Jean-Luc Mélenchon et « l’extermination des Palestiniens »

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Jean-Luc Mélenchon et « l’extermination des Palestiniens » : entre rhétorique enflammée et controverses historiques

par Marc Knobel

Jean-Luc Mélenchon, lors d’un meeting à Redon, a qualifié la situation à Gaza de « guerre d’extermination », suscitant des débats sur l’emploi du terme « génocide », le manque de contexte historique et les analogies avec d’autres tragédies.

Un extrait vidéo de 1 minute 40 secondes, publié sur le compte X de Jean-Luc Mélenchon[1], montre un moment de son meeting à Redon, le 9 décembre 2024. Le leader des insoumis, orateur chevronné, déploie son talent oratoire. Sa voix résonne avec force, ses gestes amples ponctuent son discours. Ses mots, soigneusement choisis, électrisent l’auditoire. Il déclare que le peuple palestinien subit une « guerre d’extermination », mettant en avant la souffrance des enfants. Dans cette tribune, une analyse critique de ses propos suivra, examinant leur contexte, leur impact et leurs implications.

Transcription des propos de Jean-Luc Mélenchon

« – Jean-Luc Mélenchon : À vous tous, et à chacun d’entre vous, je veux dire merci d’avoir soutenu le moral de la copine et du copain insulté, traité d’antisémite, parce qu’il n’approuve pas ce génocide. Et encore ce soir, nous dénonçons ce génocide et encore ce soir je dédie notre rassemblement aux martyrs de ce pauvre peuple qui aujourd’hui subit une guerre d’extermination dans laquelle les premières victimes sont les enfants, puisque cette guerre est le record du monde d’enfants handicapés.

– [Cris dans la salle :] Nous sommes Palestiniens, tous, tous Palestiniens.

– Jean-Luc Mélenchon : Exactement. Exactement et voyez-vous tous, vous aurez en vous mobilisant sur ce sujet, vous aurez tiré jusqu’au bout la leçon de ce que vous avez appris à l’école quand d’autres génocides sont organisés. Vous avez appris à détester cette manière de faire la guerre. Vous avez appris, parce qu’autrefois on l’apprenait dans le syndicat et le parti, qu’à partir de Guernica, les fascistes ont toujours pensé que la première cible c’est le peuple. C’est lui qu’il faut bombarder, assassiner, martyriser pour qu’il craque, car il n’est de force que celle du peuple que l’on peut rassembler. Quel héroïsme extraordinaire du peuple palestinien mais aussi de nos frères et sœurs libanais. »

L’utilisation problématique du terme « génocide »

D’abord, parce qu’il s’agit d’un choix délibéré de Jean-Luc Mélenchon qui reflète sa position personnelle sur le conflit israélo-palestinien. Or, cette caractérisation est pourtant fortement contestée par de nombreux acteurs politiques et observateurs[2], qui remarquent son inexactitude juridique et son instrumentalisation politique. D’autres voient une forme d’antisémitisme dans l’accusation de l’État juif du crime le plus grave reconnu par le droit international.

Or, le génocide est défini par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 comme des actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Le conflit à Gaza, malgré sa gravité indéniable, ne répond pas à ces critères spécifiques. Par ailleurs, rappelons qu’Israël affirme cibler le Hamas, une organisation terroriste et non la population palestinienne dans son ensemble. Ensuite, l’emploi de ce terme par Mélenchon non seulement dénature la situation, mais aussi semble banaliser les génocides historiques que sont le génocide arménien, la Shoah ou le génocide rwandais. Enfin, en comparant la situation à Gaza à des génocides historiques, cette comparaison peut être perçue comme irrespectueuse envers les victimes de ces tragédies historiques. Comparaison n’est donc pas raison.

Les omissions et la décontextualisation

Dans son allocution, Jean-Luc Mélenchon ne mentionne pas le contexte plus large du conflit entre Israël et le Hamas, notamment les attaques du Hamas du 7 octobre 2023, qui ont déclenché la réponse militaire israélienne. Par ailleurs, Jean-Luc Mélenchon refuse toujours de qualifier le Hamas, de mouvement terroriste, ce qui contraste avec sa position si tranchée sur la situation à Gaza.

