La fête de Pessa’h est certainement la fête qui nécessite le plus de préparatifs. Le processus de fabrication des matsoth est entamé un an à l’avance avec la cueillette du blé. Plusieurs semaines au préalable, on s’efforce d’éliminer toute trace de ‘hamets dans nos maisons. Le soir du 15 Nissan est l’aboutissement de grands efforts ; les sept jours de fête donnent aussi l’occasion de se reposer. Mais cela ne doit pas être le sentiment essentiel. Pessa’h est avant tout un point de départ.
Pessa’h, un point de départ
La période de Nissan appelle naturellement un sentiment de renouveau. En ce mois défini comme « le mois du printemps », toute la nature se renouvelle, le cycle de la récolte commence, l’orge, le blé puis les fruits vont mûrir pour être ensuite engrangés.
De plus, une mitswa explicite fixe ce mois comme le premier des douze mois de l’année. Ainsi, dans pratiquement tout le Tanakh, les mois ne sont pas nommés mais désignés comme le « premier », le « deuxième », etc., par rapport à Nissan.
Comment expliquer le statut particulier de ce mois ? Il semble bien que l’importance de Pessa’h ne provienne pas de la fête elle-même, mais de ce qui suivra.
En vérité, déjà Moché rabbénou s’interrogeait sur la possibilité de sortir d’Egypte. Hachem lui expliqua qu’Israël sortirait de l’esclavage, non pas pour faire ce qui lui plairait, mais pour recevoir la parole de Hachem et pour accomplir Sa mission. On se rappelle des billets de banque israéliens des années 1980 portant le message « שלח את עמי », « libère mon peuple ». Un mot essentiel était omis : « ויעבדוני », « et ils Me serviront ». Jamais Moché ne réclama la libération d’Israël du roi Pharaon dans une optique autre que de servir Hachem. Et cela reste vrai pour toutes les générations. Dès le deuxième soir de Pessa’h, nous entamons le compte du ‘Omer qui se terminera à Chavouoth. L’élévation spirituelle de la fête se poursuit ainsi pendant sept semaines.
Le Ramban va même assimiler cette période à un grand ‘Hol hamo’èd. Comme les six jours entre le premier jour de Souccoth et de Chemini ‘Atséreth sont imprégnés de qedoucha et forment la transition entre ces deux grands jours, ainsi quarante neuf jours nous mèneront de la célébration de la sortie d’Egypte à l’acceptation nouvelle de la Tora.
Le compte du ‘Omer : au lendemain de Pessa’h
On remarquera une curiosité. Si la sortie d’Egypte annonce un mouvement d’élévation, pourquoi ce jour d’une sainteté extraordinaire n’est-il pas considéré comme le premier jour du ‘Omer ?
Une réponse de nos Maîtres est la suivante. S’il s’agissait d’appuyer sur un bouton et de faire monter l’ascenseur d’un étage, cela pourrait se faire en un temps. Mais l’élévation de l’âme procède autrement. Si l’on veut qu’un événement nous fasse grandir, il faut prendre le temps de le comprendre, de réaliser son message et sa portée, dans l’esprit et dans le cœur. Lorsque notre peuple sortit d’Egypte après une nuit sortant véritablement de l’ordinaire (après la circoncision de ceux qui ne l’étaient pas, la consommation de la matsa et du qorban Pessa’h, la mort des premiers-nés égyptiens, la destruction de toutes les idoles…) les leçons à apprendre étaient bien nombreuses et le temps d’un jour était trop court pour cela. Ce n’est qu’au soir de cette journée que l’on put entamer le compte des jours nous menant au don de la Tora.
De même, chaque année, le premier jour restera consacré au rappel des révélations miraculeuses de ce jour. Pendant la nuit du Séder, on louera et remerciera Hachem avec nos enfants, en consommant la matsa, le maror (et le sacrifice de Pessa’h quand cela sera possible), avec les riches coutumes que nous connaissons pour cette occasion. Vivre l’expérience de ce jour intensément en intégrant les messages qu’il comporte nous fera grandir.
C’est seulement en prenant une journée de recul que nous serons à même d’entendre l’écho des messages dans notre âme, de ressentir intérieurement les sentiments de reconnaissance et de confiance que doivent faire naître en nous toutes les étapes de cette journée.
C’est pour cela qu’on attendra le deuxième jour de Pessa’h pour compter le premier jour du ‘Omer, le début de l’ascension. Puis une semaine entière de réflexion autour de la sortie d’Egypte nous donnera accès au septième jour du ‘Omer, clôturant la première semaine du ‘Omer un jour après la semaine de Pessa’h.
