La paracha de cette semaine (Chemini) décrit les caractéristiques des animaux dits « cachères », ceux qui sont considérés comme purs et autorisés à la consommation selon la loi juive. Pour être consommables, ils doivent impérativement posséder deux signes : être ruminants et avoir les sabots fendus. Mais la Tora va plus loin et détaille la liste précise de quatre animaux qui ne remplissent qu’un seul de ces deux critères : le lapin, le lièvre et le chameau qui ruminent mais n’ont pas les sabots fendus, et le porc qui a les sabots fendus mais ne rumine pas.
Ce passage est en soi une preuve frappante de la véracité de la Tora. Comment, il y a plus de 3 000 ans, aurait-on pu écrire, sans trembler, une liste exhaustive de tous les animaux qui ne présentent qu’un seul signe de cacherouth, en affirmant qu’il n’y en a que quatre ? Sachant la richesse du monde animal, des jungles inexplorées à l’immensité de l’Amazonie ou des déserts, cela relève de l’impossible… sauf si l’on reconnaît que la Tora est d’origine divine.
Mais allons plus loin dans l’enseignement. Le rav Shimshon David Pinkous zatsal explique que ces deux signes physiques symbolisent deux facettes essentielles du service divin. Le ruminant, fonction interne, représente le service de l’intériorité (« pnimiouth ») : la pensée, la réflexion, le ressenti spirituel. Tandis que les sabots fendus, signes visibles et extérieurs, représentent le service par l’action, l’engagement concret dans les mitsvoth (« ‘hitzoniouth »).
L’objectif est d’arriver à un service de D’ complet, intérieur et extérieur. C’est ce qu’on appelle « Tokho kebaro » – que l’intérieur soit comme l’extérieur. Comme le dit la Guemara (Berakhoth 28a) : « Rabban Gamliel disait : tout étudiant dont l’intérieur n’est pas comme l’extérieur ne pourra entrer dans la maison d’étude ! »
Deux types de personnes illustrent ces catégories :
· Le premier dit : « Moi, je suis croyant à ma façon. J’ai D’ dans le cœur, pas besoin de tous ces rituels ! » C’est une spiritualité… sans mode d’emploi. Belle intention, mais zéro application. Un peu comme le chameau : ça rumine fort dans la tête, mais ça ne descend jamais en action. Pas de sabots fendus = pas de cacherouth.
· Le second est très pratiquant, c’est le « soldat des mitsvoth, c’est la rigueur personnifiée : levé à l’heure, tefilinnes alignés au laser, plats vérifiés jusqu’au code barre, tsni’outh ultra-carrée. Mais dès qu’on lui parle… boum ! Hiroshima. Il explose pour un rien, parle mal, juge tout ce qui bouge. L’extérieur est au top, mais à l’intérieur, c’est la guerre. C’est le mode porc : sabots fendus, lisse en façade… mais sans digestion intérieure. Ça ne rumine pas, donc ça ne transforme pas.
Alors, que préférer ? Un bon cœur sans action ? Des actions sans profondeur ? Ou ni l’un ni l’autre ?
Voici une allégorie pour mieux comprendre : un enfant est plongé dans le coma après une chute. Les médecins rassurent les parents : son cœur bat, il est vivant. Mais le père s’exclame : « Et alors ? Il ne parle plus, ne mange plus, ne bouge plus… il ne vit plus vraiment ! »
De la même façon, notre Père céleste, Hachem, peut entendre nos pensées nobles, nos belles intentions, mais Il attend l’action. Car le monde dans lequel nous vivons est appelé « Olam ha’assiya » – le monde de l’action. La Nechama, en descendant ici-bas, a accepté une mission : agir.
Et même si nos traits de caractère ne sont pas encore parfaits, ce sont les mitsvoth elles-mêmes qui nous transforment. Dans les Pirké de Rabbi Eli’ézer (chap 25), il est enseigné que celui qui entre dans une parfumerie, même sans rien y acheter, en ressort tout de même imprégné de son parfum. De la même manière, nos actions, même si elles semblent mécaniques ou extérieures, finissent par imprégner et raffiner l’âme. Le Ram’hal (Messilath Yecharim, chap. 7) écrit : « La gestuelle extérieure réveille l’élan intérieur. »
Regardons bien le langage de nos Sages : ils disent « Tokho kebaro » – « que son intérieur soit comme son extérieur ». Ils n’ont pas dit « Baro ketokho » – que l’extérieur soit aligné avec l’intérieur. Pourquoi ?
Parce que ce sont les actes, le service visible, qui vont façonner l’âme, transformer le cœur. C’est en multipliant les mitsvoth, même si l’intention n’est pas encore parfaite, que notre intériorité se redresse et s’affine.
Chaque bénédiction récitée, chaque mitsva accomplie – mettre les tefilinnes, observer le Chabbath, respecter les lois de la cacherouth, adopter une tenue pudique (tsni’outh) – même si ces gestes sont réalisés de manière mécanique, laissent une empreinte profonde sur l’âme et contribuent peu à peu à sa transformation – impriment une marque dans l’âme. Nos mitsvoth « extérieures » agissent comme un moule qui, petit à petit, plie notre intériorité vers la pureté.
Le Mikhtav MéEliyahou (vol. 3, p. 124) précise que cela ne parle pas d’un hypocrite ou d’un menteur, mais d’un homme sincère dont les actions viennent encore d’une motivation mélangée, influencée par des éléments extérieurs. Et malgré cela – ou grâce à cela – il progressera. Rabbi Eli’ézer enseigne que même en agissant sans intention pure (lo lichma), mais à force, cela la mènera à l’intention pure (lichma). »
Rabbénou Be’hayé explique que le porc se dit en hébreu « ‘ḥazir » – חזיר, qui a la même racine que « ‘ḥozer » – חוזר, qui signifie « revenir ». À la venue du Machia’h, le porc reviendra à l’état pur : son système digestif changera et il deviendra ruminant.
Ce message est clair : même si nos mitsvoth ne sont pas encore parfaites, ne nous arrêtons pas. Le Yétser Hara’ ou la société diront : « Tu n’es pas sincère… arrête ton cirque. » Mais non ! Il faut continuer ! Même si notre service de D’ n’est pas encore complet, chaque pas compte, chaque action transforme.
Le verset (Vayikra 11:7) dit à propos du porc : « וֶאֶת הַחֲזִיר כִּי מַפְרִס פַּרסָה הוּא« . Le terme « מַפְרִס פַּרסָה« peut aussi être compris comme « découper, partager » : c’est-à-dire avancer progressivement, morceau par morceau, vers un service intègre. Jusqu’à devenir « tokho kebaro » : un être intérieurement et extérieurement en harmonie.
Nous vivons dans un monde d’action, et c’est par l’action que l’on se transforme. C’est en faisant que l’on devient. Même si le cœur ne suit pas encore parfaitement, l’acte précède, inspire, et fini par entraîner le cœur. Ce chemin exige de la volonté, de la patience, mais surtout de la confiance : confiance que chaque geste compte, et que, bientôt, l’intérieur brillera à la hauteur de l’extérieur.
Mordekhaï Bismuth
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