L’ONU a qualifié l’incursion israélienne dans la zone tampon de « violation » de l’accord de désengagement de 1974 entre Israël et la Syrie.
La Syrie est libérée du joug de Bachar al-Assad, mais pas retrouvée. Les puissances régionales ont profité de la vacance du pouvoir pour avancer leurs pions sur le territoire syrien : la Turquie au nord en prévision de son affrontement avec les milices armées kurdes et Israël à l’ouest pour « sécuriser » sa frontière au niveau du plateau du Golan annexé depuis 1967. L’armée israélienne a confirmé ce mardi que ses forces « sont stationnées dans la zone tampon » avec la Syrie à la lisière de la partie du plateau du Golan occupée et annexée par Israël, « et aux points de défense près de la frontière » pour « protéger » le pays. Israël a aussi ordonné à son armée de créer une zone sans armes dans le sud de la Syrie, ce mardi.
L’ONU a qualifié cette incursion dans la zone tampon de « violation » de l’accord de désengagement de 1974 entre Israël et la Syrie. L’Iran a aussi dénoncé une « violation flagrante » du droit, après des condamnations similaires d’Amman et Ryad. Mais pour Israël qui a par ailleurs bombardé des centaines de cibles militaires dans le pays dans la nuit pour réduire le potentiel de l’arsenal militaire à disposition des futurs dirigeants du pays, ce mouvement stratégique était inéluctable. L’armée israélienne a toutefois démenti mardi des informations faisant état d’une avancée de chars israéliens vers la capitale syrienne Damas, ajoutant que ses forces étaient seulement stationnées dans une zone tampon à la lisière du Golan.
« Pour Israël, le moindre mètre carré est important. Ce plateau est particulièrement stratégique pour l’État hébreu : grâce à ces collines, il a un œil sur ce qu’il se passe dans le pays voisin. L’invasion de la zone tampon est une forme de menace : Si jamais vous bougez un doigt en notre direction, on répliquera », analyse Adel Bakawan, sociologue, directeur du Centre français de recherche sur l’Irak (Cfri).
Le Golan, symbole d’une « humiliation » arabe
La décision israélienne, qualifiée de « limitée et temporaire prise pour des raisons de sécurité » par le ministre des Affaires étrangères israélien, n’a ravi personne de l’autre côté de la frontière mais ce n’est peut-être pas encore une priorité pour Hayat Tahrir al-Cham, et son dirigeant Abu Mohammad al-Jolani, lancé dans la reprise en main de la souveraineté sur un état morcelé. « Pour n’importe quel Syrien, le Golan fait partie de leur souveraineté territoriale, et constitue un territoire occupé », rappelle toutefois Adel Bakawan, soulignant ainsi que ce conflit reviendra à un moment sur le devant de la scène.
Le plateau du Golan, situé au sud du mont Hermon, au nord-est du lac de Tibériade et au nord du Yarmouk, à la frontière entre Israël, la Jordanie, la Syrie et le Liban est une région particulière pour les Israéliens, symbole de leur victoire sans appel sur la coalition arabe lors de la guerre des Six jours. Pour le monde arabe, c’est le symbole d’une « humiliation ».
« Le Golan, c’est l’Alsace-Lorraine de la Syrie et d’Israël. Pour les Israéliens lâcher le Golan, c’est impensable. Les Israéliens ne veulent pas le rendre alors qu’ils ont par exemple rendu le Sinaï à l’Égypte dans le cadre d’un accord de paix », nous expliquait déjà Fabrice Balanche, maître de conférences à l’Université Lyon II, en 2019.
« Israël profite du chaos pour élargir son territoire »
Mais la principale raison de l’importance du plateau est stratégique et militaire. Le plateau du Golan surplombe la Galilée et le lac de Tibériade du côté contrôlé par Israël, et commande la route vers Damas du côté syrien. « C’est un magnifique balcon sur Israël et la Syrie. Sa principale fonction est la protection. Il revêt une importance majeure pour Tsahal, l’armée israélienne, qui punit ici toute agression sur le territoire volontaire ou accidentelle », confirmait Fabrice Balanche.
Ce qui est toujours le cas aujourd’hui dans le contexte d’une Syrie devenue le terrain de jeu des gardiens de la Révolution iraniens ces dernières années. « Depuis le conflit syrien en 2011, les milices du Hezbollah et l’Iran étaient bien implantées côté syrien du plateau. Ainsi, l’importance stratégique du Golan ne fait qu’augmenter », expliquait Fabrice Balanche. « Personne n’est en mesure de dire stop à Israël, qui profite du chaos pour élargir son territoire », constate aussi Adel Bakawan.
L’intérêt d’Israël et de la Syrie est d’autant plus grand que le plateau comprend d’importantes sources d’eau, en particulier celles de la rivière Baniyas, qui alimente le Jourdain. Le Hasbani, qui prend sa source au Liban, traverse lui aussi le Golan avant de se déverser dans le Jourdain, de même que la rivière Dan.
Du côté de la Turquie, qui a officieusement soutenu l’offensive rebelle ayant fait chuter Bachar al-Assad, on ne voit pas ce mouvement stratégique de son ancien allié d’un bon œil. « Nous condamnons fermement l’entrée d’Israël dans la zone tampon entre Israël et la Syrie ainsi que son avancée sur le territoire syrien », a affirmé le ministère turc des Affaires étrangères dans un communiqué. « Nous ne pouvons permettre que la Syrie soit à nouveau divisée », a prévenu le président turc Recep Tayyip Erdogan. Un nouveau bras de fer en perspective.