Saeid Ghasseminejad et Yonatan Sayé – Ynet
Les relations entre l’Iran et Israël sont parmi les plus paradoxales de l’histoire : autrefois alliées naturelles, unies par un riche passé commun et un respect mutuel, elles se trouvent aujourd’hui aux deux extrémités d’un fossé idéologique profond. L’hostilité de la République islamique envers Israël n’est pas seulement un éloignement des normes historiques iraniennes, mais aussi un échec stratégique qui nuit aux intérêts nationaux de l’Iran. En conséquence, de nombreux Iraniens considèrent Israël comme un allié potentiel dans leur lutte pour renverser le régime religieux et transformer leur nation.
Lors des manifestations anti-israéliennes en Occident après les attaques terroristes du Hamas le 7 octobre 2023, les seuls exilés du Moyen-Orient à exprimer leur solidarité avec les Israéliens face à la montée de l’antisémitisme étaient les Iraniens. Des militants iraniens ont défilé aux côtés des communautés juives dans les grandes villes des États-Unis et d’Europe pour montrer leur soutien à Israël dans sa lutte contre les groupes terroristes soutenus par Téhéran.
De nombreux Iraniens, surtout les jeunes, expriment une frustration croissante à l’égard de l’idéologie et de la politique étrangère de la République islamique. Les difficultés économiques, la répression politique, l’isolement international et l’agressivité régionale de Téhéran ont alimenté l’opposition, donnant naissance à des slogans tels que « Ni Gaza, ni le Liban, ma vie pour l’Iran » et même « Mort à la Palestine ». Ces déclarations ne reflètent pas du racisme, mais une demande de réorientation des priorités nationales.
La troisième génération depuis la révolution islamique de 1979, y compris la génération Z et les milléniaux, adopte de plus en plus des positions pro-israéliennes. Depuis octobre 2023, ce changement est devenu plus évident : des étudiants ont protesté contre les administrateurs scolaires qui tentaient de leur imposer de chanter « Mort à Israël », en répondant par « Mort à la Palestine ». De même, des étudiants de l’Université de Téhéran ont pris une position symbolique en refusant de marcher sur un drapeau israélien peint au sol.
Des sondages réalisés par des instituts iraniens et internationaux confirment que la majorité des Iraniens rejette les positions antisémites de la République islamique et sa politique étrangère anti-occidentale. Bien que les contrôles stricts du régime et la peur de représailles puissent affecter la fiabilité des sondages, les résultats sont cohérents. Par exemple, un sondage commandé en 2022 par le ministère des Affaires étrangères israélien, mené par Ipsos, basé à Paris, a révélé que la majorité des Iraniens soutenait une amélioration des relations avec Israël et condamnait le soutien du régime aux groupes terroristes. De même, une étude menée en 2021 par le groupe de recherche Iran Poll a montré que la plupart des Iraniens rejetaient la rhétorique de « Mort à Israël ».
Une histoire complexe entre Iraniens et Juifs
L’histoire des relations entre Iraniens et Juifs révèle un contraste marqué entre les périodes pré-islamiques et post-islamiques. En 539 avant l’ère actuelle, Cyrus le Grand de l’Empire achéménide perse a libéré les Juifs exilés à Babylone. Sa politique de tolérance religieuse et d’inclusion culturelle a permis aux différentes communautés, y compris les Juifs, de prospérer sous domination perse.
Cependant, cette époque dorée a laissé place à des périodes de persécution après l’islamisation, notamment sous la dynastie Qajar, où les institutions religieuses chiites encourageaient des pogroms et des conversions forcées.
Sous la dynastie Pahlavi, une tentative a été faite pour rétablir les principes de la riche histoire iranienne pré-islamique à travers des réformes séculières et modernisatrices. L’Iran est devenu le deuxième pays à majorité musulmane à reconnaître Israël, établissant des relations diplomatiques en 1950. Les deux pays ont développé de solides liens commerciaux, de renseignement et de coopération militaire. Les ingénieurs israéliens ont contribué au développement des infrastructures iraniennes, tandis que l’Iran fournissait à Israël des ressources énergétiques.
Un changement radical en 1979
La révolution de 1979 a transformé radicalement les relations entre l’Iran et Israël. Sous l’ayatollah Ruhollah Khomeini, premier guide suprême de la République islamique, Israël a été qualifié d’ennemi de l’islam. Le régime a coupé tous les liens avec Israël, transformé son ambassade en bureau de représentation palestinien et persécuté les figures juives telles que les hommes d’affaires et philanthropes. L’exécution en 1979 de Habib Elghanian, sous de fausses accusations d’espionnage pour Israël, a envoyé un message glaçant à la communauté juive iranienne.
Alors que les Iraniens souffrent sous la répression de la République islamique, beaucoup se souviennent du rôle significatif des Palestiniens dans le soutien à la révolution de 1979. À l’époque, plusieurs groupes islamistes et marxistes iraniens, dont les khomeinistes et les Moudjahidines du peuple, avaient reçu des formations militaires de l’OLP. Quelques jours après la révolution, Yasser Arafat, leader de l’OLP, est venu à Téhéran pour célébrer la victoire aux côtés de Khomeini.
Une réconciliation en devenir ?
C’est dans ce contexte que le prince héritier en exil, Reza Shah Pahlavi, a brisé un tabou en se rendant en Israël en 2023. Lors de cette visite, il a rencontré le Premier ministre israélien et le président, portant un message de paix et d’amitié au nom de nombreux Iraniens.
De plus en plus d’Iraniens reconnaissent que l’Iran et Israël partagent des intérêts communs. Toutes deux sont des nations non arabes dans une région majoritairement arabe, confrontées à l’extrémisme islamique, et toutes deux bénéficieraient d’une stabilité régionale accrue. Avec en mémoire leur histoire commune et le respect mutuel qui les a unies autrefois, de nombreux Iraniens comprennent que leur avenir réside non pas dans l’isolement, mais dans l’établissement de relations avec des alliés naturels.
Saeid Ghasseminejad est un économiste et conseiller financier iranien auprès de la Fondation pour la défense des démocraties. Yonatan Sayé est un analyste de recherche d’origine juive. Tous deux sont nés et ont grandi en Iran.