Les pays arabes se ruent pour offrir à Trump un cadre alternatif pour Gaza après-guerre

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Un plan égyptien écarterait le groupe terroriste palestinien du Hamas de la gouvernance ; la question sera discutée à la fin du mois à Ryad

The Times of Israel

Illustration : Le président américain Donald Trump et le roi Abdallah II de Jordanie lors d’une réunion, dans le Bureau ovale de la Maison Blanche, à Washington, le 11 février 2025. (Crédit : Saul Loeb/AFP)

Reuters – L’Arabie saoudite a pris la tête d’une initiative qui vise à élaborer, de toute urgence, un plan pour l’avenir de Gaza, dans le but de de contrer l’ambition du président américain Donald Trump de créer une « Côte d’Azur » au Moyen-Orient avec un territoire qui serait vidé de ses habitants palestiniens, ont déclaré dix sources à Reuters.

Des idées seront ainsi discutées lors d’une réunion à Ryad ce mois-ci par des pays qui comprennent l’Arabie saoudite, l’Égypte, la Jordanie et les Émirats arabes unis. Les propositions pourraient inclure la création d’un fonds de reconstruction placé sous la direction du Golfe et un accord visant à évincer le Hamas de la gouvernance, ont déclaré cinq de ces sources.

L’Arabie saoudite et ses alliés arabes ont rejeté le plan de Trump qui consistait à déplacer de manière permanente tous les Palestiniens de Gaza, qui seraient réinstallés pour la plupart en Jordanie et en Égypte. Une perspective à laquelle s’opposent avec ferveur la Jordanie et l’Égypte, qui craignent une déstabilisation de leurs territoires respectifs.

La consternation des Saoudiens a été aggravée, selon certaines sources, dans la mesure où le plan ne répond aucunement à une exigence du royaume : celle qu’une voie claire soit ouverte en vue de la création d’un État palestinien. Cette exigence avait été placée par l’Arabie saoudite pour condition dans le cadre de la normalisation de ses liens avec Israël, une normalisation qui permettrait également la mise en place d’un pacte militaire entre Ryad et Washington, ce qui renforcerait les défenses du royaume contre l’Iran.

Reuters a interrogé quinze sources dans différents pays – Arabie Saoudite, Égypte, Jordanie et ailleurs – pour tenter de faire le point sur les efforts livrés en toute hâte par les États arabes qui s’efforcent de rassembler les propositions existantes en un nouveau plan qu’ils seront susceptibles de vendre au président américain – même s’ils doivent » éventuellement l’appeler « plan Trump » pour qu’il soit approuvé par l’occupant du Bureau ovale.

Les sources ont refusé d’être identifiées, la question ayant un caractère sensible aux niveaux national et international. Elles ont rappelé qu’elles n’étaient pas autorisées à évoquer la question ouvertement.

Selon une source gouvernementale arabe, au moins quatre propositions concernant l’avenir de l’enclave ont d’ores et déjà été élaborées. Une proposition égyptienne serait centrale dans l’initiative prise par l’ensemble des pays pour inciter Trump à trouver une alternative à son projet de déplacement initial.

La proposition égyptienne

La proposition égyptienne consiste notamment à former une commission palestinienne à l’échelle nationale qui serait chargée de gouverner Gaza sans implication du groupe terroriste palestinien du Hamas. Elle prévoit aussi que la communauté internationale se mobilisera dans le cadre de la reconstruction de Gaza sans déplacement des Palestiniens à l’étranger et qu’une mission sera ouverte vers la solution à deux États, ont expliqué trois sources issues des services de sécurité égyptiens.

L’Arabie saoudite, l’Égypte, la Jordanie, les Émirats arabes unis et des représentants des Palestiniens examineront et débattront de ce plan à Ryad avant qu’il ne soit présenté à un sommet arabe qui se tiendra en février en Arabie saoudite, a indiqué une source appartenant à un gouvernement arabe.

Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, largement connu sous le surnom de MBS, devrait tenir un rôle déterminant dans cette initiative.

« Nous disons aujourd’hui aux Américains que nous avons un plan qui fonctionne. Notre rendez-vous avec MBS sera crucial. C’est lui qui prend les devants », a confié un officiel jordanien.

