Bernard Bouveret, 92 ans, « on faisait passer des familles juives entières »

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72 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, Bernard Bouveret se souvient. De ses années de résistance à passer des armes, des grenades puis des résistants et des familles juives. L’histoire d’un gamin de 16 ans qui est entré dans la résistance pour défendre son pays, la France.

Dans son grand salon, deux grandes têtes de gibiers empaillées, une carabine accrochée au dessus de sa cheminée et des dessins de ses petits-enfants sur les murs, mais rien qui n’évoque son glorieux passé de résistant franc-comtois. Seul un livre, bien caché au fond de son armoire, raconte son histoire, l’histoire d’un adolescent de 16 ans qui a défendu la France après la débâcle des troupes alliées en 1940.

Résistant à 16 ans

 

Au début de la guerre, Bernard Bouveret vient de fêter ses 15 ans. Avec son père, il loge à Chapelle-des-Bois, une petite commune du Doubs, à quelques centaines de mètres de la frontière avec la Suisse. « J’étais le premier au village quand les allemands sont arrivés, raconte l’homme qui habite maintenant à Foncines-Le-Haut. J’avais un petit drapeau français accroché sur mon vélo. Et un allemand me l’a arraché en me disant « France fini ». Ça m’a un peu vexé, je ne pouvais pas accepter ça mais je ne savais pas quoi faire non plus. » Son père tenait un café restaurant à la frontière. Il avait plusieurs amis de l’autre côté de la frontière, dont un certain Fred Raymond. Il faisait parti du service de renseignements en Suisse. « Il avait besoin de correspondants en France pour porter du courrier, explique une fois de plus Bernard Bouveret, qui intervient maintenant plusieurs fois par an dans les écoles pour raconter son histoire. Il m’a demandé si j’étais d’accord pour l’aider. J’ai sauté sur l’occasion même si j’avais conscience que c’était dangereux. »

Bernard Bouveret raconte comment, à 16 ans à peine, il est devenu résistant.

 Au début de la guerre, le jeune homme se contentait de passer du courrier. Il renseignait également les Suisses sur les troupes allemandes. « On copiait les écussons, on observait les camions pour savoir combien de soldats il y avait, quelles étaient leurs armes. » Avec quelques amis, ils écrivaient quelques notes, le moins possible pour ne pas se faire repérer par les troupes. « Au début, c’était de la rigolade, lâche-t-il le rictus au coin des lèvres. C’est devenu sérieux en 1942. » Cette année-là, les nazis instaurent le Service du Travail Obligatoire (STO). Plusieurs jeunes sont réquisitionnés mais s’enfuient dans le maquis pour ne pas être arrêtés. Bernard Bouveret, lui, a eu la chance de ne pas être réquisitionné grâce à son jeune âge.

Les réseaux de résistance s’organisent eux aussi. Les informations des renseignements suisses sont transportés jusqu’à Charleville-Mézières, dans les Ardennes. « Je recevais des courriers sans enveloppe, comme si le courrier m’était adressé, détaille méticuleusement le retraité de 92 ans. On écrivait une lettre de l’alphabet sur les courriers avant de les envoyer à Fred Raymond. » Ces lettres correspondaient en fait à des adresses précises. Et pour éviter de se faire repérer par les Allemands, Bernard Bouveret et quelques amis postaient le courrier dans les communes voisines.

« Mon ami est mort sur la neige. Il avait 19 ans »

Tout s’accélère en 1942-1943. Les risques deviennent de plus en plus grands, « mais on n’en avait pas conscience à l’époque ». Les cinq, six jeunes résistants empruntaient souvent le bois pour se rendre en Suisse, une forêt qu’ils connaissaient par cœur car ils y travaillaient. « On s’est fait tirer plusieurs fois, avance Bernard Bouveret. La nuit, les allemands tiraient sans sommation car il y avait un couvre-feu entre 23 heures et 5 heures. Je me souviens d’un ami de Châtelblanc. Il s’est fait tué à cinq heures du matin, sous la neige alors qu’il revenait de Suisse. Les Allemands lui ont mis une balle explosive dans le genoux. Il est mort sur la neige. Il avait 19 ans. »

