A l’occasion des 50 ans de la guerre des Six-Jours, Le Monde a sorti un dossier intitulé « Israël-Palestine, 50 ans d’occupation », sous la direction de son correspondant Piotr Smolar. En voici l’introduction : Le 10 juin 1967, Israël remportait une victoire éclair ectaculaire sur les armées arabes, prenant le contrôle de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie, du plateau du Golan et de la bande de Gaza, lors de la guerre des Six-Jours. En un demi-siècle, les colonies se sont multipliées dans les territoires occupés. Avec le temps, ce régime de domination a affecté les deux sociétés, israélienne comme palestinienne.
A partir du 29 mai, Le Monde publie une série d’articles à cette occasion.
Israël, régime de domination à renverser ?
C’est semble-t-il la première fois que Le Monde qualifie le système politique d’un pays de « régime de domination ». Or, là où la référence à un « régime de domination » est la plus courante, c’est dans le marxisme : elle désigne la classe bourgeoise à renverser. En d’autres termes, conscient ou non de la connotation historique de la terminologie choisie, Le Monde parle du gouvernement israélien pourtant démocratiquement élu comme d’un pouvoir à renverser. Un langage violent que le journal n’utiliserait pas pour parler de la Turquie à Chypre, de la Chine au Tibet ou… de la France dans certains territoires d’Outre-mer où sa légitimité historique est bien plus discutable que celle des Juifs dans la région où leur peuple est né.
Une guerre sortie de son contexte
Autre biais de cette présentation : l’histoire de la guerre n’a pas commencé le 10 juin 1967. Dans les semaines qui la précédèrent, les pays arabes massèrent leurs armées aux frontières d’Israël, l’Egypte bloqua l’accès vital d’Israël à la mer Rouge en fermant le détroit de Tiran et chassa les troupes de l’ONU qui devaient garantir le calme dans le Sinaï. Ne pas parler de ces préparatifs permet de présenter Israël comme un conquérant assoiffé de territoires alors que, dans les semaines qui précédèrent l’offensive israélienne, c’étaient les pays arabes qui ne faisaient pas mystère de leur intention d’envahir et éliminer Israël.
A chacun ses héros : des « martyrs » palestiniens à « celles qui disent non à Tsahal »
Piotr Smolar a bien travaillé. Sept longs articles composent la série et la démonstration de toutes les inexactitudes qui y figurent prendrait plusieurs fois leur longueur. Avant de nous concentrer sur la vidéo qui en constitue le fleuron, voici la liste des articles de la série :
- En Israël, celles qui disent non à Tsahal
- A Silwan, les emmurés de Jérusalem-Est
- Au nom des « martyrs », sombres héros de la Palestine
- Les ONG, la « cinquième colonne » israélienne
- En Israël, les ravages du stress post-traumatique
- En Israël, un programme informatique pour atténuer le risque de PTSD
- Entretien avec Michael Sfard : « L’occupation repose sur trois pieds : le pistolet, la colonie et la loi »
Demander à quelqu’un qui sont ses héros est un bon moyen de connaître ses valeurs. N’y avait-il pas d’autre moyen de parler des terroristes palestiniens, ces « martyrs » (traduction malheureuse du shahid assassin qui n’a rien à voir avec le martyr chrétien victime de persécutions), que comme des « sombres héros de la Palestine » ? Qui plus est en illustrant l’article avec la mère de l’un d’entre eux posant devant la stèle érigée en mémoire de son fils, sans même commenter le fait que le monument a la forme de la carte d’Israël : un appel à la destruction d’Israël et à son remplacement par une « solution à un Etat », arabe.