Le prince a entretenu des relations chaleureuses avec la première administration Trump et il tient un rôle de plus en plus important dans les liens qui lient les pays arabes aux Etats-Unis – et c’est le cas en particulier avec le retour de Trump.

Alors qu’il est, depuis longtemps, un partenaire régional majeur de Washington, le prince n’a cessé d’élargir les relations de l’Arabie saoudite par le biais de sa politique commerciale et de l’affirmation de son pouvoir au niveau mondial.

Le fonds souverain saoudien va organiser une conférence à Miami ce mois-ci, à laquelle Trump devrait assister selon Reuters. Ryad devrait également accueillir des discussions avec le président russe Vladimir Poutine en vue de mettre fin à la guerre en Ukraine.

La Maison Blanche n’a pas répondu à plusieurs demandes de réaction pour les besoins de cet article.

Jeudi, le sénateur Marco Rubio a fait référence au prochain sommet entre les pays arabes et a déclaré : « Actuellement, le seul plan – ils ne l’apprécient pas – mais le seul plan disponible est celui de Trump. En conséquence, s’ils en ont un meilleur, il est temps de nous le présenter. »

Des porte-parole de l’Arabie saoudite, de l’Égypte, de la Jordanie, des Émirats arabes unis et d’Israël n’avaient pas répondu à notre demande de commentaire au moment de la rédaction de cet article.

Zone tampon

Il s’est avéré très difficile d’établir des plans clairs concernant l’avenir de la bande de Gaza, dans la mesure où ils exigent des prises de position sur des sujets controversés concernant la gouvernance intérieure du territoire, la prise en charge de la sécurité, les financements nécessaires et sa reconstruction.

Israël rejette tout rôle pour le Hamas ou pour l’Autorité palestinienne (AP) dans l’administration de l’enclave côtière, ou en matière de maintien de la sécurité. Les pays arabes et les Etats-Unis ont pour leur part annoncé qu’ils ne souhaitaient pas déployer de soldats sur le terrain pour garantir la sécurité.

Les États du Golfe qui, dans l’Histoire, ont toujours financé la reconstruction de la bande, ont indiqué qu’ils ne souhaitaient pas s’investir, cette fois-ci, sans garantie qu’Israël ne reviendra pas détruire ce qui a été construit. Une garantie que ne devrait pas apporter Jérusalem, soucieux de conserver sa liberté d’action s’agissant de pouvoir s’attaquer aux menaces qui émanent de la bande.

De plus, le roi jordanien Abdallah II a souligné, lundi, lors d’une rencontre avec Trump à la Maison Blanche, qu’il œuvrait avec l’Arabie saoudite et l’Égypte sur un plan fonctionnel pour Gaza après la guerre, a indiqué un responsable jordanien.

Dans des propos télévisés tenus à l’issue de la rencontre, Abdallah a expliqué que les pays allaient réexaminer un plan égyptien et que « nous irons en Arabie saoudite pour débattre de la manière dont nous pouvons travailler avec le président et avec les Etats-Unis ».

Le ministre des Affaires étrangères jordanien, que Reuters n’a pas réussi à joindre pour une demande de réaction, a indiqué que « nous œuvrons à cristalliser le plan arabe ».

Les propositions initiales dont ont fait état les trois sources de sécurité égyptiennes, en lien avec le financement et avec la reconstruction de la bande, semblent en être à un stade avancé.

Une zone tampon et une barrière seraient érigées, de façon à empêcher la construction de tunnels sous la frontière que partagent Gaza et l’Égypte. Dès que les décombres seront nettoyés, vingt zones de vie temporaires seront installées. Environ 200 entreprises égyptiennes et étrangères seront chargées des travaux.

Les financements proviendront notamment du Golfe et de la communauté internationale, a déclaré une source proche du dossier. Un fonds potentiel pourrait porter le nom de « Fonds Trump pour la reconstruction », selon un officiel appartenant à un gouvernement arabe.

Néanmoins, aucune décision n’a encore été prise concernant les problématiques les plus difficiles à aborder, à savoir la gouvernance et la prise en charge de la sécurité sur le territoire, a noté l’officiel.

Il sera nécessaire d’écarter le Hamas de tout rôle potentiel au sein de l’enclave, ont indiqué le responsable arabe et trois sources égyptiennes.