Mais les dangers, les risques de se faire fusiller par la Gestapo, d’être torturés comme des centaines d’autres résistants, n’ont pas freiné le patriotisme de ces villageois. « On a passé beaucoup de micro-films, on les cachait dans des tubes d’aspirine. » Pour ne pas se faire repérer, ils traversaient toujours la frontière avec de la nourriture ou du tabac. « Pour ne pas éveiller les soupçons » glisse t-il dans le flux de son récit. Et puis rapidement, ils se sont mis à transporter des résistants et des Juifs de l’autre côté de la frontière. « Ça s’est fait tout seul, dit-il avec son franc-parler. Lorsque nous transportions de la poudre et des messages, on croisait des résistants. Parfois, il nous arrivait de ramener des personnes. Mais nous ne parlions pas, nous ne savions pas qui c’était. »

« Transporter des Juifs, c’était autre chose »

Des résistants, c’était assez simple à faire traverser de l’autre côté de la frontière. « Les Juifs c’était autre chose, se souvient-il. On a passé des familles de 10 ou 15 personnes. On transportait les enfants sur nos épaules. Les gens avaient la frousse. Nous aussi.«  Personne ne parlait pendant les trajets. Les résistants craignaient une chose, qu’un membre de la Gestapo s’infiltre pour faire sauter les réseaux. Du coup, aucun Juif n’était accueilli chez eux. Tous étaient dispersés dans des fermes les longs des routes car leurs maisons jouxtaient les postes frontières allemands.

Bernard Bouveret a passé des résistants et des familles juives de l’autre côté de la frontière, en Suisse.

La neige pour les résistants passeurs était ce qu’il y a de plus compliqué. Les marques dans la poudreuse empêchaient tout aller et venue au risque de se faire repérer et fusiller. Alors ils ont trouvé une technique pour berner les Allemands. « On faisait des fausses traces toute la journée, raconte-t-il fier. On partait de la route pour aller dans le bois en ski, puis on revenait. Les Allemands suivaient ces traces puis ils s’apercevaient qu’elles ne menaient à rien, alors ils arrêtaient de chercher. »

Bernard Bouveret, 92 ans, résistant franc-comtois. - Radio France
Bernard Bouveret, 92 ans, résistant franc-comtois. © Radio France – Florian Cazzola

La prison et Dachau

Le 7 avril 1944, « c’était le vendredi saint » se souvient le résistant, son père se fait arrêter à Dijon. Dans la foulée, il est emmené au poste par les douaniers sur ordre de la Gestapo. « On avait reçu cinq étudiants l’hiver d’avant, un d’eux était résistant, mais nous le savions pas. » Les deux hommes sont interrogés par les SS. « On a eu la chance de pouvoir se parler grâce aux autres prisonniers. On a pu faire concorder nos versions. » Dans le cas contraire, les soldats utilisaient la torture.

Le père et le fils sont restés deux mois en cellule à Dijon. Le lendemain du débarquement en 1944, ils sont évacués d’urgence sous les bombes direction l’Allemagne. Pendant une année, Bernard Bouveret reste coincé au camp de concentration de Dachau. « On avait de la chance, lâche t-il 70 ans après. Nous étions affectés dans une usine. Nous étions au chaud à travailler une semaine de jour, une semaine de nuit. D’autres étaient dehors, sous les bombes à reconstruire quelque soit le temps les usines détruites par les alliés. »

En 1945, les Américains libèrent Dachau. Bernard Bouveret est libre. Mais il mettra des années à parler. A raconter son histoire, celle de dizaines de Franc-Comtois résistants qui ont sauvé des vies au périls de leur vie. « Aujourd’hui encore, je continue de faire des cauchemars » soupire-t-il avant d’arrêter de parler quelques secondes.

Source www.francebleu.fr

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