Le Prof. François Heilbronn, Président de l’Association française de l’Université de Tel-Aviv a tenu, le dimanche 10 janvier 2021, une conférence, brillante et édifiante, sur le thème : « L’antisémitisme en France : Etat des lieux 2000-2020. Espoirs et luttes des Français Juifs entre néofascisme, islam radical et gauches extrêmes », dans le cadre d’un webinaire organisé par l’Association française et l’Association francophone de l’Université, en partenariat avec Radio Shalom. Au cours de la conférence, animée par Pierre Gandus, rédacteur en chef de Radio Shalom, il a évoqué son combat incessant contre les antisémites et en faveur d’Israël en même temps que son amour pour la France.
12 Juifs assassinés en France en 15 ans parce que juifs
« Pendant l’année 1990 on avait pu espérer sortir à la fois de l’antisémitisme classique et de celui lié à l’antisionisme au conflit du Proche-Orient ; mais à partir des années 2000 on a assisté à la fois à une succession d’actes violents et à une augmentation des actes de parole antisémite et de faits antisémites allant parfois jusqu’au meurtre sur le territoire français », a relevé le Prof. Heilbronn. « Il s’est passé quelque chose de nouveau dans l’antisémitisme en France : aujourd’hui trois formes d’antisémitisme, l’antisémitisme traditionnel d’extrême-droite, celui d’extrême-gauche et l’antisionisme, sont montées en puissance, se rejoignant souvent sur certains points ».
Le Prof. Heilbronn commence par rendre hommage aux 12 Juifs assassinés en France car Juifs depuis Sébastien Sellam en 2003, puis Ilan Halimi, jusqu’à Mireille Knoll en 2018, et en particulier à Yohan Cohen, Yoav Hattab, Philippe Brahm et François-Michel Saada, assassiné tous les quatre il y a pratiquement six ans jour pour jour à l’Hyper casher de la Porte de Vincennes : « De 1945 à 2003, aucun Juif français n’avait été assassiné en France parce qu’il était juif. En quinze ans, dans des attentats et des attaques très différentes, 12 Juifs ont été assassinés en France », dit-il.
La première partie de la présentation a été consacrée à la présentation de statistiques concernant la violence contre les Français juifs. D’après les données du SPCJ (Service de Protection de la communauté Juive) et du Ministère de l’Intérieur, qui sont reprises dans le rapport annuel de l’antisémitisme dans le monde publié par le Centre Kantor de l’Université de Tel-Aviv, de 1998 à 2019, donc sur 20 ans, près de 12 000 actes antisémites ont été commis en France, soit une moyenne de 600 par an, contre une soixantaine dans les années 90, correspondant à une multiplication par 10. Deuxième constat : bien que les Juifs ne représentent que 1% de la population française, ils constituent la cible de 50% des actes racistes commis en France. Parmi l’ensemble des manifestations d’antisémitisme, les actions physiques violentes oscillent autour de 200 par an. 35% des actes antisémites sont concentrés géographiquement dans sept villes : Paris, Sarcelles, Créteil, Strasbourg, Avignon, Nice, Marseille. A Paris, contrairement à ce que l’on a l’habitude de penser, tous les arrondissements sont touchés.
Des préjugés tenaces
Selon l’enquête réalisée tous les quatre ans par l’Anti Defamation League aux Etats-Unis sur les préjugés antisémites dans 105 pays du monde, 26% de la population mondiale est antisémite (10% seulement aux Etats-Unis, mais 24% en moyenne en Europe occidentale, autour de 10% en Angleterre, 15% en Allemagne, 67% en Grèce, Iran 56%, l’Algérie, la Tunisie et le Maroc dépassent les 80%).
Toujours selon la même enquête, 31% des Français pensent que les Juifs parlent trop de la Shoah, 29% qu’ils ont trop de pouvoir dans le monde des affaires, 25% trop de pouvoir sur les marchés financiers, 22% qu’ils contrôlent les affaires du monde, 21% qu’ils contrôlent les médias et 5% qu’ils sont responsables de la plupart des guerres dans le monde. Les hommes sont plus antisémites que les femmes (18% contre 16%). 20% des antisémites ont plus de 50 ans, 45% sont de confession musulmane, 19% sont des chrétiens, et 11% non-croyants.
Par ailleurs, une étude réalisée en 2014 par le think tank français Fondapol, dirigé par le Prof. Dominique Reynié de Sciences Po, a donné des résultats équivalents. On peut y relever également que plus 16% des Français croient qu’il existe un complot juif mondial. En outre, d’après cette enquête, 21% des Français en 2014 étaient encore opposés à avoir un Président de la République juif (contre 50% en 1966), « alors qu’étonnamment seulement 8% s’opposent à avoir un médecin juif », relève le Prof. Heilbronn.
Un antisémitisme focalisé dans certaines populations
Selon le Prof. Heilbronn : « On peut considérer le pourcentage de l’opinion publique antisémite en France s’est stabilisé autour de 20 à 25% ». L’antisémitisme en France est principalement focalisé dans trois segments de la population : les musulmans, les électeurs du Rassemblement national (ex-Front national) et ceux de la France insoumise. « Dans le reste de la population, l’antisémitisme est assez marginal, de l’ordre de 10%, comme en Scandinavie ou en Angleterre, et c’est ce que nous vivons dans notre vie de tous les jours », explique le Prof. Heilbronn. 67% des Musulmans pensent que les Juifs ont trop de pouvoir dans l’économie et les finances, le pourcentage passant à 74% chez les croyants pratiquants, 51% considèrent que les Juifs ont trop de pouvoir dans le domaine de la politique, donc un Français musulman sur deux. « Donc globalement un musulman sur deux en France a de forts préjugés antisémites, mais si on augmente le niveau de croyance et de pratique religieuse, on arrive à deux musulmans sur trois, voire trois sur quatre ».