Il y a aussi un article consacré à « celles qui disent non à Tsahal » : « De jeunes Israéliennes refusent de servir dans l’armée, qu’elles considèrent comme une machine répressive. » Il est normal que certains citoyens soient en désaccord avec la politique de leur propre pays; mais lorsqu’ils refusent de servir leur armée alors qu’un service militaire est obligatoire, cela s’appelle des objecteurs de conscience. Dans une démocratie, comme Israël, les citoyens peuvent utiliser les urnes pour changer la politique de leur pays; ils sont censés ensuite se conformer aux décisions prises. L’armée israélienne défend également l’ensemble du pays, y compris les territoires non contestés, contre des voisins toujours hostiles (Hamas, Hezbollah…), et c’est aussi à cela que renoncent celles qui disent non. Les activistes de La Paix maintenant et Combattants pour la paix interrogées par Piotr Smolar ont un but politique. Pourquoi ne pas interroger l’immense majorité des Israéliens qui remplissent leurs obligations militaires sans objecter ? Et ce n’est pas l’interview de Michel Sfard, membre du même courant politique minoritaire en Israël (« militant politique de gauche » selon Le Monde qui n’a pas interviewé de pendant de « militant politique de droite » dans sa série), qui donnera aux lecteurs les moyens de comprendre la société israélienne dans son ensemble.
Signe d’un déséquilibre manifeste, aucun de ces articles qui font un large écho aux récriminations palestiniennes contre Israël n’a pour sujet, par exemple, les traumatismes endurés par les Israéliens victimes d’attentats, l’incitation au terrorisme dans les écoles palestiniennes, les luttes entre les factions politiques palestiniennes ou les plans de paix refusés par les Palestiniens ces 20 dernières années.
Fleuron de la série : « Comprendre la colonisation israélienne en cinq minutes », des centaines de milliers d’internautes désinformés
Même une plume de la qualité de celle de Piotr Smolar, qui sait rendre vivants et attachants ses sujets, a un pouvoir limité. Aussi Le Monde a-t-il mis les gros moyens en joignant une production multimédia à la série.
Animations graphiques, musique, c’est un véritable petit clip de propagande qu’a concocté le journal. Sur Facebook, le post original a totalisé 2,240 partages et 289,000 vues !
Un article contenant le film a également été posté, totalisant presque 5,000 partages et donc encore bien davantage de vues; et d’autres canaux ont été utilisés (Twitter, l’insertion dans d’autres articles…).
Ce sont donc des centaines de milliers de personnes qui ont été exposées à ce petit film « didactique ».
Evidemment, les travers de la série se retrouvent dans la vidéo, qui propose pour comprendre la situation de « faire un bond dans le temps »…
… en 1949.
Bien commode pour ne pas parler de l’assaut arabe de 1948, lorsque les armées des pays voisins se jetèrent sur Israël afin de l’éliminer le jour même de son indépendance !
Le film montre la ligne verte, « issue de l’armistice de 1949 », qui, à l’époque, « sépare l’Etat d’Israël qui a été proclamé à peine un an auparavant des pays arabes voisins comme la Jordanie ». Curieux comme la Jordanie n’est pas appelée « régime de domination », elle qui avait envahi et occupé ce qui s’appelait désormais la Cisjordanie, allant jusqu’à en expulser tout Juif y habitant : c’est ainsi qu’un Juif expulsé en 1949 et revenant 20 ans après à Hébron ou dans l’est de Jérusalem pourrait devenir un « colon ». Le Monde appelle la ligne verte un « tracé de référence » pour un futur Etat palestinien, alors qu’une des deux parties aux conflit, Israël, ne souscrit nullement à cette référence (et que dire de l’autre partie, qui érige comme nous l’avons vu des statues à ses terroristes revendiquant 100% d’Israël comme un territoire arabe).
Même déformation pour décrire la guerre de 1967 : comme dans l’introduction de la série, le récit commence… à la fin de la guerre. « Il y a 50 ans, en 1967, l’armée d’Israël défait ses ennemis arabes pendant la guerre des Six Jours et conquiert plusieurs territoires. » Ne pas mentionner les causes de la guerre revient à falsifier l’histoire.