Le groupe terroriste palestinien avait précédemment indiqué qu’il était prêt à céder la gouvernance de Gaza à une commission nationale, mais qu’il souhaitait conserver un rôle, notamment dans le choix de ses membres. Il a ajouté qu’il n’accepterait pas le déploiement de forces terrestres sans son consentement. Des exigences qu’Israël ne devrait pas accepter.

Les trois sources égyptiennes ont fait savoir que ce plan n’apportait pas d’éléments nouveaux concrets, mais qu’il était suffisamment intéressant pour aider à faire changer d’état d’esprit Trump et qu’il pourrait être imposé au Hamas ainsi qu’à l’AP de Mahmoud Abbas.

« Pas satisfait »

Le désarroi des Saoudiens face à la question de Gaza avait été croissant avant même l’annonce faite par Trump.

Le royaume a fait savoir de manière répétée que la normalisation avec Israël devrait obligatoirement comprendre un volet palestinien – avec l’ouverture d’une voie vers la création d’un État palestinien en Cisjordanie, à Gaza et à Jérusalem-Est.

Un positionnement qui n’avait cessé de se renforcer alors que la rue saoudienne exprimait sa colère face aux destructions essuyées par la bande et face à un bilan humain qui ne cessait d’augmenter dans le cadre de la guerre, qui avait été déclenchée par le pogrom commis par le groupe terroriste palestinien du Hamas en Israël, le 7 octobre 2023. Ce jour-là, des milliers d’hommes armés avaient pris d’assaut le sud d’Israël et ils avaient massacré plus de 1200 personnes, des civils en majorité, kidnappant également 251 personnes qui avaient été prise en otage à Gaza. 73 captifs se trouvent encore entre les mains du Hamas.

En novembre, le prince héritier avait ouvertement accusé Israël de génocide lors d’un sommet islamique et avait réaffirmé la nécessité de mettre en œuvre une solution à deux États. La frustration était déjà forte dans le contexte de la guerre en cours, ont indiqué deux sources proches des services de renseignement de la région.

Mais Washington a paru ignorer la demande de solution à deux États soumise par Ryad. La veille de son annonce concernant Gaza, Trump avait été interrogé sur la possibilité qu’un accord de normalisation soit conclu en l’absence de ce cadre et il avait répondu : « L’Arabie saoudite va nous être d’une grande aide. »

L’envoyé de Trump au Moyen-Orient, Steve Witkoff, est allé à des rencontres à Ryad, à la fin du mois de janvier. Des diplomates de premier plan ont déclaré que Witkoff avait établi un calendrier de trois mois pour le processus de normalisation.

Toutefois, la frustration exprimée par les Saoudiens s’est transformée en surprise et en colère lorsque Trump a fait part de son plan. « Il n’est pas satisfait », a ainsi indiqué une source proche de la cour du royaume en évoquant la réaction de MBS.

La colère s’est rapidement manifestée dans les médias d’État – qui, selon les analystes, reflètent souvent les points de vue officiels de l’Arabie saoudite – avec des reportages télévisés qui s’en sont pris personnellement au Premier ministre israélien Netanyahou.

« Ils sont indignés », a déclaré Aziz Alghashian, un analyste saoudien proche du régime saoudien en évoquant l’état d’esprit des hauts responsables du royaume.

« C’est scandaleux. C’est plus que de la frustration, c’est beaucoup plus fort que ça. »

De nombreux experts estiment que Trump a peut-être recours à un vieux stratagème de son manuel diplomatique, qui consiste à adopter une position extrême pour ouvrir des négociations. Au cours de son premier mandat, il a souvent fait des déclarations de politique étrangère qui ont été jugées excessives. Beaucoup n’ont d’ailleurs jamais abouti.

Et pourtant, ce plan complique singulièrement les négociations de normalisation.

L’ancien chef des services de renseignement saoudiens, le prince Turki al-Faisal, qui ne joue actuellement aucun rôle au sein du gouvernement, a déclaré dans une interview accordée à CNN la semaine dernière que si Trump se rendait à Ryad, « je suis sûr qu’il se fera enguirlander par les responsables ».

Interrogé sur la possibilité d’une avancée des négociations de normalisation avec Israël, il a répondu : « Pas du tout. »

L’équipe du Times of Israel a contribué à cet article.

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