Analogies historiques trompeuses et mensongères

La référence à Guernica est particulièrement mal choisie. Le bombardement de Guernica en 1937 était une attaque aérienne délibérée sur une ville sans défense, menée par les forces nationalistes espagnoles et la Légion Condor nazie. C’était un acte de terreur visant spécifiquement les civils.

Or, bien que la situation à Gaza soit indéniablement tragique, elle implique un affrontement entre une armée régulière et une organisation considérée comme terroriste par plusieurs pays. Le Hamas opère dans des zones densément peuplées pour couvrir ces attaques et tenter de protéger ces hommes. C’est ainsi qu’il utilise les infrastructures civiles de Gaza (écoles, hôpitaux…) pour lancer des opérations militaires et effectuer des tirs de roquettes depuis Gaza vers Israël.

De fait, bien que les deux situations (Guernica – Gaza) impliquent des souffrances civiles considérables, leurs contextes historiques, politiques et militaires diffèrent significativement, rendant toute comparaison directe problématique, réductrice et mensongère.

Utilisation problématique des statistiques

L’affirmation concernant le « record du monde d’enfants handicapés » manque de contexte et de source. Sans données précises et vérifiables, une telle affirmation lancée lors d’un meeting politique relève plus de la rhétorique que de l’analyse factuelle.

Rhétorique inflammatoire et émotionnelle

Le discours de Jean-Luc Mélenchon se caractérise par l’emploi d’un langage fortement émotionnel :

– L’utilisation de termes forts comme « génocide » et « guerre d’extermination » pour décrire la situation à Gaza.

– L’évocation du « martyr de ce pauvre peuple » palestinien, qui crée un sentiment de compassion et d’indignation dans l’auditoire.

– La mention des enfants comme « premières victimes », ce qui provoque une réaction émotionnelle intense.

– L’expression « héroïsme extraordinaire du peuple palestinien », qui suscite l’admiration et la solidarité.

– La référence à Guernica et aux « fascistes », qui établit un parallèle historique fort et mobilisateur.

– Son discours renforce la cohésion au sein de La France Insoumise en exprimant sa gratitude envers ceux qui ont soutenu leurs camarades face aux critiques. Il établit une distinction nette entre les partisans de LFI, présentés comme vertueux, et leurs opposants, qualifiés de manière controversée. Plus généralement, Mélenchon emploie des termes clivants pour décrire ses adversaires politiques, utilisant un langage qui peut être perçu comme excessif et potentiellement diffamatoire.

Ces éléments de langage provoquent une réaction immédiate et passionnée chez l’auditoire, comme en témoignent les cris « Nous sommes Palestiniens, tous, tous Palestiniens » dans la salle.

Et, c’est indéniablement le but recherché par Mélenchon.

Simplification excessive d’un conflit complexe

En présentant le conflit de manière binaire, Mélenchon ignore la complexité historique de la situation israélo-palestinienne. Cette simplification excessive ne tient pas compte des multiples facteurs en jeu, des responsabilités partagées, et des efforts de paix passés et présents.

Amalgame dangereux avec l’antisémitisme

Le langage émotionnel et les termes forts employés par Mélenchon pourraient être interprétés de diverses manières. Certains pourraient y voir un risque de véhiculer des stéréotypes ou des amalgames concernant la communauté juive et Israël.

En conclusion

Bien que la situation à Gaza soit indéniablement tragique, ce type de discours, en diffusant des informations biaisées ou sélectives, en simplifiant des situations complexes, en faisant appel aux émotions plutôt qu’à la raison, exacerbe les tensions, plutôt que de contribuer à une réflexion constructive. De fait, l’utilisation de termes forts et d’analogies historiques plus que contestables soulève des questions sur la manière dont le conflit est présenté et interprété par Jean-Luc Mélenchon. Serait-ce de la propagande ?


[1] https://x.com/JLMelenchon/status/1866206633560359313

[2] Voir à ce sujet l’article de Yann Jurovics et Iannis Roder, https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/11/14/conflit-israelo-palestinien-parler-de-genocide-quand-il-s-agit-de-guerre-c-est-s-interdire-de-comprendre-les-evenements_6393175_3232.html

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