Les dirigeants de Gaza et leur faillite

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Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps

Illustration : cours d’hébreu à Gaza

Lors de la guerre avec Gaza en 2021, Tsahal a volontairement créé peu de dégâts significatifs, se bornant à casser quelques pierres pour le symbole, pour ne pas accentuer la détresse de la population malgré les centaines de roquettes envoyées sur le sud du pays. Certains opposants avaient critiqué la mollesse de l’armée, accusée de disposer de peu ou de mauvais renseignements pour viser des cibles significatives. En fait, Israël n’avait pas voulu se comporter à Gaza comme l’armée russe en Ukraine où aucun immeuble de civils n’a été épargné.

La politique d’Israël a été plutôt d’épargner les civils, voire de leur donner des moyens de subsistance en développant les visas de «commerçants» pour faire venir plus d’ouvriers en Israël. Il suffisait de voir la queue des demandeurs de visas cherchant à soumettre leur candidature. Les chambres de commerce sont encore assaillies par des hommes brandissant leur formulaire de demande car le chômage a atteint 50% à Gaza ; les Palestiniens sont incapables de nourrir leur famille. Le Hamas ne voit pas ces démarches d’un bon œil car il est automatiquement discrédité. Israël n’est plus le méchant qui tue des populations civiles mais le dernier recours contre la pauvreté.

Dès le mois de septembre, sur instigation de Benny Gantz et d’Avigdor Lieberman, les autorités israéliennes avaient annoncé la délivrance de 7.000 permis de travail aux Gazaouis. Devant l’afflux de demandes vite satisfaites, ce nombre a été porté à 10.000. En mars 2022, le quota a été porté à 20.000. Cela tombait bien car le pays manque de main d’œuvre et de nombreux chantiers sont stoppés faute d’ouvriers. Il est connu que les ouvriers de Gaza sont très recherchés par les promoteurs israéliens qui reconnaissent en eux leur technicité et leur efficacité. Par ailleurs, entrant en Israël à 5 heures du matin et repartant chez eux vers 16 heures, ils ne polluent pas certains quartiers des grandes villes devenus des zones de non-droit par la présence de drogues, de promiscuité et de prostitution.

Mais cette augmentation des quotas n’est pas du bon goût du Hamas parce qu’elle met en évidence l’échec de sa politique économique. Au lieu de développer la petite industrie, de construire de beaux hôtels à touristes au bord de la Méditerranée, à des prix défiants toute concurrence, une sorte de Sharm el Sheikh palestinien, ils ont gaspillé leurs moyens en roquettes et missiles partis en fumée. Alors qu’Israël cherche à renforcer le calme, le Hamas tente en vain de décourager les postulants en interprétant à sa façon l’augmentation du quota d’ouvriers qui, selon les islamistes, a pour but de venir au secours d’une population brimée par des dirigeants incompétents. En augmentant le nombre de Gazaouis qui traversent tous les jours la frontière, cela permet de réduire la pression économique sur Gaza afin de consolider une paix difficile avec le Hamas.

Il existe toujours des esprits tordus pour voir dans cette sollicitude israélienne des raisons inavouées car pour certains, Israël veut profiter de cet afflux d’ouvriers pour y puiser quelques éléments fragiles capables de devenir des informateurs. Comme s’il n’y avait pas de satellites d’observation ni de drones capables de filmer jusqu’au plus petit habitant. Certes, les nouvelles recrues du Mossad pourraient fournir des renseignements précis sur le terrain, sur les cibles et sur le déplacement des dirigeants du Hamas. Mais il est mal aisé de jeter le discrédit sur les ouvriers pour finir par les classer parmi des citoyens douteux, voire traitres ; mais cela ne marche pas car les Chambres de commerce sont prises d’assaut tous les jours.

En fait cette expatriation quotidienne est vue par le Hamas comme un échec de sa gestion économique. Alors il faut discréditer ceux qui mettent le doigt sur la plaie pour que les ouvriers soient perçus comme des espions en puissance alors que leur objectif premier est d’apporter du pain à la maison. La Hamas ne peut rien contre les demandeurs d’emploi qui souvent dorment la nuit devant les chambres de commerce pour avoir une chance d’être sélectionnés. Leur mise en cause masque l’incapacité du Hamas à leur fournir un travail décent.