Dire que la Cisjordanie conquise et occupée de 1949 à 1967 par la Légion arabe était « sous administration jordanienne », puis enchaîner en disant qu’ « après ses conquêtes militaires, il s’agit pour Israël d’occuper humainement le territoire » est un double standard manifeste. Et ce n’est pas le seul : il y aurait donc des « zones d’habitation palestiniennes » et des « colonies de peuplement » israéliennes : un terme neutre opposé à un terme stigmatisant.
La vidéo continue avec une visite des villes (« colonies ») juives comme Ariel, qui « a même sa propre université » (comme toute ville normale), en mode caméra cachée : le passage est sur-titré « images d’amateurs », comme si l’endroit était aussi sulfureux qu’un repère de dealers de drogue ou un centre de recherche nucléaire en Iran et qu’un journaliste y risquait sa vie ! Pour le téléspectateur, une image en caméra cachée est habituellement le signe que quelque chose de louche, de sale, se déroule : c’est le message que veut faire passer le film sur la « colonisation » alors que le reporter aurait parfaitement pu filmer les rues d’Ariel sans recourir à ce subterfuge.
Le film déroule ensuite le récit de la « colonisation », terme qui s’applique plus facilement si l’on ne mentionne pas le contexte historique : depuis l’antique histoire juive en Judée et Samarie en passant par la déclaration Balfour, le traité de San Remo… Benyamin Nétanyahou est décrit comme étant « à la tête de la coalition la plus à droite d’Israël » (comprenez « d’extrême droite », une manière de faire des « dominateurs » juifs les nouveaux nazis… sans que jamais le terme d’extrême droite ou d’ailleurs d’extrême gauche ne soit appliqué par Le Monde à aucun parti palestinien, terroristes compris).
Quant aux accords d’Oslo, le film explique correctement qu’ils confèrent à Israël l’administration civile de la zone C de Cisjordanie et à l’Autorité palestinienne celle des zones A et B.
Mais comme le principal axe de communication est que « le problème, c’est que la Cisjordanie est complètement morcelée » (par Israël), les explications sur Oslo sont suivies de la phrase : « le problème, c’est que les colonies de peuplement ont continué de se développer et de s’étendre. » Or la carte montre bien que les implantations Israéliennes se situent toutes en zone C, une zone sur laquelle l’administration a été conférée à Israël, selon les termes d’un accord avec les Palestiniens, jusqu’à ce que de nouvelles négociations entre les deux parties fassent éventuellement un jour évoluer ce statut.
Commentaire
« L’occupation » bénéficie d’un traitement très spécial.
En juin également, les 10 ans de la confiscation du pouvoir par le Hamas à Gaza, source de trois guerres depuis, n’ont suscité aucune couverture approfondie par Le Monde.
Plus dérangeant encore : en 1967, simultanément à la guerre des Six-Jours éclatait un autre conflit – la guerre du Biafra. Elle allait durer trois ans et provoquer entre 1 et 2 millions de morts. Mais ceux-là ne semblent plus émouvoir grand monde, un demi-siècle plus tard. Comme l’ensemble des médias européens, Le Monde a préféré consacrer davantage d’encre en ce début juin aux 50 ans d’une autre guerre, dont la phase active dura moins d’une semaine et fit 100 fois moins de morts.
Ce qui était déjà un parti pris éditorial contestable s’est transformé en une véritable opération de désinformation. L’occultation des actions arabes ayant menées à la guerre de 1967, quitte à faire commencer arbitrairement l’histoire en 1949, le choix répété de sujets stigmatisant toujours une seule des parties, l’Etat juif affublé de l’infâme attribut du « dominateur », contribuent à imprimer chez les lecteurs de France l’image d’un Israël coupable, en transformant les faits. Ces procédés relèvent d’une propagande dont les effets, par le ressentiment créé contre les Juifs que certains assimileront ainsi à des oppresseurs, peuvent s’avérer dangereux.
Source infoequitable.org