7 Octobre 2023 : une Shoah en keffieh ?

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Cet article est issu d’un entretien entre Michel Gad Wolkowicz (notre photo), psychanalyste, et Emmanuelle Adda, journaliste, sur la légitimité à employer le mot « Shoah » pour désigner le massacre du 7 octobre 2023.

La journée du 7 octobre 2023 a laissé une empreinte indélébile dans l’histoire contemporaine du peuple juif. Le massacre orchestré par le Hamas a provoqué un traumatisme collectif d’une ampleur exceptionnelle. Alors que certains parlent de pogrom, d’autres vont jusqu’à utiliser le mot « Shoah » pour décrire cet événement. Cette question a été au cœur de cet échange riche et intense.


Le poids des mots : Peut-on parler de « Shoah » ?

Peut-on utiliser le mot « Shoah » pour décrire le 7 octobre ? N’est-il pas spécifique à un événement unique dans l’Histoire juive ?  Pour Michel Gad Wolkowicz, la réponse est nuancée. La Shoah est indéniablement un événement historique singulier, mais selon lui « ce que nous avons vécu le 7 octobre appartient à la même nature de déshumanisation systématique ». Il rappelle que le traumatisme subi ce jour-là évoque un processus cumulatif qui plonge ses racines dans des siècles de persécutions.

« Nommer, c’est conceptualiser » et « Le mot ‘Shoah’, bien qu’utile, n’est pas exempt de limites. »

Michel Gad Wolkowicz réfléchit également à la manière dont le langage peut façonner la compréhension des événements : « Nommer, c’est conceptualiser, inscrire cet événement dans une histoire collective et individuelle. » Ainsi, si la Shoah reste une référence unique, il reconnaît la pertinence d’employer ce terme pour évoquer l’ampleur du traumatisme du 7 octobre.

Cependant, il souligne les limites du mot « Shoah » lui-même : « Avant le film de Lanzmann, on utilisait également ‘Holocauste’, un terme qui impliquait l’idée d’un sacrifice divin. Cela était insupportable. Mais ‘Shoah’, qui signifie catastrophe, n’est pas non plus parfaitement adapté, car ce n’est pas une catastrophe naturelle. »


Une tentative de rupture anthropologique profonde

Michel Gad Wolkowicz explique que les actes du 7 octobre étaient bien plus qu’un massacre : « Il s’agissait de la destruction systématique de la filiation, de l’histoire, et de l’être même. Ce qui a été visé, c’est une rupture anthropologique profonde. » Les massacres ont ciblé non seulement les corps, mais aussi tout ce qui relie un individu à son passé, à sa communauté et à son identité.

Il qualifie cet événement de « génocide » : « C’était un massacre de masse préparé, programmé, et indifférencié, visant à tuer le plus de Juifs possible dans une logique d’anéantissement total. »


La jouissance incestueuse de l’exhibition

L’entretien atteint un point fort lorsque Michel Gad Wolkowicz décrit la nature perverse de la jouissance exhibée par les auteurs des massacres :

« Le Hamas a trouvé sa jouissance dans l’exhibition incestueuse de la mort, appelant même leur mère pour partager cet acte de destruction. »

« Contrairement aux nazis, qui trouvaient leur jouissance dans le non-affect et l’automatisme de leurs actes, le Hamas jouit de l’exhibition. Cette jouissance est une exhibition incestueuse de la mort : ils ont filmé leurs crimes avec des caméras GoPro, appelé leur mère pour montrer combien ils avaient du sang sur les mains, et reçu en retour des louanges où la mère regrettait de ne pas pouvoir mêler son propre sang à celui de son fils. »

Cette description met en lumière une dimension psychologique terrifiante de l’événement, qui transcende la simple barbarie pour devenir un acte de destruction narcissique.


La Shoah n’est pas terminée

Pour Michel Gad Wolkowicz, le 7 octobre s’inscrit dans une continuité historique de la Shoah : « La Shoah n’est pas terminée. Elle continue à travers les génocides, les persécutions, et le silence complice du monde. » Il rappelle que cette continuité se manifeste à travers les traumatismes intergénérationnels et la répétition des mêmes schémas de déshumanisation.

Il met en garde contre le négationnisme, qui, selon lui, précède souvent l’acte génocidaire : « Le négationnisme affirme que les Juifs n’ont jamais existé en tant qu’histoire, filiation ou civilisation. C’est une annihilation avant même l’extermination. »

« Après la Shoah, nos parents croyaient au ‘plus jamais ça’. Aujourd’hui, il est clair que le monde n’a pas appris. »

Cet échange souligne la nécessité de trouver des mots justes pour décrire l’indicible, sans galvauder ni banaliser l’histoire. Michel Gad Wolkowicz insiste sur l’importance de comprendre que le 7 octobre est à la fois un événement unique et une continuité tragique : « Nommer, c’est déjà résister. »

 

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