Des milliers de Libanais manifestent leur colère, le premier ministre va proposer des élections anticipées
Des manifestants ont pris d’assaut le ministère des affaires étrangères samedi à Beyrouth. La colère est forte parmi les Libanais, quatre jours après l’explosion qui a fait 158 morts et plus de 6 000 blessés.
Le premier ministre libanais, Hassan Diab, a annoncé samedi 8 août dans la soirée qu’il allait proposer des élections parlementaires anticipées. Le pays est ébranlé par l’explosion meurtrière au port de Beyrouth, dont la population rend la classe politique responsable.
Dans un discours télévisé, il a estimé que seules « des élections anticipées peuvent permettre de sortir de la crise structurelle ». Il a ajouté qu’il était prêt à rester au pouvoir « pendant deux mois », le temps que les forces politiques s’entendent à ce sujet.
Le chef du gouvernement, qui a formé son cabinet en janvier après la démission de Saad Hariri fin octobre sous la pression d’un mouvement de protestation populaire, a déclaré qu’il soumettrait sa proposition lundi au conseil des ministres.
L’explosion, qui a dévasté le 4 août des quartiers entiers de la capitale libanaise, a fait 158 morts et plus de 6 000 blessés, a annoncé plus tôt dans la journée le ministère de la santé. Le nombre de personnes portées disparues a, lui, été revu à la baisse. Il est désormais de 21, contre plusieurs dizaines évoquées dans la matinée.
L’ambassade de Syrie au Liban a fait savoir que quarante-trois de ses ressortissants figurent parmi les morts, sans préciser toutefois si ces derniers sont inclus dans le bilan communiqué par les autorités libanaises. L’épouse de l’ambassadeur des Pays-Bas au Liban est par ailleurs décédée, samedi après-midi, des suites de ses blessures.
Des secouristes libanais, français, allemands, russes et d’autres nationalités poursuivaient, samedi, leurs opérations sur les lieux de l’explosion pour tenter de retrouver des survivants.
- Des milliers de Libanais manifestent
Des milliers de manifestants, dont certains brandissaient des nœuds coulants, se sont rassemblés dans le centre-ville pour exprimer leur profond rejet des dirigeants politiques auxquels ils demandent des comptes après l’explosion de mardi.
A proximité de la place des Martyrs, épicentre traditionnel des manifestations dans la capitale, des heurts ont opposé les forces de sécurité, qui ont tiré des gaz lacrymogènes, à de jeunes protestataires ripostant avec des pierres.
Sur la place, le mot d’ordre de milliers de personnes était « Le Jour du jugement ». Des guillotines en bois ont été installées et des protestataires ont brandi des cordes. « Le peuple veut la chute du régime », scandaient certains manifestants, brandissant des pancartes réclamant le départ des « assassins ».
Dans la soirée, des manifestants dirigés par des officiers de l’armée à la retraite ont pris d’assaut le siège du ministère des affaires étrangères à Beyrouth, le proclamant « quartier général de la Révolution », selon des images diffusées en direct par les chaînes de télévision. L’armée a envoyé des renforts pour les déloger.
Des manifestants ont aussi tenté de prendre le quartier général de l’Association des banques, y mettant le feu avant d’être délogés par l’armée. Les protestataires ont également brièvement occupé les ministères de l’économie et celui de l’énergie. Ce secteur constitue le symbole de la gabegie des services publics, les coupures de courant alimentant la gronde.
Un policier a été tué au cours des manifestations « en aidant des personnes coincées dans l’hôtel Le Gray », a annoncé la police libanaise sur Twitter, ajoutant qu’il avait « été agressé par un certain nombre d’émeutiers qui ont entraîné sa chute et sa mort ».
Selon un tweet de la Croix-Rouge libanaise, 63 personnes ont été blessées pendant la manifestation et transportées dans des hôpitaux, et 175 autres soignées sur place.
- Démission de plusieurs députés libanais
La déflagration dans le port de Beyrouth a été provoquée par plusieurs tonnes de nitrate d’ammonium stockées depuis six ans dans un entrepôt « sans mesures de précaution », de l’aveu même du premier ministre libanais.
Celle-ci, la plus dévastatrice jamais survenue dans le pays, a également mis à la rue des centaines de milliers de personnes, alimentant la colère de la population contre la classe politique, accusée d’incompétence et de corruption.
Le chef du parti Kataëb (Les Phalanges libanaises), Samy Gemayel, a annoncé samedi sa démission ainsi que celle des deux autres députés du parti historique chrétien. Leurs départs viennent s’ajouter à ceux de deux autres parlementaires cette semaine : celui du député Marwan Hamadé, du bloc du chef druze Walid Joumblatt, et celui de la députée Paula Yacoubian, élue sur la liste de la société civile au Parlement.
« Le peuple libanais doit prendre une position historique. Un nouveau Liban doit émerger sur les ruines de l’ancien, que vous représentez », a lancé M. Gemayel à l’adresse de la classe politique, critiquant sans le nommer le président, Michel Aoun.
Ce dernier a rejeté vendredi toute enquête internationale sur l’explosion, estimant qu’elle ne ferait que « diluer la vérité ». Une vingtaine de fonctionnaires du port et des douanes ont été interpellés, selon des sources judiciaire et sécuritaire. Parmi eux, le directeur général des douanes, Badri Daher, et le président du conseil d’administration du port, Hassan Koraytem.
- Macron coprésidera une visioconférence des donateurs
Le président de la République française, Emmanuel Macron, va coprésider, dimanche avec les Nations unies, une visioconférence dans le cadre des efforts déployés pour mobiliser la communauté internationale après la catastrophe, a fait savoir l’Elysée.
Celle-ci, qui doit commencer à 14 heures (heure de Paris), sera destinée à mobiliser des fonds pour le Liban, mais aussi à définir des moyens d’assurer que l’aide soit directement acheminée aux populations et aux ONG, comme l’a promis le chef de l’Etat français, jeudi, lors d’une visite dans la capitale libanaise.
Samedi matin, le président des Etats-Unis, Donald Trump, avait tweeté que la visioconférence réunirait « le président Macron, les dirigeants du Liban et des dirigeants d’autres endroits dans le monde ». Le locataire de la Maison Blanche précisait en outre qu’il y assisterait : « Tout le monde veut aider ! », a-t-il estimé.
Par ailleurs, l’Autriche a annoncé qu’elle allait débloquer un million d’euros pour aider le Liban. Ces fonds vont être mis à la disposition du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ainsi que d’ONG autrichiennes, afin de fournir nourriture et logements aux sinistrés. Vienne, dont l’ambassade au Liban a été endommagée lors de l’explosion, n’a pas donné de calendrier précis concernant ce transfert de fonds.
Le président du Conseil européen, Charles Michel, qui s’est rendu à Beyrouth pour témoigner de la « solidarité » des Européens « choqués et attristés », a assuré aux Libanais qu’ils n’étaient « pas seuls ». L’Union européenne a déjà débloqué 33 millions d’euros.
Le chef de la Ligue arabe, Ahmed Aboul Gheit, ainsi que le vice-président turc, Fuat Oktay, et le chef de la diplomatie turque, Mevlüt Cavusoglu, se sont également rendus samedi dans la ville pour témoigner de leur soutien.