Une analyse de Renée Fregosi, auteur de « Cinquante nuances de dictature. Tentations et emprises autoritaires en France et ailleurs »
Renée Fregosi
Un peu partout dans le monde occidental, et singulièrement chez nous au sein du parti La France Insoumise, la gauche refuse de voir ce totalitarisme d’un type inédit qu’est l’islamisme.
Les propos de la propagandiste d’origine syrienne Rima Hassan, et les désordres que suscitent ses prises de parole publiques, avaient finalement conduit l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Pô) à interdire sa conférence prévue le vendredi 22 novembre dernier dans les locaux de la Rue St-Guillaume. Mais voilà que le tribunal administratif de Paris a enjoint à l’IEP de reprogrammer cette conférence à une date ultérieure, à charge pour les organisateurs de « Students for Justice in Palestine », de présenter les garanties nécessaires au « bon déroulement » de la rencontre (!).
From the River to the Sea, le vrai slogan “génocidaire”
Cette décision du juge des référés est d’autant plus aberrante que la militante propalestinienne a été visée par une enquête pour apologie du terrorisme pour avoir qualifié « d’action légitime » les massacres du Hamas du 7 octobre 2023. Rima Hassan incite en effet sans relâche, des universités françaises au Parlement européen, à rayer Israël de la carte. Et en soutenant des manifestants peignant de rouge leurs mains, elle accuse les Israéliens d’avoir les mains rouges du sang des Gazaouis, retournant contre les Juifs l’image glorifiée des assassins palestiniens qui avaient battu à mort des soldats israéliens à Ramallah en 2000.
Mais tout cela ne l’empêche pas, bien au contraire, de demeurer la nouvelle égérie de cette curieuse idéologie qui s’est développée dans la gauche en général, et tout particulièrement à LFI ou au sein d’une partie bruyante de la jeunesse universitaire, et de continuer à instrumentaliser ladite « cause palestinienne » contre Israël et les Juifs. Car la revendication d’un État palestinien n’est que la couverture de la négation de la légitimité d’Israël à exister, puisque cette Palestine revendiquée est censée s’étendre du Jourdain à la Méditerranée, « From the River to the Sea ». Le propalestinisme n’est que le masque de l’offensive islamiste qui dénie aux Juifs le droit d’avoir un État national, mais qui leur interdit tout autant de vivre en sécurité en France et d’y exercer tous leurs droits de citoyens. Dans cette vision, les Juifs devraient retrouver leur statut de dhimmis (sujets inférieurs en droit, humiliés, rançonnés et maltraités du temps des califats et de l’empire ottoman) faute de quoi ils sont systématiquement assassinés.
La petite faiblesse des islamistes, et nos grandes faiblesses occidentales
Mais les chrétiens, les « mécréants », les laïques, les démocrates, tous les Occidentaux en un mot, sont aussi les cibles des islamistes, même si les Juifs sont toujours leurs victimes de prédilection, d’autant qu’aujourd’hui ils sont considérés comme la pointe avancée de l’Occident au Moyen-Orient, comme des « privilégiés » parmi les privilégiés, comme des « super-blancs ». De Paris au Néguev, de novembre 2015 au 7 octobre 2023, l’islam est ainsi reparti à la conquête de l’Occident, s’attaquant à nos modes de vie et à nos vies tout court, à la fois sournoisement et violemment. Il ne s’agit pas d’un complot mais d’une stratégie politique expansionniste, trop souvent méconnue ou mésestimée par les Occidentaux, menée principalement par un mouvement salafo-frériste polymorphe, à travers une alliance sunnite-chiite largement manœuvrée par l’Iran des mollahs.
La gauche et plus largement la nébuleuse desdits « progressistes » (partis, intellectuels, agents de la fonction publique, ONG) en France, mais aussi aux États-Unis et jusqu’en Israël, est particulière touchée par le déni de cette réalité ou de la dangerosité de celle-ci, laissant de plus en plus le champ libre aux islamistes. Cela, par conviction idéologique considérant le musulman (nouveau « damné de la terre ») comme la victime de « l’extrême droite » (ennemi principal à combattre), et/ou par lâcheté étant persuadée de l’inéluctabilité de la domination du « Sud global » sur l’Occident décadent. On prône alors comme le claironne Jean-Luc Mélenchon, les insoumis et leurs soumis verts et socialistes, les bienfaits d’une immigration musulmane de masse et d’une créolisation des populations et de la culture française.