De même 50% des électeurs du Front national véhiculent des préjugés antisémites très lourds, parfois davantage encore que les Musulmans sur certains points. Par exemple, l’idée selon laquelle les juifs utilisent aujourd’hui dans leur propre intérêt leur statut de victime du génocide nazi pendant la Seconde Guerre mondiale : « 35% des Français croient à cette baliverne, mais 70% au Front national. Dans la mesure où Marine Le Pen a obtenu 22% des voix aux dernières élections présidentielles, on peut estimer que 11% de l’antisémitisme en France est dû aux électeurs du Front national ». Quant à La France insoumise, un tiers véhiculent les mêmes clichés antisémites. De même les Gilets jaunes ont fait preuve très souvent de débordements antisémites. « D’après un sondage de Conspiracy Watch qui enquête sur le complotisme en France, 44% des Gilets jaunes considèrent qu’il existe un complot sioniste mondial. Par contre, dans les autre partis, ces pourcentages redescendent, à 11% pour le Parti socialiste et à 9% pour l’ex-UMP ».
Inquiétudes et résistances des Français juifs.
Le Prof. Heilbronn passe ensuite à la description des réactions des Français juifs à cette situation. « D’après une enquête IPSOS de 2015, deux Français juifs sur trois ont été confrontés à l’antisémitisme : près de la moitié des Français juifs déclarent avoir été personnellement victimes de remarques antisémites et un sur dix d’agressions antisémites. Une étude plus récente réalisée en 2020 le confirme : un Juif en France sur quatre a été victimes ces dernières années de violence physique, de vol dégradation de biens personnels (22%), de menace d’agression sur leur personne (22%). Ce sont des chiffres absolument terrifiants », constate-t-il.
Tous les Français juifs sont visés, mais en particuliers les jeunes et les plus pratiquants, les plus ‘visibles’ (portant barbe, kippa ou autre). De plus, 77% des Juifs considèrent que ce phénomène est en augmentation. Tout cela a entraîné une alya importante. En 2015, selon l’enquête de l’IPSOS, 35% des Juifs français envisageaient d’immigrer en Israël, en raison de craintes sur la perception de leur avenir en tant que Juif en France, de l’accumulation des attentats et des meurtres dont ont été victime certains juifs (67% des motifs de départ éventuel pour Israël) et de la progression de l’islamisme radical (57%). Par contre « ceux qui n’envisagent pas cette option mettent en avant leur identité française », souligne le conférencier.
Quelles sont les réactions de la société française ? « Contrairement aux années 2000- 2005, ou il y avait une omerta totale sur l’antisémitisme au sein des pouvoirs publics et de la presse les grands journaux n’éludent plus la question de l’antisémitisme en France. De plus, ce qui est plutôt rassurant, 47% des Français pris dans leur ensemble considèrent qu’il y a beaucoup d’antisémitisme en France et que ce sentiment est en augmentation (52%) ».
Comment faire pour lutter contre l’antisémitisme en France ?
Pour lutter contre ce phénomène, le Prof. Heilbronn propose une série de solutions, dont certaines sont déjà lises en pratique :
– Organiser, informer, protéger
Le Service de Protection de la Communauté Juive, créé par le regretté Pierre Kauffman, assure la sécurité au quotidien de la population juive en France, alerte et engage des poursuites. « C’est un service absolument unique au monde », relève-t-il.
– Éduquer et former
Le Prof. Heilbronn souligne le rôle crucial du Mémorial de la Shoah, qui, en quinze ans, a accueilli plus de 3 000 000 de visiteurs, dont 800 000 scolaires, plus de 40 000 enseignants en formation et a organisé plus de 300 voyages à Auschwitz pour environ 35 000 élèves et professeurs. « Cela fonctionne », dit-il. « 30 000 professeurs d’histoire en France aujourd’hui ont été formés aux techniques d’enseignement pédagogique du Mémorial ».
– Mobiliser les pouvoirs publics, informer les médias
« La France est un beau pays et ne mérite pas les antisémites »
« C’est ce que font toutes les organisations juives, SPCJ, CRIF, Consistoire, Mémorial de la Shoah, auprès du Président, du Premier Ministre, des ministres, mais aussi auprès du Parquet et des juges. Au Mémorial de la Shoah, nous formons les policiers, les gendarmes, les juges, les avocats, et travaillons en étroite collaboration avec la Dilcrah, la Délégation interministérielle pour la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et l’homophobie. Il faut également informer les médias, faire des communications statistiques, payer des enquêtes, rassembler des groupes, des intellectuels, des réseaux sociaux. Puis, il faut mobiliser l’opinion publique, former les professeurs, éduquer dès le plus jeune âge contre les préjugés racistes et antisémites, manifester, utiliser les réseaux sociaux et les médias pour propager nos idées. Enfin, il faut encourager la solidarité avec les Français Juifs de tous les Français non-Juifs, car il s’agit d’un problème qui touche tous les Français et pas seulement les Juifs ».
« La grandeur et la beauté de la France, c’est aussi son héritage bimillénaire de l’implication des Juifs français dans l’histoire de France », conclut le Prof. Heilbronn. « Sans les Juifs, comme l’a dit Manuel Valls, la France ne serait plus la France. Donc au combat les Amis, venez nous aider. C’est un combat difficile mais il en va aussi de l’avenir de la France ». « Je suis un patriote français, d’une vieille famille française de souche », a-t-il ajouté au cours du questions/réponses qui a suivi. « Je serai le dernier à partir, et je me battrai jusqu’au bout. Je suis Français avant tout, et je ferai tout pour que les antisémites reculent en France. La France est un beau pays et ne mérite