Alors, sans interdire le dépôt des demandes dont le refus pourrait générer une révolution, on essaie de mettre en garde les candidats sur le risque d’une enquête israélienne poussée sur leur personne afin de répondre aux critères de sécurité. Avec le Covid les restrictions ont été plus nombreuses. Mais selon le Cogat [1] «La décision d’augmenter le quota de commerçants a été prise par l’échelon politique à la suite d’une évaluation sécuritaire en la matière. La décision est conditionnelle à la préservation continue de la stabilité sécuritaire de la région à long terme».

Pour décourager les candidats, le Hamas persiste à dire que la guerre de 2021 avec Israël avait été un échec «par manque de renseignements et par manque d’identification des cibles» et pour preuve, aucun dirigeant n’a été ciblé par Israël car l’armée israélienne «n’a pas correctement identifié ses cibles». Pour les dirigeants islamiques de Gaza, l’ouverture des portes aux ouvriers a pour but de recruter des «collaborateurs». Certains experts palestiniens prétendent que les «entretiens des officiers israéliens avec les travailleurs palestiniens sont utilisés comme l’un des principaux outils de recrutement de collaborateurs. Les points de passage et les territoires occupés sont les deux principaux lieux où l’agent de recrutement peut rencontrer le collaborateur afin de l’interroger, de l’extorquer et de le forcer à fournir des informations».

Bien sûr, les autorités israéliennes démentent ces allégations et expliquent qu’elles voudraient que la population de Gaza trouve cette opportunité comme un privilège qu’elle ne souhaiterait pas perdre en rejoignant ou en soutenant les terroristes. Israël veut donner à Gaza quelque chose qu’il craint de perdre au cas où les terroristes attaquent Israël. Il s’efforce de les faire réfléchir à deux fois avant de lancer une roquette pour éviter que des milliers d’habitants de Gaza ne perdent leur travail. Ce serait alors un bon moyen de faire monter les taux de pauvreté et de chômage.

Il n’y a aucun doute qu’Israël utilise les points de passage comme des moyens de pression pour éviter les roquettes. Les bouclages sont aussi un moyen d’obtenir le calme. Moshe Dayan, alors ministre de la Défense avait déclaré en 1967 : «Faites savoir à l’individu qu’il a quelque chose à perdre. Sa maison peut être détruite, son permis de bus peut lui être retiré, il peut être expulsé de la région. Il peut exister dignement, gagner de l’argent, exploiter d’autres Arabes et voyager dans son bus. En fait Israël veut créer une situation dans laquelle la population aurait quelque chose à perdre, une situation dans laquelle la sanction effective est la révocation des prestations».

Le Hamas fait croire par principe qu’il tolère à peine l’entrée des ouvriers en Israël car, avec sa gestion, le taux de chômage a atteint 45% et le taux de pauvreté 64%, soit près du double de celui de la Cisjordanie. Les différentes guerres qu’il a provoquées avec Israël ont eu des conséquences catastrophiques sur le secteur économique, entraînant la destruction de 20 usines et mettant au moins 5.000 travailleurs au chômage. Les restrictions strictes imposées aux commerçants, agriculteurs et pêcheurs, ayant été levées, les habitants de Gaza ont trouvé un certain soulagement.

Certains diplômés de l’université de Gaza travaillent actuellement comme ouvriers du bâtiment en Israël en raison des salaires et du manque d’opportunités d’emploi à Gaza. D’ailleurs plusieurs suivent des cours d’hébreu à Gaza afin de pouvoir communiquer avec leurs employeurs en Israël. Pendant ce temps, des centaines d’autres jeunes diplômés universitaires suivent les cours dans l’espoir d’obtenir des permis pour faire des petits boulots en Israël. Le salaire à l’université oscille entre 420 à 560 dollars tous les six mois. En Israël, ils gagnent environ 350 à 400 shekels (110 à 140 dollars) par jour. Le choix est vite fait. Ils ont un travail qui leur permet d’acheter de la nourriture pour leur famille. L’absence de développement systématique de la bande de Gaza pendant des décennies et le gaspillage des fonds à des fins militaires ont poussé les Palestiniens à demander des permis de travail israéliens. C’est une réalité difficile à accepter pour le Hamas.

[1] Le Coordonnateur des activités gouvernementales dans les territoires est une unité du Ministère israélien de la défense qui s’occupe de coordonner les questions civiles en Cisjordanie et même à Gaza.   

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