Après un qorban…
Cette remarque nous conduit à nous pencher sur une mitswa peu connue, enseignée à la fin de la parachath Reé (Devarim/Deutéronome, 16,7 ) : « ואכלת במקום אשר יבחר ה אלוקיך ופנית בבקר והלכת לאהלך », « Tu mangeras [le sacrifice] dans le lieu qu’aura choisi Hachem ton D’, et au matin, tu te tourneras et partiras dans ta tente ». Il s’agit de la mitswa de lina qui nous impose de ne pas quitter la ville de Yerouchalayim juste après avoir offert un sacrifice, mais d’y passer la nuit qui suit.
Rav Shimshon Raphaël Hirsch explique que le fait d’offrir un sacrifice n’est pas suffisant. En effet, l’offrande est destinée à nous transformer. Qorban signifie littéralement « rapprochement ». Elle n’atteint son objectif que si elle influe sur nos pensées, nos volontés et nos actions. Le calme de la nuit à proximité du Temple sacré permet la décantation de sentiments élevés dans les profondeurs de l’âme. On ne peut quitter la ville sainte sans traverser cette expérience d’intériorisation.
Et la Guemara (Pessa’him 95b) étend ce devoir à toute personne ayant offert un quelconque présent pour le service du Temple ou même ayant passé l’une des fêtes à Yerouchalayim.
Il est intéressant de constater que c’est dans le cadre de Pessa’h que la Tora choisit de nous transmettre cette mitswa. Cela confirme bien que cette fête est le prototype de cette idée selon laquelle après avoir vécu une expérience de qedoucha et d’élévation, on doit s’investir pour qu’elle nous transforme intérieurement.
Aujourd’hui, bien sûr, en l’absence du Temple, nous n’avons pas l’occasion de réaliser la mitswa de lina. Cependant, le minhag de fêter le lendemain des fêtes rappelle cette idée : en accordant de l’importance au Isrou ‘Hag, nous confirmons la volonté de prolonger le message de la fête après la fête. « Tout celui qui honore le lendemain d’une fête par des aliments et de la boisson est considéré comme s’il avait construit un autel et offert sur lui un sacrifice ! », nous dit la Guemara de Soucca (45b), mettant en valeur les lendemains des fêtes de par leur influence sur le reste de l’année. Les ‘Hassidim gardent même pour cette raison les habits de fête un jour de plus.
Après la prière…
Dans notre Tefila quotidienne, nous rencontrons la même idée. La ‘Amida est un moment solennel de grande proximité avec Hachem. Lorsqu’on la finit, on recule de trois pas. Avant de retrouver sa place initiale, on se doit d’attendre au moins quelques secondes. D’après rav Desseler, le but de ce temps d’arrêt est également de repenser à ce qui a été dit, de fixer en soi de nouveaux repères après avoir exprimé l’aspiration de voir Hachem présent et actif dans notre monde pour y amener la qedoucha, la sagesse, la réparation de nos erreurs, la santé, la justice …
Après une mitswa…
En réalité, cela est vrai pour toutes les mitswoth. Même si par l’acte lui-même, on s’acquitte de son devoir, la mitswa cache un contenu spirituel qui nous pénètrera, si on y prête attention. Le Michné Tora du Rambam, dont le but déclaré est de transmettre la Halakha, conclut toutes ses sections par des messages à retirer des sujets qui y sont traités. Ainsi, à la fin du volume concernant les sacrifices, on peut lire : « La majorité des lois de la Tora contiennent des conseils pour enseigner les bonnes midoth et rectifier les actions ». Ouvrez chacun des 14 livres du Rambam à sa dernière Halakha, vous y découvrirez des perles…
C’est aussi la réponse accordée au premier des quatre fils dans la Haggada. Le ‘hakham connaît déjà beaucoup ; il demande à apprendre toujours plus. Quelle leçon choisira-t-on de lui dispenser le soir de Pessa’h ? אין מפטירין אחר הפסח אפיקומן, « après la consommation de l’agneau de Pessa’h, on ne mangera pas de dessert ». Cela veut dire que lorsque l’on accomplit une mitswa si précieuse, on ne peut la quitter. On gardera son goût dans la bouche et, pour cela, on s’interdira toute autre consommation. Cela concerne particulièrement le ‘hakham. Etudier, il sait déjà le faire tout seul. Mais nous lui transmettons l’appréciation de l’étude, l’attachement sentimental qui se poursuit même après avoir fermé le livre. Ce fils qui étudie déjà, c’est en cela qu’il doit investir.
Pessa’h est donc une fête tournée vers le futur. Pour bien en profiter, pour que la richesse de son expérience nous accompagne tout le reste de l’année, essayons de ne pas épuiser nos forces dans les préparatifs de Pessa’h. Pessa’h n’est pas une étape d’arrivée mais un point de départ. Préparons-nous à ce qu’elle soit vécue pleinement comme un tremplin pour l’avenir.