteur, voilà un hommage du vice à la vertu dont on pourra, au choix, sourire ou se réjouir. Il ne manquait, au bal des Tartuffe dopés à la testostérone, que Trump et Erdogan. Mais non. Ils sont là. Et eux aussi, au même moment, rendaient les armes.
Hannah Arendt, commentant l’«Ethique à Nicomaque» d’Aristote, compare l’homme politique à un «virtuose». Avec le virtuose, dit-elle, il partage la soumission à la contingence, l’art de l’imprévu ainsi que cette forme très particulière de praxis (souvent sans traces, ou même sans œuvres) qu’on appelle une «performance». N’est-ce pas le cas de Macron ? Et, en version grimaçante, de Trump ?
Un autre livre que la frénésie du présent m’a fait manquer : « La France retrouvée » (Gallimard), de Félicité Herzog. J’avais été, il y a quelques années, l’éditeur de son premier roman. La voici de retour avec un essai antidécliniste, antimélancolique et qui fustige avec entrain, non pas l’étrange défaite, mais l’étrange régression où se complaît notre pays. Parfum de la France… Urgence démocratique… L’Union européenne comme point provisoirement final au débat, sur l’Allemagne, entre héritiers de Bougainvilliers («guerre des races» entre Francs et Gaulois) et de Fustel de Coulanges (tous unis, de longue date, dans le creuset de la «romanité»). Du macronisme avant la lettre… Le contraire de Robespierre, qui voulait instaurer, à Paris, une «Fête du malheur»…
Car l’extrême gauche, en attendant, renaît, elle aussi, de ses cendres. Non pas Mélenchon, cette baudruche. Mais ce vaste parti des « ingouvernables » dont le comité invisible, dans la troisième livraison, intitulée « Maintenant », du programme qu’il égrène, aux éditions La Fabrique, depuis le début des années 2000, vient de donner la charte. On y décrit l’émeute comme « moment de vérité », l’espérance comme école du « consentement » et le « précariat » comme grand remplacement du « salariat ». On y raconte comment la démocratie se meurt sur les lieux mêmes (la Grèce de Tsipras) où elle est née et la civilisation dans les ruines (Syrie, Irak) des villes où elle s’est, il y a cinq mille ans, mise en «ordre» et en «écriture». On y explique pourquoi «vie», en hébreu, s’écrit toujours au pluriel et comment une personnalité n’est jamais faite d’un bloc, «sinon ce serait une statue». Un texte beau mais terrible. Un dernier livre – typique de ces temps troublés où les esprits myopes, écrivait Hobbes, pensent ne «rien voir d’autre que des ligues ou de simples regroupements de personnes privées d’une union finalisée» alors que c’est, en fait, le Politique même qui s’y réinvente.
Nouvel âge sombre ? Lumières rejouées ? Non. C’est le XVIIe siècle qui se rejoue (Hobbes, donc… vieux partages, anciens clivages et formes républicaines périmées volant en éclats et s’agençant autrement…). Mais j’y reviendrai.
Source laregledujeu.org