COVID-19 et mortalité spécifique : « 91% de décès évitables si on ne fréquente que des personnes de son groupe d’âge », Université de Haïfa
En France, afin de protéger les senions, le Pr Rémi Salomon, président de la commission médicale d’établissement de l’AP-HP, a suggéré récemment que «papy et mamie devraient manger dans la cuisine durant les fêtes et qu’il faudrait partager la buche en deux pour respecter une importante distanciation sociale avec les seniors ». Ce qui a provoqué une levée de boucliers toutes générations confondues (Le Figaro).
L’étude que vient de publier l’Université de Haïfa amène pourtant de l’eau au moulin de Rémi Salomon. Selon les chercheurs israéliens, chez les personnes âgées de 55 ans et plus, le taux de mortalité spécifique (proportion de décès dans une population donnée durant un temps déterminé) peut être réduit jusqu’à 91% si les personnes de cette tranche d’âge ne rencontrent que des membres de la famille vivant chez eux et d’autres personnes de leur âge.
Cette étude menée au département de Neurobiologie Sagol à l’Université de Haïfa a révélé que le taux de mortalité spécifique due à la Covid-19 pourrait être réduit si les individus ne rencontrent que d’autres personnes de leur propre groupe d’âge.
Objectif : éviter à Israël un troisième confinement
Le Dr Shani Stern, auteur principal de l’étude, explique : «à l’aide du modèle mathématique que nous avons construit, nous avons constaté que le taux de mortalité spécifique due au Covid-19 peut être réduit en sélectionnant les rencontres personnelles selon l’âge. Différents groupes d’âge, en particulier les personnes âgées, devraient pouvoir rencontrer d’autres personnes de leur propre groupe d’âge grâce à l’ouverture de magasins, cinémas et restaurants à des heures qui leur seraient réservées.»
Le Dr Shani Stern a précisé à Israël Science Info : « Dans les 4 premiers scénarios, il y a une réduction à la fois de la mortalité et de la morbidité, mais celle de la mortalité est plus significative. Dans le cinquième scénario, il y a une forte réduction des deux. Le modèle commence par une infection aléatoire de 10 personnes sur 50 000, puis elles infectent une grande partie de la population. La plupart de la population étant au départ en bonne santé. Dans le cas 1, la plupart de la population est infectée (mais pas la totalité, environ 80 à 85%). Les 4 autres cas réduisent la morbidité et surtout la mortalité. Les cas 2 à 4 réduisent principalement la mortalité. Le cas 3 réduit de 63% le taux de mortalité en protégeant principalement la population âgée ayant les taux de mortalité les plus élevés. Dans le cas 5, où tout le monde reste dans son groupe d’âge avec moins de liens entre les personnes, il y a aussi une réduction drastique de la morbidité ».
Comparatif Italie – Israël
En collaboration avec l’étudiant chercheur Liron Mizrahi et le Dr Huda Adwan Shekhidem du département de neurobiologie Sagol de l’Université de Haïfa, le Dr Stern a développé un modèle de calcul basé sur des études publiées dans des revues scientifiques concernant le taux de propagation du virus, la période de morbidité (période pendant laquelle on est atteint par le virus et on développe la maladie), le niveau de mortalité spécifique et la répartition par âge de la population en Italie et en Israël. Le modèle examine la propagation du virus parmi un groupe virtuel de 50000 personnes, réparties en quatre groupes d’âge : 0-14, 15-34, 35-54 et 55 ans et plus. Chaque groupe d’âge se réunit uniquement avec les membres de la famille vivant dans le même logement (sans aucune restriction) et avec 14 autres personnes dans leur propre groupe d’âge. Tous les participants entretiennent une distanciation sociale et portent des masques.
«Nous avons créé divers scénarios pour diverses stratégies de sortie de confinement, y compris des restrictions sur les réunions entre les groupes d’âge. Comme les rencontres sociales sont particulièrement importantes pour la population âgée, nous avons ajouté de nouvelles rencontres au sein de ce groupe d’âge, ainsi le nombre total de rencontres sociales n’a pas diminué », a expliqué le Dr Stern. L’analyse des différents scénarios montre que lorsque chaque tranche d’âge est autorisée à maintenir des contacts réguliers, y compris la distanciation sociale et les masques, alors que les 55 ans et plus ne sont autorisés à rencontrer que d’autres personnes de leur propre tranche d’âge, et avec des membres de la famille avec qui ils vivent, une réduction de 62% de la mortalité spécifique a été observée par rapport au scénario de base sans aucune restriction. En conséquence, la mortalité attendue parmi la population de 50000 habitants était de 2183 personnes, soit une réduction de 829 décès pour ce scénario.
Compenser la perte de liens sociaux
Ce scénario comprenait la création de nouvelles rencontres sociales pour les 55 ans et plus avec d’autres personnes du même groupe d’âge, de sorte que le nombre total de contacts est resté identique, seul le profil d’âge a changé.
Selon le scénario le plus strict, chaque groupe d’âge n’est autorisé à rencontrer que d’autres personnes du même groupe (et des membres de la famille vivant dans le même domicile, sans restriction), et aucun nouveau contact n’est ajouté. Ce scénario a conduit à une réduction de 91% de la mortalité par rapport au scénario de base, 189 décès au lieu de 2183.
Le scénario le moins réussi était basé sur le maintien des mêmes contacts sociaux tout en augmentant la distance ou en assurant une attention plus stricte au port de masques lors de réunions entre différents groupes d’âge. Ce scénario a conduit à une réduction de 14% de la mortalité spécifique par rapport au scénario de base.
Un autre scénario limitait les rencontres sociales à la même tranche d’âge : les rencontres sociales perdues en raison de cette restriction ont été remplacées par des rencontres supplémentaires au sein du même groupe d’âge. Ce scénario a conduit à une réduction de 21% de la morbidité par rapport au scénario de base.
«Nous espérons tous qu’un vaccin sera rapidement disponible. En attendant, afin d’éviter un nouveau confinement total ou partiel, nous pouvons créer des micro-environnements dans lesquels nous permettons à des personnes du même groupe d’âge de se retrouver, par exemple dans un supermarché ou un restaurant. Cela pourrait empêcher la fermeture d’entreprises tout en améliorant la protection de la population, et cela peut le faire sans isoler totalement la population âgée, qui a plus besoin d’interactions sociales que nous tous », conclut le Dr Stern.
Publication dans Open Biology, 11 novembre 2020