Dans les administrations françaises, on continue à faire preuve de laxisme et de complaisance coupable à l’égard de la propagande diffusée par des islamistes, et des atteintes aux libertés fondamentales qu’ils perpètrent. De l’Éducation nationale où le « pas de vague » demeure le mot d’ordre implicite malgré les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard et les agressions répétées d’enseignants, aux tribunaux dont les verdicts sont plus cléments à l’égard de menaces de mort (comme l’auteur de l’appel à « brûler vif » le proviseur du lycée Ravel, condamné à une amende de 600 euros et un ridicule stage de citoyenneté) que face aux gestes déplacés d’un Nicolas Bedos (condamné à six mois sous bracelet électronique et une obligation de soins psychiatriques).
A rebours des luttes libertaires de jadis, les néo-féministes proclament le voilement des femmes comme instrument de leur libération, tandis que des militants LGBTQ++ clament leur soutien à une « Palestine libre » ignorant ou feignant d’ignorer le sort tragique promis aux leurs dans les territoires tenus par le Hamas mais aussi par l’Autorité palestinienne du Fatah, sous la botte islamiste en général (de Daech aux Talibans, du Levant à l’Asie musulmane) et jusqu’en France où en Allemagne : le 18 novembre dernier, la chef de la police de Berlin n’a-t-elle pas conseillé aux Juifs et aux homosexuels d’être prudents dans « certains quartiers » ?
Mais ce qui est encore plus troublant, c’est que l’on retrouve des attitudes similaires de « dhimmitude volontaire » au sein de la gauche israélienne, essentiellement intellectuelle au demeurant, tant les partis (Travailliste et Meretz malgré leur récente fusion) sont réduits à presque rien dans la représentation nationale israélienne, en grande partie à cause précisément, de leur abandon d’un sionisme de combat.
La gauche oublie l’aspect essentiellement religieux du conflit au Proche-Orient
Comme la gauche française obnubilée par « l’extrême droite » et la montée en puissance du RN, la gauche israélienne n’a de cesse d’attaquer Benjamin Netanyahou et sa stratégie militaire contre le Hamas et le Hezbollah, au motif qu’il est allié à des partis d’extrême droite. Ainsi, le professeur de science politique israélien Denis Charbit dans son récent ouvrage Israël, l’impossible État normal, continue à condamner la « colonisation des territoires occupés en Cisjordanie » (plutôt que de parler des « implantations en Judée-Samarie », territoires « disputés » depuis l’éviction de la Jordanie qui s’en était emparé illégalement en 1949), et persiste dans la croyance que la création d’un État palestinien mettra fin au « conflit du Moyen-Orient » (alors que le cœur du conflit n’est pas territorial mais religieux, et que les leaders palestiniens refusent la coexistence pacifique d’un État palestinien à côté d’Israël).
Or, en s’alliant à l’islamisme, non seulement la gauche apporte ses forces militantes et ses votes à l’entreprise politico-terroriste salafo-frériste, mais elle trahit le fondement même de la pensée progressiste, à savoir la philosophie des Lumières européennes (le mot se décline dans toutes les langues européennes) et l’esprit laïque né en France avec la philosophie du libertinage (du latin libertinus, affranchi, esclave libéré) qui s’est diffusé jusqu’en Amérique latine. Luttant contre l’emprise des croyances religieuses et superstitieuses comme des croyances sécularisées des eschatologies totalitaires et des thèses complotistes de tous poils, le libre penseur s’oppose en effet aux dogmes et aux vérités révélées. La pensée libre s’autorise les interprétations à l’infini, puisant en cela dans la tradition talmudique comme dans l’herméneutique grecque et la disputatio théologique chrétienne, mais en contradiction foncière avec l’intégrisme musulman.
Et c’est bien la démocratie elle-même, tant politique que sociale, que la gauche menace dans son alliance avec l’islamisme. Car la démocratie consiste dans l’agencement d’institutions organisant l’expression du libre choix du plus grand nombre et l’extension au plus grand nombre possible non seulement de la décision politique mais aussi des biens matériels et culturels. L’unité de base de la démocratie est l’individu libre (quel que soit son sexe) : pour qu’il soit toujours plus libre d’exprimer ses choix, il lui faudra partager une égalité de plus en plus grande avec ses semblables, partageant toujours plus équitablement moyens prosaïques et instruments de la pensée et de la parole pour que perdure le débat démocratique et la libre expression.
Face à ces principes fondateurs de la culture occidentale, ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est la poussée qui semble irrésistible de l’offensive islamiste. Quand la gauche en prendra-t-elle enfin la vraie mesure ? Quand considérera-t-on enfin que l’ennemi principal, celui qui met en péril tout autant la paix au Proche-Orient que nos acquis démocratiques, égalitaires et libertaires au cœur-même de toutes nos sociétés occidentales c’est aujourd’hui ce totalitarisme du troisième type qu’est l’islamisme ?